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8h45, le 1er septembre 2010. Je me tiens timidement dans un hall d'école étouffant, parfumé par des dizaines de bouquets de fleurs élaborés et l'eau de toilette des mamans. Tout autour de moi, se tiennent mes camarades rayonnants, vêtus de façon immaculée, et leurs parents ; les mères et les filles dans des robes extravagantes, les cheveux ornés de rubans blancs. Pour les garçons et leurs pères – costumes, cravates et chaussures brillantes (certains portent même des lunettes d'aviateur teintées et des chapeaux haut-de-forme...). Les bavardages, la musique et le nombre impressionnant de plantes dans la minuscule salle sont autant d'éléments qui créent une confusion générale, cette semi-anarchie sans complexe, mais étrangement séduisante, si typique de la Russie.
C'est la rentrée des classes « à la russe », une expérience que j'ai eu la chance de vivre deux fois au cours des deux années que j'ai passées à Moscou avec ma famille, de 2010 à 2012. Le passage d'un bourg pittoresque du sud-est de l'Angleterre à la vaste et écrasante métropole de Moscou m'a ouvert les yeux sur de nombreuses différences culturelles frappantes, l'une d'entre elles étant l'attitude des Russes à l'égard de l'école et plus particulièrement la façon dont ils marquent le début de l'année scolaire.
Au Royaume-Uni, c'est quelque chose que nous redoutons : les vacances d'été se terminent, la pluie de septembre s'insinue, les semaines précédant la rentrée scolaire sont passées par des parents qui achètent dans la panique des chaussettes de sport et se disputent avec leurs enfants pour leur expliquer pourquoi ils n'ont pas besoin chaque année d'un ensemble complet de gommes aux couleurs de l'arc-en-ciel.
L'ampleur de la célébration russe du premier jour d'école – fête appelée « Jour de la connaissance » (« день знания »/« dien znania » en russe) – dépasse toutes les tentatives que nous effectuons au Royaume-Uni pour appréhender la nouvelle saison scolaire.
Le 1er septembre, « Journée du savoir »
Archives personnellesPour moi, les Russes réalisent quelque chose de vraiment beau et mettent le doigt sur quelque chose que nous ne remarquons pas chez nous : cette journée ne doit pas être un retour à contrecœur à la banalité des leçons et des devoirs. Ce jour peut, au contraire, être une célébration de la connaissance, une observation, une appréciation de l'éducation et de tout ce qu'elle nous apporte. Cette journée est l'occasion d'honorer la tradition, de se rassembler, de s'ancrer et de préparer son esprit à l'année d'apprentissage qui s'annonce.
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Je me traîne dans mes collants et mes bottes qui grattent, serrant, embarrassée, mon bouquet qui commence à perdre de sa fraîcheur.
À 9 heures précises, la cloche de l'école sonne sous les acclamations et les applaudissements, selon une tradition connue sous le nom de « Première sonnerie » (« первый звонок »/« pervy zvonok » en russe). Les anciens élèves et les bienfaiteurs prononcent des discours, l'hymne de l'école est chanté et les enseignants sont couverts de fleurs. C'est dans une atmosphère de fête que l'année scolaire commence.
J'ai fréquenté l'école à Moscou de 10 à 12 ans – l'équivalent des 6e et 7e classes. Au Royaume-Uni, c'est le moment où l'enfant acquiert sa première indépendance, qu'il s'agisse d'aller à l'école à pied et d'en revenir seul, de prendre la responsabilité de ses propres affaires ou de faire ses devoirs sans aide. Étant l'aînée d'une famille de trois enfants et ayant déjà eu les rênes considérablement relâchées dans mon pays, j'ai été choquée de découvrir le traitement réservé aux enfants de mon âge en Russie.
Le concept national séculaire de « soins » (« забота »/« zabota » en russe) fait référence à l’attention rigoureuse et à la protection des enfants par les générations plus âgées, au point que cela devient pratiquement leur travail à plein temps. À l'époque où j'étais à l'école, cela se présentait sous de nombreuses formes : on nous gavait de nourriture, on nous enveloppait de vêtements d'hiver et on nous rappelait que la plupart des choses pouvaient d'une manière ou d'une autre nous rendre malades. Certains comportements m'ont paru tout simplement extraordinaires – lors d'un camp d'été scolaire en Grèce, nous avions le droit de nous exposer au soleil pendant exactement dix minutes et de rester dans l’eau de mer durant précisément cinq minutes, les deux étant chronométrés. Dans la salle de classe, seuls les garçons étaient autorisés à déplacer les meubles, les filles étant considérées comme trop faibles et délicates. Les filles et les enseignantes n'avaient pas non plus le droit de s'asseoir sur le sol, en raison du risque d'infertilité, ni de croiser une jambe sur l'autre lorsqu'elles étaient assises, en raison du risque de caillots sanguins.
