Russes vs. Européens: les voyageurs du passé s'affrontent

Panoramic view of Moscow. Иллюстрация из книги Russia : its history and condition to 1877by Wallace, Donald Mackenzie, Sir, 1841-1919; Villari, Luigi, 1876-Published 1910

Panoramic view of Moscow. Иллюстрация из книги Russia : its history and condition to 1877by Wallace, Donald Mackenzie, Sir, 1841-1919; Villari, Luigi, 1876-Published 1910

Getty Research Institute
En lisant les notes de voyage des «travel-bloggers» des XVIIIe et XIXe siècles, on remarque que la Russie était loin d'être un pays agréable… Et que l’Europe ne valait pas mieux aux yeux des Russes.

L'empereur russe Nicolas Ier avait jeté de rage le livre du voyageur français le marquis Astolphe de Custine (qui avait pourtant été jugé digne d'une audience avec le tsar) en y lisant que la Russie était la prison des peuples. Le Français avait publié son ouvrage La Russie en 1839 à Paris, quatre ans après son voyage. Monarchiste convaincu, Custine s’était attendu à voir en Russie un État modèle, mais son voyage au travers du pays l’avait dressé contre l'absolutisme.

Chemins et mendiants

Un mendiant russe. Illusration du livre « Route à travers l'Asie. Images de la vie sibérienne, chinoise et tatare », par Thomas Wallace Knox, 1835–1896, publié en 1870. Crédit : Bibliothèque du CongrèsUn mendiant russe. Illusration du livre « Route à travers l'Asie. Images de la vie sibérienne, chinoise et tatare », par Thomas Wallace Knox, 1835–1896, publié en 1870. Crédit : Bibliothèque du Congrès

L’ouvrage en quatre tomes de Custine, décrivant la Russie comme un pays aux marécages infranchissables et en proie à la tyrannie bureaucratique, devint immédiatement un best-seller en Europe et fut interdit en Russie. Pratiquement tout avait déplu au Français capricieux : des pavés irréguliers des ponts à la religion « incorrecte », des punaises des hôtels à l’architecture. « Quand votre fils sera mécontent en France, usez de ma recette, dites-lui: +Allez en Russie+. C'est un voyage utile à tout étranger », recommande Custine.

Les récits de Russes sur l'Europe n'eurent pas ce genre d'écho à grande échelle, bien que leurs voisins européens en aient eux aussi reçu pour leur grade. « Je ne m'étais jamais autant trompé que dans ma représentation de la France », écrit en 1778 l'auteur russe Denis Fonvizine.

« Devant l’étable de notre bon hôte, le sol est bien plus propre que devant les palais des rois français (…) Ils sont tous aussi friands de divertissement qu’ils dédaignent le labeur ; le peuple ne supporte pas le travail, surtout celui considéré comme inférieur. La saleté dans la ville est telle, qu'un peuple pas encore totalement aliéné a toujours du mal à le supporter. L’été, on ne peut ouvrir les fenêtres presque nulle part à cause de l’air putride ».

Dans un village russe. Illustration tirée du livre « Ivan à la maison ; ou, Images de la vie en Russie », Barry Herbert, publié en 1972. Crédit : Bibliothèques de l'Université de CalifornieDans un village russe. Illustration tirée du livre « Ivan à la maison ; ou, Images de la vie en Russie », Barry Herbert, publié en 1972. Crédit : Bibliothèques de l'Université de Californie

Le sentimentaliste russe Nicolas Karamzine est du même avis quand il publie en 1791 lesLettres d'un voyageur russe : « Paris… est un offensant mélange de richesse et de misère ; auprès des brillantes boutiques de joaillerie, des amas de pommes et de harengs pourris ».

Fonvizine est encore plus critique à l'égard des routes européennes, que ne l'avait été Custine envers les russes : « Je rencontrais souvent des routes non pavées, mais partout on me demandait de payer cher pour le pavage, et lorsqu’on me demandait cet argent en me sortant de l’endroit où je m’étais enlisé, j’osais demander : quels pavés ? On me répondait alors que sa sainteté le souverain avait ordonné de récolter d'abord l'argent, et de paver ensuite ».

