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Le jury et le public ont rendu leur verdict le 23 novembre lors de la soirée de clôture du festival de Honfleur. Le film Un simple crayon a été distingué trois fois, recevant notamment le Prix du meilleur film. Cette œuvre de la scénariste et réalisatrice Natalia Nazarova est dédiée au travail désintéressé et souvent ingrat d'un professeur d'école.
L'héroïne, professeure de dessin dans une bourgade pauvre et dominée par les voyous qui terrorisent la population, essaie dans ses cours de parler de valeurs importantes aux élèves. Elle utilise un simple crayon – un outil que tout le monde peut se permettre. Grâce à ce dernier, elle apprend aux enfants à remarquer la beauté qui les entoure, à développer leurs capacités, à être attentifs les uns aux autres et à ouvrir leur cœur à l'amour.
Les films en compétitions du 27e Festival de Honfleur
Maria TchobanovUn simple crayon a marqué et ému, par son histoire et la beauté des images, par la rigueur du scénario et de la mise en scène, non seulement le jury professionnel, mais également le public. C’est en effet grâce au vote des spectateurs que le travail de Natalia Nazarova doit sa deuxième récompense – le Prix du public.
Dans une interview à Russia Beyond, le chef opérateur Andreï Naydenov, qui représentait le film à Honfleur, a confié que les images avaient été tournées en Carélie, dans la ville de Segueja, un lieu totalement inconnu du cinéma, car éloigné des chemins de fer et des grands axes routiers. Cet endroit correspondait parfaitement au scénario – il y avait une usine, un quartier de baraques en bois et de beaux paysages autour. L’équipe a attendu un an avant de tourner, pour arriver à ce moment exact de l’automne bien avancé, quand les arbres ont déjà perdu leur feuillage. Malgré le budget très réduit et grâce à une bonne organisation et à la mobilisation de toute l’équipe, les images ont été prises en quelques jours seulement, pendant lesquels la nature était dans un état correspondant parfaitement à l’esprit du film et à l’idée de son auteur.
Andreï Naydenov, chef opérateur du film Un simple crayon
Maria TchobanovSelon Andreï Naydenov, la plupart des figurants ne sont pas des acteurs professionnels et ont été trouvés sur place. Par ailleurs, tous les locaux du tournage étaient de vrais bâtiments dans leur état naturel, sans artifices, avec toute la misère montrée dans le film.
« Nous avons eu pour ce film la liberté de prendre des décisions créatives et techniques par les professionnels eux-mêmes sans le dictat des producteurs. J’aime beaucoup ce film, ce qui n’est pas toujours le cas pour le travail que je réalise. À ma grande surprise, il n'a pas été particulièrement distingué dans les autres festivals, mais à Honfleur, il a reçu la récompense qu’il mérite. J’ai vu ici d’autres films formidables, mais c’est triste de constater à quel point la réalité que montrent les réalisateurs russes est lugubre. Une telle concentration de problèmes évoqués en quelque jours ne peut pas réjouir, mais c’est l’empreinte de la réflexion, de la douleur et des tensions internes, qui sont ainsi transmis par les auteurs », a avoué Andreï.
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Il a également été impressionné par l’ampleur de l’intérêt du public français pour les films. « À plusieurs reprises je n’ai pas pu accéder à des séances faute de places dans la salle. Nous racontons les histoires d’un autre monde, d’un autre contexte culturel, les histoires souvent déprimantes – pour percevoir tout cela il faut être très ouvert et cela demande des efforts. J'admire le public français. Le pays a été bien choisi pour ce genre de cinéma », a résumé l’artiste.
Klim Shipenko, réalisateur du film Texto
Maria TchobanovLe journaliste et scénariste Guy Konopnicki, qui a remis le prix, a souligné avoir été touché par la formidable liberté d’esprit et le courage qu’il a admiré à travers tous les films du concours qui abordent des aspects sensibles de la société russe.
Konopnicki a remarqué que le scénario de Texto touche tous les codes du genre policier, cinématographique ou littéraire, mais il les déjoue tous. « On croit savoir où on amène le spectateur, mais l’auteur finalement emprunte un autre chemin. Et comme chez les grands classiques de la littérature russe et française, on trouve dans ce scénario le principe selon lequel tout personnage, même le plus noir, a droit à une sorte de rédemption et tout cela donne une construction extraordinaire à ce film », a expliqué le membre de jury.
Klim Shipenko, réalisateur du film Texto a commenté cette récompense : « C’est le tout premier prix gagné par ce film, et il est très juste qu’il soit attribué au scénario, parce que ce film a commencé par le livre et le scénario de Dmitri Gloukhovski. Pour toute notre équipe c’était un scénario de rêve, nous étions tous très impatients de le réaliser. Et je me réjouis pour Dimitri, car c’est son premier scénario et la première adaptation cinématographique de son œuvre ».
