Irkoutsk, carrefour culturel en Sibérie orientale

Tourisme
WILLIAM BRUMFIELD
L’historien de l’architecture et photographe William Brumfield met en lumière Irkoutsk, ses origines et son importance stratégique, non loin des rives du lac Baïkal et longtemps considérée comme une ville frontière entre l’Est et l’Ouest de la Russie.

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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) a mis au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles. Sa conception de l’art photographique comme forme d’éducation et source de connaissances est particulièrement bien incarnée dans les nombreuses photographies qu’il a réalisées de monuments architecturaux à travers toute la Russie.

En juin 1912, Prokoudine-Gorski s’est aventuré en Sibérie occidentale dans le cadre d’une commande visant à documenter la voie navigable Kama-Tobolsk, un lien entre les versants européen et asiatique des montagnes de l’Oural. La ville de Tioumen a alors servi de point de départ pour son voyage vers le nord jusqu’à Tobolsk, sur la rivière Irtych.

Au cours de son périple, il a pris des photos fascinantes de Tioumen et de Tobolsk, avec leurs églises de style baroque sibérien du XVIIIe siècle. S’il s’était aventuré plus à l’est sur le Transsibérien jusqu’à la ville d’Irkoutsk, il aurait vu une variété encore plus grande d’ornements dans l’architecture sibérienne.

Unique en son genre

Peu de villes russes peuvent rivaliser avec Irkoutsk pour ce qui est du cadre naturel spectaculaire. Située sur les rives de l’Angara (un affluent de l’Enisseï), Irkoutsk est un point important du chemin de fer transsibérien et la porte d’entrée du lac sacré Baïkal, l’étendue d’eau douce la plus profonde du monde. Grâce à sa situation géographique favorable, Irkoutsk a attiré les ressources nécessaires pour créer un ensemble remarquable d’architecture historique.

Des colonies russes ont existé dans la région d’Irkoutsk depuis le début du XVIIe siècle. Un fort en rondins y a ainsi été construit en 1661 au confluent de l’Angara et de l’Irkout. L’objectif initial de la colonie était d’établir l’autorité russe sur les autochtones bouriates de la région. En 1686, elle a obtenu le statut de ville et commencé peu après à envoyer des caravanes vers la Chine, qui est devenue une source de commerce et d’influence culturelle pour Irkoutsk.

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Influence régionale

Au début du XVIIIe siècle, Irkoutsk s’est imposée comme le centre administratif et commercial d’un vaste territoire en Sibérie centrale et orientale.

Son importance se reflète dans plusieurs grandes églises en maçonnerie, abondamment décorées dans des formes qui combinent les influences russes et ukrainiennes avec les traditions de construction du nord de la Russie et de l’Oural, comme Solikamsk.

Parmi les monuments du début du XVIIIe siècle, citons l’église de l’Icône-miraculeuse-du-Sauveur, avec ses fresques extérieures caractéristiques à la manière de Veliki Oustioug, et la cathédrale de l’Épiphanie, aux peintures vives, commencée en 1718 et agrandie au cours du siècle.

Influence des marchands et développement de l’architecture

Au milieu du XVIIIe siècle, Irkoutsk a atteint un nouveau niveau d’importance commerciale. La majorité de sa population était impliquée dans une activité entrepreneuriale d’une forme ou d’une autre et ses marchands jouaient un rôle de plus en plus important dans la gestion de la ville en l’absence d’une noblesse locale établie. Ce regain de vitalité économique a donné naissance à une riche silhouette urbaine créée par les accents verticaux des coupoles et des tours des églises.

Le plus remarquable de ces nouveaux édifices est l’église de l’Élévation-de-la-Croix (également connue sous le nom d’église de la Trinité), construite entre 1747 et 1760 sur la colline de la Croix.

Du clocher et du campanile à l’extrémité ouest à la panoplie de dômes baroques au-dessus de la structure principale à l’est, cette église reste à ce jour une présence dominante dans la partie sud de l’Irkoutsk historique.

La conception de l’église de l’Élévation-de-la-Croix témoigne de l’influence de l’architecture des églises de Russie centrale et d’Ukraine, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.

En outre, sa gamme stylistique s’étend aux sources asiatiques, comme le révèle l’ornementation de la façade soigneusement restaurée. Les formes complexes en terre cuite, semblables à des stupas, qui encadrent les portails nord et sud sont particulièrement remarquables. Il est probable que le commerce actif entre Irkoutsk et la Chine ait joué un rôle dans cette œuvre d’art interculturelle.