Je comprends maintenant que ces comportements déroutants, que je trouvais parfois frustrants, ridicules et restrictifs, ne sont que la preuve de l'impact énorme du passé turbulent de la Russie sur ses coutumes sociales. Les préoccupations relatives à la santé, à la maladie, à la chaleur et à la nourriture proviennent d'une époque où des millions de personnes mouraient dans les hivers russes glaciaux, où la famine sévissait dans tout le pays et où les mauvaises conditions de vie et le rude labeur faisaient que beaucoup tombaient malades ou mouraient jeunes.
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Je suis arrivée à mon école russe en connaissant très peu de choses de la langue, que je sais maintenant pleine de belles complexités et nuances. Malgré la désorientation et les erreurs de communication dues au fait de ne pas comprendre ce qui se passait autour de moi la plupart du temps, je pense que j'ai été davantage déconcertée par les comportements de mes camarades et de mes professeurs, que je trouvais si peu familiers et si intrigants.
Parmi les éléments notables, il y avait la nourriture : mon école, qui était privée, se chargeait de nous nourrir constamment – à notre arrivée à 8 heures du matin, on nous donnait un petit-déjeuner composé de fromage ou de saucisse sur du pain, de la kacha (bouillie de céréale) et des tasses de thé noir très sucré. Après la première leçon, venait le deuxième petit-déjeuner, qui était à peu près le même, bien qu'il comprenait parfois, de manière inexplicable, des pâtes au fromage. Le déjeuner avait lieu trois heures plus tard et se composait de classiques russes – l'obligatoire soupe, les kotlety (boulettes de viande), les pelmeni (ravioles) et syrniki (palets de fromage blanc) et encore du thé sucré. Après le déjeuner, nous allions dehors, pour une sorte de récréation, qui était suivie d'un goûter : généralement, un fruit, une sorte de gâteau sucré et encore plus de thé sucré – ce n’est pas une surprise que nous étions tous constamment hyperactifs ! Puis venait le dîner à 17 heures, avant deux heures de clubs après l'école.
L'habillement était une chose à laquelle j'ai également dû m'adapter. Nous passions au moins 30 minutes par jour à nous déshabiller en entrant dans le bâtiment, puis à nous rhabiller pour le temps passé à l'extérieur, en particulier pendant les mois d'hiver. Tous les élèves avaient une paire de « chaussures d'intérieur », qui étaient conservées à l'école – malheur à celui qui salissait l'intérieur avec ses « chaussures d'extérieur » enneigées !
Les valeurs russes sont également défendues dans le cadre du programme scolaire. On mettait l'accent sur l'apprentissage des choses par cœur, qu'il s'agisse de la poésie de Pouchkine ou d'un morceau de piano ; la capacité de réciter ou de jouer de mémoire confirmait une connaissance et une appréciation absolues. Je me souviens très bien d'avoir reçu des tapes indignées sur la main de la part du professeur de piano Elena, alors que je massacrais le thème de Titanic. J'ai eu plus de succès lorsque j'ai interprété de bon cœur У лукоморья дуб зелёный (Un chêne vert au creux de l'anse, extrait du poème de Pouchkine Rouslan et Lioudmila), ce qui m'a valu une note de 4 sur 5. Alors que l'immortalisation des grands artistes et de leur art était fondamentale à l'école et, en fait, l'est dans toute la Russie, la créativité de l'individu était énormément encouragée – j'étais impliquée dans de multiples projets personnels et collectifs dans les domaines du cinéma, de la photographie et du théâtre.
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Je me suis habituée à un niveau d'informalité dans nos interactions avec les enseignants ; ils nous grondaient souvent ou tentaient de nous raisonner ou de faire des compromis avec nous, comme si nous étions leurs propres enfants et qu'ils étaient nos tuteurs plutôt que des passeurs de connaissances employés. Pour moi, c'était l'une des plus grandes différences entre l'école à Moscou et celle au Royaume-Uni. Peut-être était-ce dû au fait que nous passions près de 11 heures par jour à l'école, mais j'ai appris à aimer mes professeurs, tout en ressentant parfois une profonde frustration et de la colère à leur égard, lorsque je pensais qu'il y avait eu une injustice. Je sais que mes camarades ressentaient la même chose : nous partagions une confiance profonde dans nos enseignants et nous nous reposions mutuellement sur leur présence constante, à laquelle ils répondaient par des comportements quasi maternels.
En rentrant au Royaume-Uni et à l'école locale, je me suis émerveillée de la facilité de tout, de la simplicité de la communication, de l'indépendance, des libertés que nous avions. D'une manière étrange cependant, bien que j'avais passé les deux années précédentes à être traitée comme une enfant beaucoup plus jeune que mon âge, j'avais grandi et mûri bien plus que n'importe qui d'autre.
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