Candidat russe au Bocuse d'Or 2021: «Je crois que nous avons même dépassé l’objectif fixé»

Service de presse
Pour la première fois depuis 13 ans, la Russie a été représentée en finale du Bocuse d’Or, une véritable Olympiade de la gastronomie, qui a vu se confronter les 26 et 27 septembre à Lyon 21 équipes, venues des quatre coins du monde.

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Depuis l'introduction en 2008 dans ce très prestigieux concours biannuel, créé par le légendaire Paul Bocuse en 1987, d’une étape supplémentaire, la demi-finale européenne, les équipes russes n'ont pas réussi à entrer dans le top-10 et, par conséquent, à avoir accès à la finale mondiale. Selon les résultats de la dernière demi-finale européenne qui s'est tenue en Estonie en 2020, Viktor Beley, le chef du restaurant moscovite de cuisine russe Uhvat, a obtenu la 11e place, juste derrière l'équipe italienne. Cependant, le travail de son équipe, sa quête de la réussite et la réputation de la Russie en tant que pays à la culture gastronomique originale et authentique, ont permis à Viktor de décrocher la wild card, c'est-à-dire une invitation spéciale à participer à la finale qui se déroule traditionnellement à Lyon.

Saveurs russes au zeste d’expérience internationale

Viktor a plus de dix ans d'expérience dans de grands restaurants moscovites et possède un impressionnant bagage de stages à l'étranger. Expert des produits gastronomiques russes et des technologies culinaires traditionnelles, il est également vedette des émissions de télévision culinaires sur les chaînes nationales russes.

Viktor Beley

Son équipe, coachée par le célèbre chef et restaurateur belge Roland Debuyst (Bocuse d'Argent 1997, étoile Michelin) s’est retrouvée à la 13e position après les épreuves de la finale. Avant même l'annonce des résultats, immédiatement après sa prestation, Viktor Beley a avoué à Russia Beyond que lui et ses coéquipiers avaient fait face à l’épreuve avec dignité, et avaient réalisé un excellent travail malgré toutes les contraintes de l’étape préparatoire et l’isolation de dix jours, subie à l’arrivée en France. La Russie, classée comme pays de catégorie « rouge » pour les conditions d'entrée dans l’Hexagone compte tenu de la situation sanitaire, a en effet été la seule nation soumise à la quarantaine, ce qui a privé les participants russes des derniers entraînements dans des cuisines professionnelles conformes au règlement du concours.

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« Je crois que nous avons même dépassé l’objectif fixé. Bien sûr, tout le monde espère gagner, mais si nous évaluons raisonnablement nos chances en fonction des opportunités, être au milieu de la liste des finalistes aujourd’hui est un très bon résultat. C’est pareil pour le sport de haut niveau : il est impossible de remporter les Jeux olympiques sans avoir auparavant participé à des compétitions et sans entraînements réguliers. On grimpe les marches progressivement. L'expérience doit s'accumuler, le savoir-faire et les compétences se transmettent de génération en génération. C’est grâce aux acquis des participants précédents qu'on obtient un bon résultat », affirme Viktor.

Il est crucial d’avoir un rêve

Viktor a découvert le monde du Bocuse d’Or lors de la demi-finale européenne à Stockholm en 2014, où il s’est rendu pour soutenir son patron, le chef du restaurant moscovite Shekhtel, Igor Sous. C’est en suivant le concours depuis les tribunes, qu’il a compris qu’il fallait absolument faire tout son possible pour pouvoir ressentir un jour les émotions qu’éprouvent les prétendants à ce prix tant convoité, révélant le meilleur de ce qu'ils peuvent faire. « Si vous rêvez de quelque chose de bien, vos rêves deviennent réalité. Comme l'a dit notre entraîneur belge, et ses mentors lui ont dit la même chose avant, il faut ne pas être le meilleur, il faut être digne. Pour être digne, à mon avis, il faut être déterminé, talentueux et têtu. Je suis très têtu, et même quand on m’a dit que la compétition en 2021 serait très difficile, j'ai décidé que c’est cette année-là que je devais tout faire pour atteindre la finale », raconte Viktor Beley.

Or, de la détermination, il en fallait beaucoup, car les participants russes ont dû passer par une voie très périlleuse et parsemée de toute sorte d’obstacles.

