Start-ups et entrepreneuriat en Russie: quelle place pour les Français?

Legion Media
Tout quitter et monter son entreprise en Russie: pourquoi pas? Au vu des sanctions et de la crise, l’idée peut sembler saugrenue. Pourtant, certains voient en la Russie un potentiel énorme: un marché très francophile, un faible taux de taxes et une large marge de manœuvre. Autant de spécificités du monde entrepreneurial russe qui attirent aujourd’hui les jeunes entrepreneurs et investisseurs. Mais quelles sont les possibilités réelles pour les Français souhaitant y faire des affaires?

Entrepreneur de la première heure et fondateur de l’agence immobilière WelcomeAbroad, Yan Sotty, fort de ses 18 ans d’expérience du pays, témoigne : « Ce que j’aime en Russie c’est que tout dans le monde des affaires va vraiment très vite. (…) Les Russes rebondissent rapidement sur autre chose s’ils sont en situation d’échec. Et je trouve que c’est cette capacité en particulier qui illustre bien la force de caractère du pays ».

Les années 2000 : quand tout était à faire …

D’abord en charge d’aider les entreprises françaises à s’implanter en Russie à la CCI France-Russie, Yan Sotty, alors âgé de 32 ans, se découvre une passion pour l’immobilier russe : « Je trouvais que toute l’histoire de la Russie était passée à travers ces murs ». Ce jeune Français décide alors de se lancer dans une aventure qui, à l’époque, en effrayait plus d’un : monter sa propre entreprise. Son but : casser l’image négative que se font de la Russie les Occidentaux. « J’aime le contact avec les gens et j’aime la Russie. C’est cet amour que j’aimerais leur (ndlr : aux Occidentaux) transmettre : on vit très bien ici, j’en suis la preuve vivante ! ».

Yan Sotty

En fondant WelcomeAbroad, une des premières PME françaises en Russie, cet entrepreneur souhaite gommer les a priori que beaucoup d’Européens et Américains ont sur l’ex-URSS. Son métier consiste alors, certes, à loger les nouveaux arrivants, mais aussi surtout à les rassurer et à insuffler aux étrangers l’amour qu’il porte à son pays d’adoption : « À l’époque il y avait plein de peurs. Les expatriés venaient nous voir et nous disaient : "On nous a demandé de venir travailler en Russie mais on ne sait pas ce qu’il y a derrière… On a peur de la Russie : peur de se faire avoir, peur du froid… On ne connait pas le pays, on a vu plein de trucs à la télé, apparemment les Russes ne sourient jamais etc…" ».

Les années 2004-2008 étant marquées par l’arrivée en masse d’expatriés français, Yan Sotty voit son entreprise grandir à vue d’œil : en quelques mois, il passe de 2 employés à une vingtaine. « Au début c’était un peu la jungle, c’est vrai, mais je n’ai pas l’impression que créer une entreprise ici soit plus compliqué qu’en France. Évidemment, en Russie, il y a la paperasse, et, effectivement, il peut y avoir des difficultés liées aux comptes et aux finances. Mais une fois que tu es entouré par les bonnes personnes qui connaissent leur métier et qui sont compétentes, c’est bon ».

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S’entourer des bonnes personnes et ne pas lésiner sur les moyens, deux attitudes clefs à adopter en Russie pour réussir, selon Yan Sotty. « Ici, le ticket d’entrée coûte cher. Mais, au bout d’un moment, ça paye. (…) Pour tous les Français que je connais et qui ont monté leur business ici, ça a marché. Cependant, ce qu’ils ont fait en Russie, ils ne l’auraient pas fait en France : on est plus libres ici, et, quand on ouvre une entreprise, on paye beaucoup moins de taxes, ce qui permet de donner plus d’envergure à ton business. En fait, dans l’ensemble, on se laisse pousser des ailes en Russie… Des ailes que, à mon avis, on n’aurait pas en France ».

