«Anarchique et destructrice»: la Révolution russe vue par les étrangers

Ils furent témoins et parfois acteurs des événements révolutionnaires.

Ils furent témoins et parfois acteurs des événements révolutionnaires.

Isaak Izrailevich Brodsky
Les ambassadeurs de trois puissances, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, furent les témoins directs, et parfois même les acteurs, des événements révolutionnaires qui secouèrent la Russie en 1917. RBTH a rassemblé les observations les plus marquantes issues de leurs mémoires.

Maurice Paléologue, ambassadeur de France en Russie de 1914 à 1917. Témoignage tiré du livre La Russie tsariste à la veille de la révolution

Crédit : Chroniques de la guerre de 1914Crédit : Chroniques de la guerre de 1914

À propos de Vladimir Lénine

« Utopiste et fanatique, prophète et métaphysicien, étranger à la notion de l'impossible et de l'absurde, fermé à tout sentiment de justice et de pitié, violent et machiavélique, fou d'orgueil, Lénine met au service de ses rêves messianiques une volonté audacieuse et froide, une logique tranchante, une extraordinaire puissance de prosélytisme et de commandement. […] Le personnage est d'autant plus dangereux qu'on le dit chaste, sobre, ascétique. Tel que je me le représente, il y a en lui du Savonarole et du Marat, du Blanqui et du Bakounine ».

Durant la révolution

Lundi 27 février (12 mars) : « Il fait nuit noire quand nous sortons, Buchanan et moi, du ministère des Affaires étrangères ; aucun réverbère n'est allumé. A cet instant où mon auto débouche de la Millionaïa, devant le Palais de marbre, nous sommes arrêtés par un tumulte militaire. Il se passe je ne sais quoi, à la caserne du régiment Pavlowsky. Des soldats furieux crient, hurlent, se battent sur la place. Ma voiture est cernée; une clameur violente s'élève contre nous. En vain, mon chasseur et mon mécanicien s'efforcent de faire comprendre que nous sommes les ambassadeurs de France et d'Angleterre. On ouvre nos portières. Notre situation va devenir dangereuse, quand un sous-officier, juché sur un cheval, nous reconnaît et, d'une voix tonitruante, propose un +hourra pour la France et l'Angleterre+. Nous sortons de ce mauvais pas sous un déluge d'acclamations ».

Crédit : Karl Karlovich BullaCrédit : Karl Karlovich Bulla

Mardi 28 février (13 mars) : « Devant le Jardin d'été, je suis tout à fait entouré par la foule, qui arrête au passage une automitrailleuse et qui veut m'y faire monter pour me conduire au palais de Tauride. Un grand diable d'étudiant, agitant un drapeau rouge, me crie au visage, en très bon français : +Venez saluer la Révolution russe ! Le drapeau rouge est désormais le drapeau de la Russie ; rendez-lui hommage au nom de la France !+. Il traduit ses paroles en russe; elles provoquent des hourras forcenés. Je réponds : +Je ne peux rendre un plus bel hommage à la liberté russe que de vous inviter à crier avec moi : Vive la guerre !+. Il se garde bien de traduire ma réponse ».

Mercredi 1er mars (14 mars) : « Il y a encore beaucoup de combats et d'incendies ce matin. Les soldats font la chasse aux officiers et aux gendarmes, une chasse féroce, où se révèlent tous les instincts sauvages que renferme encore l'âme des moujiks ».

David Francis, ambassadeur des États-Unis en Russie de 1916 à 1917. Témoignage tiré du livre La Russie vue de l'ambassade américaine

Crédit : Bibliothèque du CongrèsCrédit : Bibliothèque du Congrès

À propos des leaders dont avait besoin la révolution

« Ils [les soldats russes] ont combattu longuement, ont essuyé d'énormes pertes, ont été trahis par certains de leurs leaders, et dans beaucoup de cas leurs familles ont été destituées. Lénine, Trotski et plusieurs de leurs agents sont venus les voir et leur ont promis la paix et des terres. Ils désiraient la paix ! Obtenir la propriété de la terre sur laquelle ils travaillaient était leur ambition depuis des générations. Dans ces circonstances, faire que ces soldats paysans continuent à se battre et construire simultanément un gouvernement démocratique sur un territoire qui n'avait connu que le despotisme depuis des centaines d'années était une tâche même pour un leader doté des nerfs d'acier de Cromwell et de la sagesse clairvoyante de Lincoln. Mais Kerenski n'était pas un tel homme ».

Crédit : Musée national de l'histoire politique de la Russie à Saint-PétersbourgCrédit : Musée national de l'histoire politique de la Russie à Saint-Pétersbourg

À propos de cette révolution « pacifique »

« … De par sa magnitude, c'est la meilleure révolution réussie qui ait jamais été menée. La Douma assume le contrôle et exerce son autorité à Petrograd avec un jugement d'une qualité rare. À mon sens, toute la Russie devrait être félicitée pour avoir traversé cet important changement dans le gouvernement avec si peu d'effusions de sang et sans ingérence matérielle avec la guerre qui l'agite de ses puissants antagonistes ».

George Buchanan, ambassadeur du Royaume-Uni en Russie de 1910 à 1918. Témoignage tiré du livre Mémoires d'un diplomate

Crédit : msk.kprf.ruCrédit : msk.kprf.ru

À propos des bolcheviques

« … Les bolcheviques constituaient une minorité compacte de personnes déterminées, qui savaient ce qu'elles voulaient et comment l'obtenir. […] Aussi grands soit mon dégoût pour leurs méthodes terroristes et ma tristesse devant la destruction et la misère dans lesquelles ils ont plongé leur pays, je ne peux que partager l'avis selon lequel Lénine et Trotski sont des personnes singulières. Les Ministres, aux mains desquels la Russie a confié son destin, se sont tous avérés faibles et incapables, alors à présent, par un cruel revers du sort, les deux seuls personnages véritablement forts qu'elle a créés au cours de la guerre ont été destinés à achever sa ruine. Néanmoins, lorsqu'ils sont arrivés au pouvoir, ils étaient encore de grands inconnus, et personne ne s'attendait à ce qu'ils conservent longtemps leurs places ».

Sur le climat prérévolutionnaire

« La révolution était latente, et l'unique question qui faisait débat était de savoir si elle viendrait du haut ou du bas. On discutait ouvertement du coup d'État du palais, et lors d'un déjeuner à l'ambassade, l'un de mes amis russes, occupant un haut poste au gouvernement, me communiqua que la question se résumait à savoir si y périraient l'empereur et l'impératrice, ou seulement cette dernière ; d'un autre côté, une révolte populaire résultant du manque de denrées pouvait éclater d'une minute à l'autre ».

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