Les Prix
Maria TchobanovEn parlant de son film au correspondent de Russia Beyond, Klim a souligné vouloir avertir du danger de la confiance que les gens prêtent aujourd’hui aux smartphones. Effectivement, l’un des personnages du film reste vivant pour ses proches et collègues longtemps après sa mort, en raison des messages et des textos, envoyés de son téléphone par une autre personne. « Ces appareils prennent la place de notre âme, on leur fait confiance, on garde dans sa mémoire tout et n’importe quoi. Je n’ai pas vu encore quelqu’un d’autre évoquer ce thème. Je veux que les gens revoient leur attitude par rapport à tous ces gadgets qui ont envahi notre vie », explique le réalisateur.
Un autre thème abordé par le film est l’impuissance de l’homme face à l’abus de pouvoir commis par les forces de l’ordre. Sorti sur les grands écrans en Russie, Texto a eu un énorme succès auprès du public. « J’ai eu des échos, que certaines personnes ont vu le film trois fois de suite. Il tient le spectateur par sa sincérité, émotivité, l’empathie. J’ai voulu que le spectateur profite de l’expérience, qu’il vive avec le personnage tous les événements, qu’il se mette à la place du personnage et commence à réfléchir à des décisions qu’il prendrait dans des circonstances similaires. Le film est très long, de sorte qu'il colle sous la peau, pour donner l’impression du réel vécu. Le personnage principal est joué par Alexandre Petrov, un excellent acteur, très apprécié par le public russe. Aujourd’hui c’est l’acteur le plus demandé », a précisé Shipenko.
Le jury du 27e Festival du cinéma russe de Honfleur a également apprécié la performance d’Alexandre Petrov, mais aussi de son adversaire dans l’histoire, interprété par Ivan Yankovsky. Ils ont ainsi partagé le Prix du Meilleur Acteur.
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« Se rendre pour la première fois en France et repartir avec le Prix de la meilleure interprétation – c’est du domaine de rêve. J’aime beaucoup jouer les personnages qui combattent l'obscurité à l'intérieur d’eux-mêmes. Ce rôle est mon premier ou je joue un personnage négatif, mais ce n’est pas le méchant, c’est une personne égarée, une victime du système, son père ou sa mère ont tout décidé pour lui, il ne s’est pas réalisé en tant qu'homme, il n'a pas pris la responsabilité de sa vie. Cela l'a anéanti. Ayant le pouvoir et la force, il est resté un garçon et s'est perdu. Avec le personnage d'Ilya (Alexandre Petrov), ils sont comme le revers de la médaille : ils sont très semblables dans leur tragédie », a commenté Ivan.
Klim Shipenko, réalisateur du film Texto et Ivan Yankovsky, acteur
Maria TchobanovAbordant la problématique du film, il souligne que l’œuvre en question n’avait pas pour objectif de distraire, mais de parler « des plaies qui font mal, des ulcères corporels et maladies chroniques de la société ».
« Il n’est pas confortable ce film, il continue de déranger même plusieurs jours après son visionnage. Et c’est le cinéma que je préfère en tant qu’acteur », a avoué Yankovsky.
Cette récompense a également été partagée entre Nadezhda Gorelova pour Un simple crayon et Elena Susanina pour Le Kérosène de Yussup Razykov. « Ce sont des personnages qui font à leur manière bouger le monde. Nadezhda Gorelova a composé un personnage d’une grande humanité, le personnage qui a l’intelligence de la bonté, la passion et la générosité d’éveiller et de transmettre, d’apprendre à voir », a noté l’actrice Julie Delarme en remettant le Prix avant que sa voix ne se noie sous l’ovation à l’annonce du nom d’Elena Susanina, qui a fait fondre le cœur du jury et du public par son interprétation d’un rôle d’une babouchka très courageuse et pleine de tendresse.
Elena Susanina, actrice du film Le Kérosène
Maria Tchobanov« Je n’ai pas le cœur assez grand pour accueillir tout l’amour que j’éprouve pour votre ville et pour ce public qui a regardé le film », a prononcé l’actrice en recevant le prix.
Yusup Razykov n’a pas hésité une seconde à confier le rôle principal à l’actrice du théâtre dramatique de Iaroslavl Elena Susanina. « Elle travaille au niveau moléculaire de l'excellence. Je l’ai remarquée dans un tout petit épisode dans mon film précèdent. C’est une personne extrêmement modeste et discrète, et en même temps très professionnelle et intelligente. C’était un énorme plaisir de travailler avec elle, Elena n’a pas besoin qu’on la dirige. Elle incarnait parfaitement le personnage que j’ai imaginé », partage son admiration le réalisateur.