Déjà au stade de l’étape européenne, des difficultés sont survenues lors de l'entrée en Estonie : comme il l’explique, les douaniers ne voulaient pas laisser passer les Russes. Les membres des familles des participants n'ont en outre pas pu obtenir de visas, pareil pour la France. Cependant, le plus compliqué, selon Beley, c’est d'être techniquement au niveau des collègues européens, et surtout scandinaves, qui donnent désormais la tendance de la haute cuisine, parce que dès le début les conditions des entraînements ne sont pas égales.

Le coût de l’excellence

« Il est difficile de gagner une course au volant d’une Lada Kalina quand tous les autres sont arrivés en Ferrari ou Lamborghini. Le matériel professionnel, l'inventaire, les produits, les déplacements à l'étranger pour les stages coûtent cher. Nos collègues européens ont tout un réseau de sponsors, tandis que nous misons beaucoup sur le fanatisme, sur notre propre aspiration, nous devons contracter un emprunt pour assurer notre entraînement aux épreuves », avoue Viktor.

D’après ses précisions, une session de formation coûte au moins 25 000 roubles (environ 300 euros) et étant donné qu'il faut souvent utiliser des produits introuvables en Russie, et qu'il faut les commander à l'étranger, cela s'avère plus cher. Pour être au niveau des exigences du concours, il convient de compter 30-40 entraînements, ce qui représente un budget colossal, si le candidat doit s’autofinancer. De plus, il y a la location d'une salle comprenant une cuisine et du matériel, qui se rapproche de celui de la compétition (reproduire un box de cuisine, identique à celui utilisé à Lyon, est, d’après lui, une tâche impossible en Russie). Cette liste de dépenses est loin d'être exhaustive. Selon Viktor, dans de telles conditions, le candidat se voit obligé d’emprunter au budget familial, ainsi que d’avoir un employeur compréhensif, qui n'exige pas une présence permanente sur le lieu de travail.

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Une épreuve pas pour les faiblards

Le contexte sanitaire lié à la pandémie de Covid-19 a eu également des répercussions sur le déroulement de la finale. La traditionnelle épreuve du service à l’assiette a été remplacée par celle du take away (à emporter), où les candidats devaient confectionner des « box » de luxe sur le thème de la tomate cerise, contenant une entrée froide de légumes, un plat chaud à la crevette tigrée et un dessert, tout en démontrant les particularités de la cuisine nationale de leur pays.

Finalement, ce sont 42 assiettes (et pas 14, comme dans des éditions précédentes) qu’il a fallu dresser en 25 minutes et présenter au jury dans un emballage original et pratique en même temps.

Après tout ce chemin parcouru, Viktor Beley n’est pas sûr de vouloir relever encore une fois ce défi. « C’est très dur physiquement et mentalement, financièrement et psychologiquement. Si je continue à participer au concours, alors en tant qu'accompagnateur, ou coach, assistant, membre du jury, mais en tant que candidat, très probablement, je m'arrêterai là, je suis satisfait du résultat. Je préfère transmettre mon expérience et mes compétences aux jeunes », explique notre interlocuteur, qui envisage prochainement d’ouvrir son propre restaurant à Moscou.

En résumant, il se dit convaincu, que pour une vie professionnelle, participer au Bocuse d’Or est une incroyable expérience que l'on acquiert en peu de temps. « En 2019, j'ai visité un grand nombre d’excellents restaurants, discuté avec plusieurs des meilleurs chefs du monde, appris de nombreuses nouvelles techniques, de nouveaux goûts et combinaisons. À l'avenir, je les utiliserai dans mon restaurant. On ne peut pas devenir un grand chef sans côtoyer les meilleurs représentants du métier », assure Viktor.

Il avoue enfin qu’il admire le Danois Rasmus Kofoed (trois étoiles Michelin), qui a participé au Bocuse à trois reprises et a remporté le Bocuse de Bronze, d'Argent et d'Or. « C’est un vrai compétiteur et un professionnel passionné. Lorsque vous vous tenez à côté de lui, il distribue de l'énergie comme une centrale électrique. Son dévouement est frappant, il n'a pas eu un chemin facile, il l’a réussi et a consacré six ans à la compétition, c'est incroyable. Déjà au bout de deux ans je comprends que c'est insensé du point de vue de mon travail, de la famille et de l'employeur qui me tolère. Et je certifie, que cette compétition n'est pas pour les faiblards et les personnes psychologiquement fragiles, il faut être dur comme une pierre sur tous les plans », accorde le chef.

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