Cinq raisons de lire L’Archipel des Solovki de Zakhar Prilepine

Culture
ALEXANDRA GOUZEVA
Récompensé en 2014, l’année de sa sortie, par le très prestigieux prix russe Bolchaïa kniga (Grand livre), le roman Obitel’ («Monastère») de l’écrivain russe Zakhar Prilepine est paru chez Actes Sud, en France, en 2017 sous le titre L’Archipel des Solovki. Dans le présent article, nous vous expliquons pourquoi ce livre mérite vraiment d’être lu.

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Un roman sur le goulag vaut toujours la peine d'être lu

La première fois que les médias du pays ont évoqué le sujet des camps de travail soviétiques en vue d’un débat public remonte à 1968 lorsque le magazine Novy Mir a publiéUne journée d'Ivan Denissovitch d'Alexandre Soljenitsyne. Par la suite ont vu le jour des dizaines de mémoires, ainsi que des livres de fiction et des récits réels sur l’existence terrifiante des prisonniers, y compris l'énorme travail de Soljenitsyne, L'Archipel du Goulag, et un recueil de nouvelles de Varlam Chalamov intitulée Récits de la Kolyma.

Après plusieurs décennies d'impression de tous ces livres tragiques, les éditeurs soviétiques se sont détournés du sujet et l'intérêt des lecteurs a baissé, peut-être parce qu'il n'est pas facile d’être confronté à une réalité aussi horrible. Ainsi, L’Archipel des Solovki de Prilepine est l’un des premiers livres de la Russie moderne à soulever à nouveau la thématique du goulag.

Une intrigue palpitante

L’Archipel des Solovki  a lieu à la fin des années 1920 sur les îles Solovki en mer Blanche, dans le nord de la Russie. Ce sont les années qui précèdent la Grande Terreur de Staline, quand les répressions ne battaient pas encore leur plein. Les Solovki abritaient un ancien monastère qui avait déjà été utilisé comme lieu d'exil à l'époque tsariste. Dans les années 1920, cependant, il a été converti en camp de travail pour ceux qui ne soutenaient pas le nouveau régime soviétique, ainsi que pour les criminels de droit commun, ces derniers faisant peser une grave menace sur la vie des prisonniers politiques. Les cellules religieuses du monastère ont été transformées en lugubres cachots de prison, et des lits en planches ont été installés à l'intérieur des églises.

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Artiom est un détenu de 27 ans déporté aux Solovki. Il essaie de survivre tant bien que mal et recherche une vie meilleure dans les conditions extrêmes du camp. Il entre constamment en conflit avec les prisonniers de droits commun, qui le frappent régulièrement. Finalement, il trouve un moyen d’améliorer sa vie – il noue une liaison avec une femme officier. Avec l’aide de cette dernière, il est transféré dans une autre aile, où se trouvent postes de travail « prestigieux », comme celui de gardien de la pépinière. Mais même ici, il doit toujours rester sur ses gardes et ouvrir l’œil…

Un récit basé sur des documents et des journaux

Pour écrire le livre, Prilepine a passé plusieurs mois sur les îles Solovki, décortiquant les archives et réalisant des recherches dans la bibliothèque locale. Bien que ce roman ne soit pas une compilation de mémoires, il est inspiré de documents d’archives. Tous les personnages principaux sont basés sur des personnages réels. Le commandant du camp, Theodore Eihmanis, a vraiment existé (son vrai nom de famille était Eihmans) ; figure de proue de la terreur de Staline, il s'est retrouvé pris dans l’engrenage et a été exécuté en 1938.

L'amante du personnage principal, Galina, était aussi une personne réelle, ancienne maîtresse d’Eihmans. Son journal est cité à la fin du livre. Un autre commandant, Nogtev, est également basé sur l’histoire vraie d'un homme impitoyable caractérisé par des tendances sadiques qui humiliait les prisonniers, ce qui est également décrite de manière très explicite dans le livre.

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Un roman moderne « à la Tolstoï » attendu de longue date

L'un des principaux problèmes de la littérature russe des années 1990 et du début des années 2000 était l'absence de romans épais de qualité. Les critiques cherchaient en vain un nouveau Tolstoï, mais ces nouveaux livres axés sur l'ère moderne n'étaient pas assez puissants ou pas assez « écrasants » (le lecteur russe est un enfant gâté qui s'attend à ce qu'un roman ait une intrigue surprenante servie de manière extraordinaire, avec un drame et une discussion philosophique intenses, le tout marqué par un désir de comprendre l'existence humaine).

En 2014, lorsque Prilepine a publié son roman de 752 pages contenant tous ces éléments essentiels - cadre historique fort, drame humain, intrigue palpitante et plus encore - il a suscité un énorme intérêt pour la Russie chez ses lecteurs. En outre, il a reçu l'un des prix littéraires les plus prestigieux - le Bolchaïa kniga. Fait intéressant, L’Archipel des Solovki  a marqué le début d’une série de romans consacrés au goulag écrits par les auteurs russes les plus talentueux : Zouleïkha ouvre les yeux de Gouzel Iakhina et L’Aviateur d’Evgueni Vodolazkine. Chacun de ces écrivains a travaillé séparément, sans connaître les œuvres de l’autre ; mais chacun a écrit des livres qui ont trouvé une forte demande parmi les lecteurs, de nouveau intéressés par le sujet et « formés » à la lecture de Soljenitsyne.

Un auteur célèbre et controversé

Lorsque L’Archipel des Solovki  a été publié en Russie en 2014, Zakhar Prilepine était déjà un écrivain célèbre. Sa prose contenait principalement des scènes brutales basées sur son expérience réelle. Il avait écrit un recueil de nouvelles sur son service militaire en Tchétchénie en tant que policier anti-émeute (Pathologies) et décrit la vie dans la province russe ainsi que le quotidien d'un garçon ordinaire d'un village (Le Péché). L’une de ses œuvres les plus célèbres était San’kia, roman consacré à un jeune opposant tapageur du parti national-bolchevique (interdit en Russie) qui participait activement à des manifestations et était sous l'influence de son mentor (dans la vraie vie, Edouard Limonov).

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Les livres de Prilepine ont toujours été des best-sellers et ont remporté de nombreux prix littéraires. C'est un écrivain très talentueux qui utilise de nombreuses métaphores inhabituelles et vivantes ; son récit possède un rythme et un ton rapides.

Après la publication de L’Archipel des Solovki, Prilepine s'est rendu à Donetsk, dans l’est de l’Ukraine en guerre, et a commandé un bataillon de la République populaire de Donetsk (RPD) qui combattait les assauts de l'armée ukrainienne – c’est très probablement la raison pour laquelle ses livres ont presque cessé d'être traduits en anglais, son agence littéraire allemande ayant même mis fin à leur collaboration.

En 2018, lorsque le chef de la RPD, Alexander Zakhartchenko, a été tué, Prilepine est retourné en Russie. Il continue actuellement d'écrire, de travailler comme animateur de télévision et de s'impliquer dans la politique. Mais son séjour dans le Donbass a suscité une controverse dans les médias, créant en outre un schisme parmi ses fans russes, entre ceux qui ne supportent plus de le lire à cause de son activité politique et ceux qui distinguent l'homme et l’œuvre.

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