Custine est choqué de la misère des paysans russes, et Karamzine écrit à propos de Londres : « +Nos pauvres sont indignes+ de la meilleure part, c’est une règle affreuse ! Ici la pauvreté devient une tare !.. Si vous voulez prendre encore à celui qui n’a rien, envoyez-le en Angleterre ! »

Vue de la Perspective Nevski &ndash; Saint-P&eacute;tersbourg. Illustration du livre Route &agrave; travers l&#39;Asie. Images de la vie sib&eacute;rienne, chinoise et tatare, par Thomas Wallace Knox, 1835-1896, publi&eacute; en 1870.nCr&eacute;dit : Biblioth&egrave;que du Congr&egrave;s<p>Vue de la Perspective Nevski &ndash; Saint-P&eacute;tersbourg. Illustration du livre <em>Route &agrave; travers l&#39;Asie. Images de la vie sib&eacute;rienne, chinoise et tatare</em>, par Thomas Wallace Knox, 1835-1896, publi&eacute; en 1870.</p>n
Un pr&ecirc;tre. Illustration tir&eacute;e du livre Note d&#39;un s&eacute;jour de 9 ans en Russie de 1844 &agrave; 1853&nbsp;: avec les remarques des tsars Nicolas I et Alexandre II par Robert Harrison, publi&eacute; en 1855.nCr&eacute;dit : Institut de Recherche Getty<p>Un pr&ecirc;tre. Illustration tir&eacute;e du livre <em>Note d&#39;un s&eacute;jour de 9 ans en Russie de 1844 &agrave; 1853&nbsp;: avec les remarques des tsars Nicolas I et Alexandre II</em> par Robert Harrison, publi&eacute; en 1855.</p>n
La femme connect&eacute;e (d&#39;apr&egrave;s une caricature russe). Illustration du livre La Russie &agrave; travers les lettres d&#39;un r&eacute;cent voyageur&nbsp;de Charles Henry Pearson, publi&eacute; en 1859.nCr&eacute;dit : Universit&eacute; d&#39Oxford<p>La femme connect&eacute;e (d&#39;apr&egrave;s une caricature russe). Illustration du livre L<em>a Russie &agrave; travers les lettres d&#39;un r&eacute;cent voyageur</em>&nbsp;de Charles Henry Pearson, publi&eacute; en 1859.</p>n
Illustration tir&eacute;e du livre Voyages en Russie Europ&eacute;enne, publi&eacute; en 1826.nCr&eacute;dit : Universit&eacute; de Toronto / Biblioth&egrave;que Robarts<p>Illustration tir&eacute;e du livre <em>Voyages en Russie Europ&eacute;enne</em>, publi&eacute; en 1826.</p>n
 
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Loisirs et pouvoir

Au début du XVIIIe siècle, le pasteur suédois Henrik Sederberg, ayant passé du temps en captivité au moment de la guerre du Nord, s'indignait : « Pour le péché de Sodome [c'est à dire l'homosexualité], qui est aussi commun chez eux que chez les perses, leurs châtiments sont légers ».

Fonvizine accuse les Français de péchés moins exotiques : « Seules deux choses… attirent les étrangers en tel nombre : les spectacles et, si je peux me permettre, les filles. Si vous retirez ces deux appâts aujourd’hui, alors dès demain les deux tiers des étrangers quittent Paris. Les excès sont tels, que même des personnalités osent s'afficher en public accompagnés de ces filles ».

Custine se pose également en arbitre des mœurs : « Moscou est la ville de l'Europe où le mauvais sujet du grand monde a le plus ses coudées franches. Le gouvernement de ce pays est trop éclairé pour ne pas savoir que, sous le pouvoir absolu, il faut que la révolte éclate quelque part; et il l'aime mieux dans les mœurs que dans la politique. Voilà le secret de la licence des uns et de la tolérance des autres. Néanmoins la corruption des mœurs a ici plusieurs autres causes que je n'ai ni le temps ni le moyen de discerner ».

