Cinq auteurs russes qui ont tenté de déstigmatiser le sexe dans la littérature

Сadre tiré du film "Le Don paisible"

Сadre tiré du film "Le Don paisible"

Sergueï Gerassimov/Gorki Studio, 1957
Il fut un temps où le sexe était tabou dans la culture et la littérature russes. Certains auteurs et poètes ont toutefois tenté de dédramatiser les relations sexuelles en ajoutant à leurs œuvres des descriptions d’intimité et de passion, bien que cela s’avère un défi de taille.

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Ivan Bounine

Ce lauréat du prix Nobel de littérature pensait que « chacun d’entre nous a probablement des souvenirs de leur amour particulièrement chers, ou commis des péchés amoureux particulièrement graves ». Pour s’assurer que ses propres souvenirs vivent éternellement, il les a partagés dans ses œuvres. Son recueil de nouvelles Les Allées sombres est probablement l’ouvrage le plus riche en relations romantiques et amour physique de la littérature russe classique.

Bounine y a emmené le plaisir, la luxure et la passion plus loin qu’il ne l’avait fait auparavant. Bien sûr, vous ne trouverez pas de scènes de sexe explicites dans les écrits des années 1940. Bounine s’intéressait plutôt à ce qu’il se passait avant et après les relations sexuelles.

« Alors il avait délicatement déposé un baiser sur sa joue en feu et, comme elle n’avait nullement réagi, il avait pensé qu’elle lui donnait ainsi un accord tacite à tout ce qui pouvait suivre. Il avait écarté ses jambes et ouvert leur chaleur tendre et brûlante : elle n’avait eu qu’un soupir dans son sommeil, s’était un peu étirée et avait rejeté son bras derrière la tête... » (Ivan Bounine, éditions L’Âge d’Homme)

Nikolaï Karamzine

Il a écrit Pauvre Lisa en 1792, peu de temps après être rentré d’un long voyage à l’étranger. En ce qui concerne les émotions humaines, Karamzine était en avance sur son temps, et il a ajouté à ses œuvres une bonne dose de sentimentalisme. Il était le premier auteur à montrer que les faiblesses et les passions humaines étaient dignes de la sympathie des lecteurs. C’était encore plus le cas lorsque de jeunes filles se retrouvaient prises au piège, comme dans Pauvre Lisa où un riche noble séduit une jeune paysanne de 17 ans.

Portrait de Nikolaï Karamzine, par Vassili Tropinin, 1818

« Une émotion inconnue s’empara de Login ; jamais Lis[a] ne lui avait paru si belle, jamais ses caresses ne l’avaient ému à ce point, jamais ses baisers ne lui avaient semblé si tendres. Lis[a] était sans soupçon comme sans expérience ; elle ne connaissait pas le danger, et resta ainsi, sans crainte, sans défiance, entre les bras de son bien-aimé. L’obscurité qui les enveloppait servait encore à favoriser comme à accroître le délire de Login ; pas une étoile au ciel, pas une lueur sur la terre qui pût le rappeler à lui. (Traduction d’Henri de Coiffier, parue dans Les Milles et Une Nouvelles, t. 9, Paris. La bibliothèque russe et slave)

>>> Comment la mode du sexe et de la mort s’est emparée de l'avant-garde soviétique?

Leur aventure n’a pas duré longtemps : il a épousé une vieille femme riche pour se sortir de ses dettes et Lisa s’est suicidée en sautant dans un étang.

Alexandre Pouchkine

Pouchkine était le maître incontesté de la diversité stylistique, de la polygamie et de la présence d’esprit. Le chef de file de la poésie russe n’était pas étranger aux exploits amoureux, ses aventures et ses fantasmes se reflétant souvent dans ses poèmes.

Portrait d'Alexandre Pouchkine, par Orest Kiprenski, 1827

Dans Rouslan et Lioudmila, le personnage de Ratmir passe une nuit dans un château occupé par de jeunes demoiselles, et traverse clairement un bon moment.

Muette, la vierge, devant lui, reste immobile, droite, telle Diane trompeuse devant le berger qu’elle désire ; et voici que sur la couche du prince elle lève un genou, puis, avec un soupir, baisse vers lui son visage, langoureuse et frémissante, et rompt le sommeil de l’heureux chevalier dans un long baiser de passion. (Traduction de Marc Semenoff, Paris, Plon, 1921, La bibliothèque russe et slave)

Les femmes étaient très importantes pour Pouchkine. Quand il s’agissait d’aventures amoureuses, le plus grand poète russe oubliait toute pudeur.

L’un a attiré Aglaïa

Avec ses boucles noires et son aplomb

L’autre avec son argent (pas d’objection),

Et le troisième car il était Français,

Cleon à force d’être intelligent,

Damis pour sa myriade de chansons romantiques,

Mais, mon Aglaïa, dis-moi

Comment ton mari a bien pu t’avoir ?

Andreï Platonov

Joseph Brodsky a un jour dit que Platonov était l’une des personnalités les plus importantes de la littérature du XXe siècle, au même titre que Proust, Kafka et Beckett.

Les livres détaillés de Platonov décrivaient le plan utopique des Soviétiques pour construire une société socialiste et exposaient les désastres bureaucratiques de l’idéologie nationale. Bien que, sous Staline, le sexe ait été interdit dans la littérature soviétique officielle, Platonov, qui a toujours nagé à contre-courant, a osé inclure quelques scènes intimes dans La Rivière Potoudane, œuvre écrite en 1937.

Nikita serra Liouba dans ses bras avec force, comme s’il tentait de faire entrer cette personne qu’il aime dans son âme en peine ; il s’est rapidement repris et s’est senti honteux.
- Je t’ai fait mal ?
- Non, je n’ai rien senti, répondit Liouba.
Il la désirait entièrement, il voulait la rassurer, et une force cruelle et désolante le prit soudain. Cependant, Nikita ne tirait pas plus de joie de sa relation intime avec Liouba que ce à quoi il avait été habitué avant de la rencontrer ; il sentait seulement que son cœur dominait son corps entier et le partageait avec un plaisir pauvre mais nécessaire.

On ne surnommait pas Platonov le « maître du réalisme social » pour rien.

>>> «Il n'y a pas de sexe en URSS!»: que cache cette mystérieuse affirmation?

Mikhaïl Cholokhov

L’écrivain soviétique Mikhaïl Cholokhov a reçu le prix Nobel de littérature pour sa nouvelle Le Don paisible en 1965. Cette œuvre est considérée comme l’une des plus importantes de la littérature russe du XXe siècle. Ce drame historique portant sur les cosaques du Don pendant la Première Guerre mondiale et la guerre civile russe est rempli de douleur, de sang, d’amour et de luxure.

- Aksinia...
Le cœur de Grigori battait la chamade. S’avançant, rejetant partiellement son manteau en arrière, il enlaça la jeune fille docile. Ses jambes flanchaient, elle tremblait et claquait des dents. Grigori la jeta sur son épaule comme un loup jetterait le mouton qu’il vient de tuer sur son dos, l’emmêlant dans les plis de son manteau et avança, le souffle court.
- Oh, Grigori... Père...
- La ferme !
Se dégageant, respirant l’odeur aigre du manteau de laine, s’étouffant sur l’amertume du remord, Aksinia dit d’une voix basse et gémissante :
- Lâchez-moi, je peux marcher par moi-même !

Dans cet autre article, nous vous expliquions comment les scènes de sexe au cinéma ont brisé les tabous en Union soviétique.

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