L’histoire de la cathédrale est intimement liée à l’invasion de la Russie par la Grande Armée de Napoléon Ier et à la victoire de l’armée russe. Par une étrange coïncidence, sa construction a été plein de rebondissements.
La première victime
La première victime de la cathédrale est son créateur, l’architecture Karl Magnus Vitberg. Né à Saint-Pétersbourg dans une famille suédoise, Vitberg a dû renoncer à ses origines et se convertir à l’orthodoxie afin de recevoir les faveurs de l’empereur et de pouvoir ainsi mener à bien ses projets.
La Russie post-napoléonienne, qui a connu un regain de patriotisme et d’élévation spirituelle sans précédent, avait besoin d’un symbole fort pour marquer ce renouveau. L’empereur Alexandre Ier souhaitait ériger un grand mémorial en l’honneur des soldats russes tombés durant la Guerre patriotique de 1812 et qui symboliserait également la grandeur de la Russie.
L’architecte russo-suédois Vitberg était le seul à retenir l’attention du tsar. « Vous avez compris mon souhait. Je ne veux pas que ce soit juste un empilement de pierres, comme un immeuble ordinaire, mais un édifice animé par une sorte d’esprit religieux. J’ai vu passer plus de 20 projets, et certains étaient très bons, mais ils manquaient tous d’originalité. Vous, vous faites parler les pierres », déclare l’empereur à Vitberg en 1815.
Alexandre Ier était si enthousiasmé par le projet de Vitberg qu’il l’a nommé maître d’œuvre. Vitberg, qui n’avait aucune expérience dans le domaine de la construction et de la gestion d’un chantier, a protesté contre cette décision, en vain. Le 13 septembre 1817, la première pierre de la cathédrale était posée sur la Colline aux Moineaux (à l’endroit où se trouve l’actuelle Université d’État Lomonossov de Moscou), lieu initialement choisi pour sa construction.
Mais le destin de Vitberg prend une toute autre tournure après la disparition d’Alexandre Ier en 1825 et le couronnement de Nicolas Ier. Le nouvel empereur ordonne l’arrêt immédiat du chantier, jugé trop long et surtout trop coûteux.
Le tsar charge également une commission spéciale d’enquêter sur le projet de Vitberg et met au jour un grand système de détournement de fonds. Vitberg est alors condamné, tous ses biens lui sont confisqués et il est contraint à l’exil.
La cathédrale a ainsi brisé son pauvre architecte qui, d’après nombre d’historiens, était tout à fait innocent et aurait été victime de l’avidité de ses subordonnés.
Une renaissance maudite
La cathédrale aurait pu être totalement abandonnée si le pieux Nicolas Ier n’avait été tourmenté par le projet de son frère Alexandre Ier d’ériger un monument à la gloire de la Russie ressuscitée.
Le 10 septembre 1839, soit 22 ans après la première cérémonie, une nouvelle « première » pierre est posée à l’endroit où se dresse l’actuelle cathédrale du Christ-Sauveur.
Le nouvel architecte, Konstantin Ton, a choisi de construire la cathédrale en lieu et place d’un ancien monastère. D’après la légende, une abbesse aurait alors jeté une malédiction sur les ouvriers du chantier et promis un sort funeste à la cathédrale.
Et la prophétie se réalise
En 1917, les bolchéviks prennent le pouvoir en Russie. Les nouveaux dirigeants soviétiques, qui souhaitaient immortaliser la grandeur postrévolutionnaire, avaient une idée en tête : construire le Palais des Soviets.
Le choix du lieu ne laisse aucun doute quant aux intentions du nouveau gouvernement : le Palais des Soviets sera érigé à la place de la cathédrale du Christ-Sauveur, qui sera réduite en poussière.
Le 5 décembre 1931, la deuxième explosion a raison de la cathédrale, secouant plusieurs districts voisins. Mais malgré la volonté sans faille du gouvernement, il faudra plus d’un an pour nettoyer le site.
Quelques années plus tard éclatait la Seconde Guerre mondiale, qui ajourne la construction du Palais des Soviets, projet fou qui ne verra jamais le jour.
La relative liberté religieuse accordée en 1989 par les autorités soviétiques permet aux Moscovites de s’organiser en vue de lancer la reconstruction de la cathédrale. Mais la crise économique et l’hyperinflation des années 1990 retardent le lancement du projet. La cathédrale sera finalement inaugurée le 31 décembre 1999 à l’endroit où elle se dressait avant sa destruction par les Bolchéviks.
Après deux siècles d’une histoire pleine de rebondissements, la cathédrale trône à nouveau fièrement sur les rives de la Moskova et est un des symboles de la capitale russe.