Russie, Turquie : un partenariat stratégique... vraiment ?

Le président Vladimir Poutine avant la rencontre avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan à Saint-Pétersbourg.

Le président Vladimir Poutine avant la rencontre avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan à Saint-Pétersbourg.

Reuters
Maxime Ioussine analyse dans Kommersant les conséquences de la rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan

La réconciliation entre la Russie et la Turquie, entérinée lors du sommet présidentiel de Saint-Pétersbourg mardi 9 août, ne doit pas susciter d'attentes infondées ou d'illusions démesurées. Trop de problèmes et de contradictions profondes subsistent dans les relations entre Moscou et Ankara pour parler, comme le font déjà certains commentateurs, d'une « alliance stratégique ».

1. Problème numéro un : la position diamétralement opposée des parties sur le conflit syrien. Vladimir Poutine mise sur Assad, tandis qu'Erdogan souhaite que ce dernier soit rapidement renversé. Et sur ce plan, rien n'a changé. Pas plus que ne s'est interrompu le soutien d'Ankara aux différents groupes d'opposition syriens qui mènent aujourd'hui l'offensive contre la ville d'Alep – et que l'aviation russe bombarde. Il ne faut pas oublier que c'est justement leurs antagonismes sur le conflit syrien qui ont entraîné une crise sans précédent des relations bilatérales, après la destruction d'un bombardier russe par l'armée turque en novembre 2015. Cette contradiction n'a pas disparu.

2. Le deuxième problème est également lié à la guerre en Syrie : il concerne les relations avec les Kurdes. Pour Ankara, les membres des groupes kurdes qui se battent contre les islamistes radicaux en Syrie sont des opposants, des séparatistes et les complices des « terroristes » du Parti des Travailleurs du Kurdistan, avec lequel Erdogan est en guerre. Moscou, au contraire, voit les les Kurdes syriens comme de potentiels alliés et entretient traditionnellement des relations amicales avec les Kurdes de Turquie – aucune hostilité, donc.

3. Le troisième problème est le conflit qui oppose l'Arménie à l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh. Moscou, malgré toute ses déclarations et sa volonté manifeste d'objectivité, est considéré comme un allié potentiel de l'Arménie – pays partenaire de la Russie au sein de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC). Quant à la Turquie, elle ne tente même pas de feindre l'objectivité et l'impartialité : elle est sans équivoque du côté de Bakou.

4. Le quatrième problème concerne également l'espace post-soviétique. En effet, Ankara jouit d'une position forte dans les pays turcophones de l'ex-URSS (hormis l'Azerbaïdjan, Anakara a des liens forts avec l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Turkménistan), que Moscou perçoit comme une concurrence géopolitique. La pénétration turque dans les républiques turcophones de la Fédération de Russie est aujourd'hui un thème très sensible.

5. Cinquième problème : sur le territoire de la Turquie opèrent ouvertement des organisations opposées à Moscou, nord-caucasiennes ou tatares de Crimée. Elles s'appuient sur le soutien d'une diaspora importante et influente, c'est pourquoi même si le président Erdogan souhaitait supprimer ce sujet irritant dans les relations avec Moscou, il rencontrerait une sérieuse opposition à l'intérieur du pays.

6. Sixième problème : la crise de confiance. Moscou ne parle plus publiquement de l'attaque contre l'avion russe. Mais l’épisode n'est pas oublié pour autant. Pas plus que les déclarations à chaud des autorités turques, notamment du président Erdogan, qui n'étaient en rien pacifiques. Il serait étrange qu'après la destruction du bombardier Su-24, Moscou n'ait pas tiré de conclusions sur la fiabilité et la prévisibilité des autorités turques.

7. Dernier problème : le rapprochement actuel est largement contraint. Tant Moscou qu'Ankara sont considérés avec méfiance de la part de l'Occident, qui tente de prendre ses distances. Dans cette situation, il semble naturel de trouver un autre partenaire pour éviter l'isolement international. Mais si la Turquie améliore ses relations avec les USA et l'UE, il n'est pas certain qu'elle continuera de collaborer avec la Russie et de mettre en œuvre des projets tels que le gazoduc Turkish Stream.

Il est donc un peut trop tôt pour parler d'un partenariat stratégique entre Moscou et Ankara. On peut même déjà dire qu'il ne s'agit que d'une vague imitation. Mais si l'on compare la trêve actuelle avec la situation qui régnait il y a encore six mois, quand les deux pays étaient au bord du conflit armé, on peut considérer qu'il s'agit d'un grand progrès. Dans ce contexte, on peut espérer qu'Ankara et Moscou essaieront de régler certains des problèmes bilatéraux susmentionnés.

Source: Kommersant

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