L’amélioration des rapports franco-russes est inéluctable

La place de l'Europe à Moscou.

La place de l'Europe à Moscou.

Viktor Velikzhanin / TASS
La reprise du dialogue avec Moscou, un impératif de notre époque

Les « jeux » de la présidentielle française seraient-ils faits ? À lire la presse française, on serait tenté de répondre par l’affirmative. Personnellement, je ne serais pas portée à partager cette opinion. Il reste un long chemin à parcourir, et les mois qui viennent pourraient nous réserver bon nombre de surprises. 

Mais il existe tout de même un certain nombre de certitudes qui ne dépendront pas du nom du prochain locataire de l’Elysée. Une de ces certitudes est que les rapports entre la France et la Russie ne resteront pas dans l’état pitoyable où il se trouvent aujourd’hui, et évolueront vers des horizons plus sereins et raisonnables. 

Je me permets de l’affirmer car les deux finalistes probables de la course présidentielle du printemps 2017, François Fillon et Marine Le Pen, se prononcent publiquement pour une normalisation des relations franco-russes. Les façons de le dire sont, certes, différentes, mais l’idée est dans l’ensemble la même. Il existe un très grand nombre de domaines où Paris et Moscou peuvent agir conjointement pour trouver des solutions convenables aux yeux des deux parties, et les deux pays doivent, au moins, tenter d’explorer ces pistes. Sécurité, lutte contre le terrorisme, Proche-Orient, Ukraine, économie… Voilà des sujets où coopérer serait plus utile de que de s’entêter dans une confrontation stérile si tant est que l’on veuille vraiment aboutir à des solutions.

Les autres candidats au poste suprême en France se verront aussi dans l’obligation de tenir compte, d’une façon ou d’une autre, de cet impératif. Ce n’est pas dû, à mon avis, à une soudaine révélation. C’est tout simplement dans l’air du temps.

Les vents, dans la politique française et occidentale, sont en train de tourner et ceci ne s’explique pas des manipulations orchestrées depuis Moscou. Même s’il serait bien évidemment flatteur, pour une Russe, de croire que mon pays possède une telle influence sur les destinées des autres pays…  

La réponse se trouve du côté occidental, France comprise, et la Russie n’est qu’un élément de changements en cours incapables de se résumer aux rapports entre pays, si importants qu’ils soient. Depuis plusieurs années on assiste, en France comme en Occident, à la montée de forces politiques qui proposent une rupture avec ce qu’il était convenu d’appeler la pensée unique. Le monde politique était partagé en deux camps inégaux. Le gros morceau était constitué par les partis de gouvernement en mesure de prétendre diriger un jour le pays. Ils avaient des couleurs politiques différentes, pouvaient s’affronter, s’opposer les uns aux autres, alterner dans l’exercice du pouvoir, et afficher des différences parfois importantes. Dans le même temps, ils garantissaient sur les grands dossiers une continuité sans faille de la ligne générale. 

Prenez l’austérité. Elle dure depuis des décennies, avec des ajustements de temps à autre, que soient au pouvoir, dans tel ou tel pays, un gouvernement de gauche ou de droite, des socialistes, des libéraux, des chrétiens démocrates, des conservateurs ou des coalitions. Et de fait, l’austérité était depuis longtemps présentée comme la seule voie possible et raisonnable. Une fois au pouvoir, chacun la pratiquait sans se poser de questions. 

N’étant pas économiste, je ne prétends pas déterminer ici si cette approche est correcte ou non, me limitant à une simple constatation. 

Je constate également que ces derniers temps, des voix de plus en plus insistantes se faisaient entendre, dans plusieurs capitales d’Europe pour mettre en doute l’austérité en tant que choix unique, en proposant de privilégier le développement fondé sur un strict contrôle des comptes publics. Là non plus, l’objectif de ce papier n’est pas de décréter si une telle approche est correcte ou non.  

La situation était similaire dans d’autres domaines clé. Or, il y a dans le débat politique de plus en plus de forces politiques qui mettent en doute ces certitudes. Elles sont de plus en plus suivies par les électeurs et par la société. Ces forces se font entendre dans un nombre croissant de pays occidentaux, et se concentrent sur des sujets divers, en fonction des problèmes locaux les plus porteurs. Ces forces peuvent être de gauche, nationalistes, ou eurosceptiques. En dépit de leurs différences, elles sont réunies, sans le vouloir, par un rejet commun de la pensée unique imposée.

La récente élection présidentielle aux États-Unis a elle aussi été présentée de  façon biaisée par les tenants de la vérité officielle, acquise et immuable. D’un côté il y aurait une dame correcte,  perspicace, sage, expérimentée et responsable, de l’autre un milliardaire déséquilibré et excessif sans aucune expérience politique. C’est pourtant ce dernier qui a remporté le scrutin en venant à bout de toute la machine politique et médiatique américaine coalisée contre lui.

La victoire de M. Trump s’explique par la nécessité pressante, pour les États-Unis, de repenser leurs priorités, de redéfinir les intérêts nationaux, au niveau économique et social en premier lieu, mais également concernant la politique étrangère, Russie incluse. Le président élu avait contre lui ce qu’on appelle le consensus de Washington, réunissant neoconservaturs républicains et interventionnistes démocrates, le compexe militaro-industriel et un secteur financier un peu déboussolé depuis Lehman Brothers ; mais son discours s’appuyait l’économie réelle (BTP, énergie, industrie chimique, etc.), une grande partie de l’appareil de sécurité et de très larges couches de l’Amerique profonde qui se sentait oubliée et qui ne votait plus depuis longtemps. Populistes, les majors pétrolières ?

Son élection pourrait servir de cataliseur aux processus en cours sur la scène politique européenne. L’Europe commence à se poser les bonnes questions sur ses intérêts réels. La classe politique traditionnelle se sent menacée. 

Les résultats des récentes élections présidentielles en Bulgarie et en Moldavie ont déjoué les attentes des tenants de la pensée unique. Les élections présidentielles en Autriche s’inscrivent dans la même logique. Le réferendum du 4 décembre en Italie ouvre la voie à des changements politiques majeurs. L’Espagne, après un an sans gouvernement, en a enfin formé un, ce dernier ne disposant toutefois pas de la majorité au parlement. Des surprises pourraient avoir lieu lors du prochain scrutin parlementaire aux Pays-Bas et même en Allemagne à l’automne 2017. Les Britanniques, comme d’habitude, ont tranché sec, optant carrément pour le Brexit.

Les élections françaises vont dans le même sens. Comme si les Français n’avaient plus honte de penser à leur intérêts nationaux, qui ont changé dans un monde en mouvement, et refusaient de se laisser mener  dans une impasse où il n’ont aucune envie de se retrouver. Le fait que M. Fillon ait commencé à monter dans les sondages immédiatement après la victoire de M. Trump est à cet égard révélateur. Peut-on décemment réduire cela à du populisme ? 

Et la Russie dans tout ça ? La redéfinition des intérêts nationaux de la France, de l’Europe, et de l’Occident tout entier exige aussi une autre approche de la Russie. Ce pays devrait être perçu comme une partie de la solution et non du problème, à différence de ce que l’on affirmait officiellement jusqu’à il y a peu. C’est pourquoi je suis optimiste : les choses devraient évoluer positivement, lentement mais sûrement, pour le bien commun, pour une Europe plus sûre et équilibrée, pour une prospérité commune. Il n’y aura pas de perdants à ce jeu-là. C’est gagnant-gagnant.

Ella Ermakova, docteure en Histoire, Institut d'État des relations internationales de Moscou

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