Entre solidarité et réseau stratégique : l’entrepreneuriat francophone moscovite aujourd’hui

En plein cœur du quartier français, le long de la ruelle Milioutinski, se dresse un bâtiment au sein duquel, à chaque étage, on retrouve différentes entreprises et institutions françaises : la Chambre de Commerce, le journal Courrier de Russie, Tsar Voyages, Caudalie, une maison d’édition… C’est le Carré France, un des acteurs phares de la communauté française, dont Yan Sotty est l’un des principaux actionnaires : « On a aujourd’hui à peu près une trentaine d’entreprises. Des espaces où les gens viennent pour travailler mais aussi se retrouver, partager leurs expériences durant les afterworks et les événements qu’on organise. Et, pourquoi pas, travailler ensemble ! ».

Comme le Carré France, plusieurs institutions accompagnent aujourd’hui les entrepreneurs français, révélant une véritable solidarité : « Il y a une vraie communauté française des affaires, rassemblée notamment autour de la Chambre de Commerce et d’Industrie France Russie (CCIFR) pour les entreprises déjà un peu installées, et le RED (Réseau. Entrepreneur. Développement) qui fédère les entrepreneurs et jeunes pousses. L’ambassade est très impliquée également avec ses différents services économiques », affirme Gilles Chenesseau, vice-président de la CCI France-Russie.

Mais être français ne donne pas toutes les garanties, comme le souligne Thierry Cellerin, un entrepreneur qui a fondé en 2002 son agence de marketing numérique à Moscou, BuzzFactory : « Dans un pays comme la Russie où les Français sont peu nombreux (il y a 3 500 français enregistrés à Moscou), la solidarité est beaucoup plus importante que dans une ville comme New York, où les Français sont trop nombreux. De plus, beaucoup de Français vivent à Moscou depuis très longtemps, il existe donc ici une certaine solidarité du fait que nous nous connaissons tous les uns les autres. (…)  D’un autre côté, le monde des affaires est comme partout sans pitié : personne ne fera des affaires avec vous juste parce que vous êtes français, il faut vraiment avoir une valeur ajoutée forte ».

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Une solidarité francophone qui semble cependant pratiquement absente entre grandes entreprises et PME moscovites, comme le déplore Yan Sotty : « Il y a une entraide dans la communauté française des affaires, mais j’aimerais que les Français soient encore plus solidaires, notamment les grands groupes avec les petites entreprises françaises. Étant donné que je m’occupe, entre autres, de loger des directeurs d’entreprises, j’ai un rapport un peu privilégié avec ces gens-là. C’est pourquoi, souvent, des PME qui souhaiteraient travailler avec des grands groupes viennent me voir et me demandent de les mettre en relation pour qu’ils puissent tisser des liens professionnels ».

Yan Sotty n’est pas le seul à regretter cette absence de coopération entre les grandes et petites entreprises françaises implantées à Moscou. En effet, Maxime Colaitis, l’un des partenaires de la boulangerie-pâtisserie française La Forêt , souligne que, pour les autres nationalités, il n’en va pas de même : « De notre point de vue, il n’y a aucune solidarité entre PME et grandes entreprises françaises en Russie. Les Italiens, les Allemands, les Anglais, les Américains, sont au contraire vraiment solidaires : une entreprise allemande va embaucher des charcutiers allemands pour sa cantine, alors que les grandes entreprises françaises ne choisiront pas forcément des Français, mais des Américains par exemple ».

Un réseau francophone toutefois stratégique qui peut en toute légitimité témoigner des spécificités du marché russe : niveau relativement bas des salaires et des taxes, taux de crédit très élevé, francophilie des consommateurs, achats fréquemment impulsifs des Russes, fluidité du marché, technophilie, vitesse de conclusion des affaires, importance des relations informelles et bien d’autres… Il faut également  tenir compte des règles du jeu spécifiques à la Russie, « un pays où les concurrents peuvent utiliser des techniques déloyales pour acquérir des clients et où il n’est pas toujours facile de trouver du personnel dûment qualifié » , poursuit Thierry Cellerin. Ce dernier en est persuadé, la Russie est un pays où il faut s’attendre à tout et où être flexible et réactif est primordial : «  En résumé, c’est un pays où il est possible de faire des affaires, mais ce n’est pas un pays pour tout le monde ». 

Innovation VS crise économique : quelle place pour les entrepreneurs Français de demain en Russie ?