Travailleurs russes. Illustration du livre Ivan &agrave; la maison ; ou, Images de la vie en Russie de Barry Herbert, publi&eacute; en 1872.nCr&eacute;dit : Biblioth&egrave;ques de l&#39Universit&eacute; de Californie<p>Travailleurs russes. Illustration du livre <em>Ivan &agrave; la maison ; ou, Images de la vie en Russie</em> de Barry Herbert, publi&eacute; en 1872.</p>n
Habitants de Sib&eacute;rie. Illustration du livre Reise nach West-siberien im Jahre 1876&nbsp;de Otto Finsch, publi&eacute; en 1879.nCr&eacute;dit : Universit&eacute; du Michigan<p>Habitants de Sib&eacute;rie. Illustration du livre <em>Reise nach West-siberien im Jahre 1876</em>&nbsp;de Otto Finsch, publi&eacute; en 1879.</p>n
Ch&acirc;timent sommaire d&#39;un moujik par un Causaque &agrave; Nijni Novgorod. Illustration tir&eacute;e du livre Une description illustr&eacute;e de l&#39;Empire russe&nbsp;: Ses caract&eacute;ristiques g&eacute;ographiques, ses divisions politiques, ses principales villes et villages, us et coutumes, r&eacute;sum&eacute; historique, etc.&nbsp;par Robert Sears, 1810-1892, publi&eacute; en 1855.nCr&eacute;dit : Biblioth&egrave;ques de l&#39Universit&eacute; de Californie<p>Ch&acirc;timent sommaire d&#39;un moujik par un Causaque &agrave; Nijni Novgorod. Illustration tir&eacute;e du livre <em>Une description illustr&eacute;e de l&#39;Empire russe&nbsp;: Ses caract&eacute;ristiques g&eacute;ographiques, ses divisions politiques, ses principales villes et villages, us et coutumes, r&eacute;sum&eacute; historique, etc.</em>&nbsp;par Robert Sears, 1810-1892, publi&eacute; en 1855.</p>n
Vue panoramique de Moscou. Illustration du livre Russie&nbsp;: son histoire et sa condition jusqu&#39;&agrave; 1877&nbsp;par Sir Wallace Donald Mackenzie, 1841-1919, publi&eacute; en 1910.nCr&eacute;dit : Institut de Recherche Getty<p>Vue panoramique de Moscou. <em>Illustration du livre Russie&nbsp;: son histoire et sa condition jusqu&#39;&agrave; 1877</em>&nbsp;par Sir Wallace Donald Mackenzie, 1841-1919, publi&eacute; en 1910.</p>n
 
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Les Européens critiquent à l'unanimité le pouvoir autocratique russe. « L'unité des actions, inhérente au despotisme, rend la Russie effrayante, écrit au début du XIXe siècle l’envoyé bavarois François-Gabriel de Bray. Le souverain a le pouvoir de détruire toutes les parties de ce vaste organisme : il n’y aura ni obstacle ni contrepoids ».

Du reste, le voyageur suédois de la moitié du XIXe siècle Johan Jerne, estime que les Russes ont besoin d'un pouvoir fort : « Je suis dans le devoir d'affirmer que dans ce régime autocratique inhumain… la liberté et la douceur sont ici des poisons mortels qui pourrait détruire l’État ; c’est pourquoi la nature elle-même les a dotés d’un tempérament lâche et servile ».

Fonvizine estime également que la liberté française est une illusion : « L'homme pauvre ne peut pas gagner sa pitance autrement que par le travail d'esclave, et s'il désirait faire usage de sa si chère liberté, il serait contraint à mourir de faim. Ainsi, la volonté est un mot vide, et la loi du plus fort reste la première de toutes les lois ».

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