L’histoire racontée dans Le Kérosène attendait dans des coulisses depuis plus de 30 ans. Yusup Razykov a rencontré le prototype de l’héroïne pendant son stage d’étudiant en Biélorussie. Une mamie, qui l’a hébergé avec d’autres copains dans sa maison, a raconté qu’elle voyait son mari défunt dans ses rêves et qu’il lui donnait des ordres. Son époux lui manquait beaucoup, elle l’aimait malgré son caractère sévère. Ce sont ses rêves qui ont maintenu en vie la vielle dame. Et si la poule tuée qui continue de pondre des œufs est sortie de l’imagination de Yusup, l’histoire avec le porcelet a bien été réelle, ainsi que de nombreux détails de la vie de cette vielle dame, qui ont été reproduits dans le film. Le Kérosène est conçu comme un conte de fées effrayant, avec de nombreuses références à des légendes et des contes folkloriques avec des personnages typiques reconnaissables, mais transférés sur le sol moderne et par conséquent mutés. Comme souvent dans les contes, l’héroïne est confrontée à de nombreuses épreuves, empruntées cette fois à la triste réalité de la sourde province russe avec tous ses problèmes sociaux et économiques, alourdis par les drames humains. Et en même temps il s’agit d’un drame d’un petit homme confronté à l’indifférence de l’État. Il faudra un « Ivan le Fou », un homme d’affaires mourant, pour aider la vielle dame à s’approvisionner en kérosène (on lui a coupé l’électricité).
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Marie-Pierre Thomas, Guy Konopnicki, Aline-Louise Issermann, Julie Delarme, Gérard Krawczyk
Maria TchobanovPour Elena, principalement actrice de théâtre, c’était le premier grand rôle au cinéma. « C’était un rôle avec très peu de texte, mais je le ressasse sans cesse, il y a tellement de significations dans chaque épisode, elles poussent à la réflexion. Je fais des parallèles avec ma propre vie et je me rends compte que les actions et les réactions de mon personnage me correspondent beaucoup. J’ai également autour de moi beaucoup de femmes très solitaires qui, malgré tous les malheurs et difficultés, vivent sans aucune amertume dans le cœur : elles aiment et prennent soin de toute personne qu’elles approchent », a commenté Elena Susanina.
Elle a également ajouté avoir éprouvé un grand plaisir à interpréter ce rôle. « Je l’ai presque vécu, car nous avons passé beaucoup de temps dans cette izba réelle, avec une cheminée pour se chauffer, ce lit qui figure dans le film fut mon vrai lit où je me reposais. Le cinéma exige d’être très naturelle, ce n’est pas le même jeu qu’au théâtre. Mais avec Yusup ce n’était pas du tout pénible : ce réalisateur pense à tout et à tout le monde, il prend soin de chaque personne de l’équipe. Bien sûr, ça donne envie de continuer cette aventure et de faire d’autres films », a remarqué l’actrice.
Katerina Mikhailova, productrice du film Les proches
Maria TchobanovDans cette catégorie a été récompensé le film Les Proches de la réalisatrice Ksenia Zueva, représentée au festival par la productrice Katerina Mikhailova, pour qui ce film fut également le début de son parcours cinématographique.
L’œuvre raconte une semaine d’une famille moscovite, confrontée à tous les maux de la société moderne, dont l’absence de vraies relations entre les gens.
« Ce thème touchait personnellement et moi et la réalisatrice Ksenia Zueva. Le début doit s’appuyer sur une grande envie de raconter quelque chose, il est impossible sans engagement personnel. Il a fallu le vivre pour être juste et convaincant. Au moment du tournage c’était pour nous la problématique la plus brulante et pour nous en sortir nous avons réalisé ce film. Mais le thème ne perd pas de son actualité. Ce n’est pas pour rien que cette année la famille est au centre du programme de Honfleur », a expliqué son choix la productrice.
Gérard Krawczyk, Président du Jury, la productrice Katerina Mikhailova et Andrey Stoyanov, acteur du film Les proches
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Au total, une quarantaine de films ont été projetés lors de cette 27e édition de Festival dont la famille était le thème central de la sélection. Même la mascotte du festival, l’ours rouge, créé par l’artiste Kinkas, affichait fièrement aux festivaliers sa famille nombreuse. Ce plus ancien et le plus important de tous les événements cinématographiques liés à la Russie en France, a une fois de plus permis au public français de prendre la mesure de l’immense richesse du cinéma d’auteur russe contemporain et d’avoir un aperçu des tendances du cinéma grand public.
Dans cet autre article, nous vous présentions cinq films russes à ne pas rater en 2019.
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