French Tech Hub Moscow, Carré France, le RED, la MEF, la Chambre de Commerce, l’Ambassade…Ce sont autant d’organismes œuvrant pour le développement économique entre la France et la Russie. Une coopération qui s’inscrit dans une dynamique d’échange : « D’un point de vue économique et entrepreneurial, la Russie est encore un pays "jeune" par rapport à la France où règne le sentiment que toutes les places sont déjà solidement occupées, confie  Gilles Chenesseau. Il y a sans doute plus d’espace en Russie même si ce n’est plus les années 90-2000 où tout était à faire, où le champ était vraiment libre pour toute entreprise ».

Un marché encore « jeune » et en développement car, même si les sanctions ont frappé, cela n’a pas empêché les Russes de se tourner vers l’innovation, notamment technologique. Skolkovo, la Station F moscovite, a en ce sens marqué un tournant dans le monde des start-ups en Russie, modifiant le paysage économique. Ce centre de recherche et de développement, aussi connu sous le nom de « Silicon Valley russe », a pour vocation d’attirer les jeunes entrepreneurs internationaux souhaitant investir dans la technologie. Une manière pour la Russie de diversifier son portefeuille d’activités et de ne pas se reposer uniquement sur l’exportation de ses matières premières.

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« Tout va très vite en Russie » : une affirmation qui revient tel un leitmotiv dans les propos de nos entrepreneurs. Une vitesse propice certes à l’innovation technologique, mais qui engendre de nombreuses incertitudes concernant l’avenir : « Les choses changent très vite ici, et personne ne sait de quoi demain sera fait, prévient Thierry Cellerin. Il faut toujours garder ce concept en tête et éviter de s'endormir sur ses lauriers. Il faut en permanence repenser son business model et analyser les tendances de marché  pour avoir toujours un pas d’avance sur ses concurrents ».

L’actuel environnement économique est probablement ce qui engendre cette vitesse, nécessaire semble-t-il au bon fonctionnement des affaires en Russie. Comme en atteste Gilles Chenesseau, « L’atmosphère est plus morose qu’il y a quelques années, entre la crise mondiale, la chute des prix des hydrocarbures et bien sûr les sanctions et autres blocages politiquesRestent des zones d’ombres et de mauvais signaux comme l’affaire Delpal. Mais il y a beaucoup de place pour l’innovation, les Russes n’ont pas de réticence devant les nouveautés et les adoptent souvent très vite, et l’environnement des affaires proprement dit est beaucoup plus solide et sûr, avec davantage de garanties d’un point de vue légal ou fiscal ».

Gilles Chenesseau

Cette vitesse propre au marché russe a donc aussi ses avantages : les Russes se convertissent rapidement aux nouvelles pratiques et notamment au digital. C’est donc tout naturellement que les secteurs clefs de l’innovation tels que la technologie et l’information sont particulièrement prisés par les start-uppeurs moscovites : en effet, d’une part, le marché russe est particulièrement technophile (plus de 87 millions d’abonnés Internet (soit 60% de la population), 70% de couverture 4G et 1er marché au monde pour l’utilisation d’Apple Pay), et, d’autre part, la Russie compte parmi les meilleurs développeurs et ingénieurs au monde. Runet, la partie russophone de l’Internet, représente donc un potentiel important pour les investisseurs, comme l’explique Thierry Cellerin : « La Russie est, rappelons-le, un pays de près de 150 millions d'habitants, dont plus de 100 millions sont connectés à Internet. Il s’agit de la plus grande population d'Europe, donc quelle que soit la sphère de business, il y a un énorme marché potentiel ».

Aujourd’hui, entre souplesse et innovation, l’économie traditionnelle russe semble donc prendre le virage de la transformation digitale et favoriser un écosystème entrepreneurial de plus en plus attrayant pour les étrangers. Nos interlocuteurs en témoignent : « En Russie, si tu es bien entouré, si tu aimes la Russie (point très important), et que ton business est quelque chose d’intelligent, tu dois bien t’en sortir », assure Yan Sotty. Tout est dit.

Dans cet autre article, nous vous expliquons cinq points cruciaux à prendre en compte avant de faire affaires avec des Russes. 

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