L’ancien maire d‘Ekaterinbourg, Evgueni Roïzman
Ulf Mauder/Global Look PressRussia Beyond désormais sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
À l’époque des tsars, aussi étrange que cela puisse paraître, le simple fait de peindre ces icônes aurait pu vous conduire à l’échafaud. Aujourd’hui, elles coûtent des centaines de milliers de dollars sur le marché de l’art, mais des points de vue culturels et historiques, elles sont inestimables.
L’histoire commence lorsque, vers 1650, après le schisme de l’Église orthodoxe russe, les vieux-croyants, d’une part, sont restés fidèles aux anciens textes et liturgies, et d’autre part, les nouveaux-croyants ont reconnu et approuvé les réformes du patriarche Nikon. L’État russe a quant à lui fermement soutenu les réformes et l’Église orthodoxe officielle et Alexis Ier a déclaré hérétiques les vieux-croyants, qui seront donc persécutés pour leurs croyances.
Alekseï Kivchenko. « Le patriarche Nikon révisant les livres du service religieux », 1880
Domaine publicLes vieux-croyants risquaient toujours une conversion forcée à l’orthodoxie dominante, mais gare à ceux qui osaient peindre des icônes de vieux-croyants : ils encouraient un châtiment bien pire encore. Un des points clé de la réforme de Nikon a en effet été de modifier les règles relatives à la peinture des icônes : le patriarche a exigé que la technique reste fidèle aux originaux grecs, interdisant par la même celle des vieux-croyants.
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Le schisme est même à l’origine de l’interdiction de certaines représentations. Par exemple, Saint Christophe était traditionnellement représenté avec une tête de chien et vénéré de la sorte par les vieux-croyants, qui n’ont par conséquent rien changé à leur tradition lorsqu’en 1722, l’Église officielle a demandé qu’on le peigne avec une tête humaine.
Vassili Sourikov. « La Boyarine Morozova », 1887. Feodossia Morozova était une des plus célèbres partisanes des Vieux-croyants.
Galerie TretiakovIls considéraient ces « nouvelles » icônes comme hérétiques et étaient prêts à payer de grosses sommes à ceux qui voudraient bien peindre les leurs, des artistes qui risquaient leur vie et leur liberté. Il est vrai qu’il peut paraître difficile de saisir l’importance de ces images pour les croyants.
À la fin des années 1990, les experts se rendent compte que la petite ville de Neviansk, dans l’Oural, est le centre névralgique de la confection d’icônes de vieux-croyants. Pendant de longues années, Evgueni Roïzman, ancien maire d’Ekaterinbourg, a rassemblé la plus large collection de celles-ci, la plus ancienne datant de 1734 et la plus récente de 1919.
Evgueni Roïzman dans son musée (Ekaterinbourg). L’icône « La mère du Dieu d’Egypte » est au centre (c’est la plus ancienne, 1734).
Service de presse« J’ai même découvert qu’un peintre d’icônes de vieux-croyants avait exercé jusqu’en 1934. Neviansk c’est la dernière école de peinture d’icônes 100% russe, non influencée par les traditions artistiques européennes », raconte Roizman.
Le style « Neviansk » est né au début du XVIIIe siècle, mais a vraiment pris son envol au début du XIVe, grâce au développement industriel de l’Oural. Les commandes de riches propriétaires d’usines, de mines d’or ou des marchands, beaucoup desquels étaient de vieux-croyants, ont permis aux maîtres de Neviansk de créer de magnifiques œuvres d’art religieuses.
À l’époque, Neviansk était une colonie de vieux-croyants avec quelques ateliers seulement. La vie n’était pas simple pour les peintres d’icônes : les descentes de police étaient régulières et les maîtres devaient cacher aussi bien matériel qu’œuvres.
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Ces artistes religieux ne peignaient pas pour vendre ; ils ne travaillaient que sur commande des vieux-croyants. Lorsqu’il n’y en avait pas, ils ne peignaient pas.
Peu d’icônes de ce style ont traversé les siècles, et la collection de Roïzman est véritablement unique en son genre. Ces icônes sont riches aussi bien dans leur exécution que dans les matériaux utilisés.
L’intérêt d’Evgueni Roïzman pour les vieux-croyants s’est manifesté lorsqu’il avait 15 ans. En 1999, il a créé le Musée des icônes de Neviansk à Ekaterinbourg et ouvert son incroyable collection au public. Grâce à son travail, les icônes de Neviansk font à présent partie des canons de l’art russe.
« À cause de la persécution, les vieux-croyants s’y sont fortement identifiés. La possession d’icônes affirmait votre adhésion au sein de la communauté », rajoute Roïzman.
La décollation de Jean-Baptiste après restauration.
Service de presseFragments de la même icône
Service de presseLes détails de certaines icônes sont parfois si infimes qu’un microscope peut s’avérer utile. « Pour les chevaux, chaque poil est tracé à l’or, tout comme la robe du prêtre », indique l’ancien maire.
« Le style Neviansk s’est développé en vase clos et les différentes époques de celui-ci sont visibles dans la collection d’Evgueni Roïzman, explique Elena Lavrentieva, une restauratrice d’icônes au Centre de restauration scientifique et artistique de Moscou. Il possède des dizaines d’icônes de la première période de Neviansk, elles datent de la première moitié du XVIIIe siècle et sont presque impossibles à trouver dans les musées d’État ou d’autres collections. De ce que l’on en sait, seules deux anciennes icônes de Neviansk se trouvent dans des musées d’État ».
La mère du Dieu d’Egypte est observée au microscope au Centre de restauration scientifique et artistique de Moscou.
Service de presseMacro-photo. Fragment du visage du Christ, La mère du Dieu d’Egypte
Service de presseMacro-photo. Les lèvres de la Vierge, La mère du Dieu d’Egypte
Service de pressePhoto aux rayons X, La mère du Dieu d’Egypte
Service de presseUne allumette permet de comparer la taille des visages
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Elena Lavrentieva étudie la collection depuis environ six mois et ses résultats indiquent qu’en tout, une dizaine de pigments ont été utilisés pour peindre toutes les icônes de la première moitié du XVIIIe. Les maîtres de Neviansk travaillaient selon la même technique que les maîtres de Moscou : une alternance de « belila » (peinture blanche) et d’« okhra » (ocre jaune).
L’analyse chimique des pigments prouve en outre que les peintres de l’Oural utilisaient de l’azurite, de l’indigo, du cinabre, du minium, des pigments rouges et certaines variétés d’ocre. Enfin, les fonds et les halos des saints étaient couverts de « dvoïnik », une fine feuille d’argent fusionnée à une feuille d’or.
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