Irkoutsk possède également des églises de style néoclassique, son exemple le plus raffiné étant l’imposant manoir construit pour Ksenofont Sibiriakov, un marchand qui avait réussi à exploiter les grandes richesses de la Sibérie et son commerce de fourrures.

Ce manoir, qui sert aujourd’hui de bâtiment central à l’Université d’Irkoutsk, peut être comparé aux manoirs de Moscou de la même époque.

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Des origines de bois

Jusqu’au XXe siècle, les logements d’Irkoutsk étaient essentiellement construits en bois. Parmi les plus anciens exemples de maisons en bois, l’on peut citer celles de Sergueï Troubetskoï (1790-1860) et Sergueï Volkonski (1788-1865), membres de l’élite noble exilés en Sibérie pour leur rôle dans le soulèvement contre l’autorité tsariste en décembre 1825.

Les exemples ultérieurs de maisons en bois d’Irkoutsk montrent un « style marchand » plus orné, avec des décorations sculptées, comparable à celui d’autres villes sibériennes, telles que Tomsk et Tchita.

En 1879, un incendie catastrophique a détruit une grande partie d’Irkoutsk, y compris des bâtiments en maçonnerie et des maisons en bois. Néanmoins, la ville s’est rapidement redressée grâce à l’exploitation des mines d’or et à l’essor du commerce, tant national qu’international.

Comme d’autres villes sibériennes, Irkoutsk était, à la fin du XIXe siècle, une ville de diverses confessions. En 1875, les travaux de construction de l’une des plus grandes cathédrales orthodoxes russes, dédiée à l’icône de la Vierge de Kazan (consacrée en 1894), ont commencé. À proximité, l’importante paroisse catholique locale (composée essentiellement de Polonais et de Lituaniens) a reconstruit l’église de l’Assomption au début des années 1880.

Irkoutsk s’est également dotée d’une nouvelle synagogue, construite en 1881-1882 par Vladislav Koudelski.

La population musulmane locale avait aussi son propre lieu de culte, construit au début du XXe siècle.

Avenir urbain

Au cours de cette période, Irkoutsk a été transformée par un ensemble d’immeubles de bureaux, d’hôtels, de banques et de théâtres. La structure publique la plus impressionnante d’Irkoutsk à la fin du XIXe siècle était le théâtre municipal, construit en 1894-1897 et splendidement restauré un siècle plus tard. Ces grands édifices témoignent d’un stimulus économique créé en partie par la construction du chemin de fer transsibérien.

Comme partout ailleurs en Sibérie, ces développements prometteurs ont été brisés après 1914 par sept années de conflit, y compris les combats entre les différentes factions rouges et blanches pendant la guerre civile russe. En 1932, la cathédrale de l’Icône-de-Kazan a été démolie et le siège de l’administration régionale a été construit sur le site. Fermée en 1938, l’église catholique de l’Assomption a quant à elle finalement été convertie en salle de concert après des travaux de restauration dans les années 1970.

D’autres églises et chapelles orthodoxes ont été détruites ou endommagées pendant la période soviétique, mais celles qui restent ont été soigneusement restaurées au cours des dernières décennies. Le rôle de sanctuaire central de l’éparchie d’Irkoutsk a ainsi été rendu à la cathédrale originale de l’Épiphanie, dont l’intérieur est orné de nouvelles fresques.

Irkoutsk - aujourd’hui et au-delà

Après des négociations infructueuses dans les années 1990 sur le retour de l’église de l’Assomption dans la paroisse catholique renaissante, un accord a été conclu permettant au diocèse d’Irkoutsk de construire une cathédrale dans une zone proche de l’Université technique d’État d’Irkoutsk. Commencée en 1999, la cathédrale du Cœur-immaculé-de-la-Vierge-Marie, d’une modernité remarquable, a été consacrée en 2000. Elle accueille également des concerts de musique d’orgue.

Aujourd’hui, Irkoutsk (611 000 habitants) a conservé dans sa partie centrale une grande partie de l’ambiance créée lors de l’expansion commerciale et immobilière du début du XXe siècle. En tant que l’un des principaux centres culturels, éducatifs et industriels de la Sibérie orientale, ainsi que porte d’entrée du lac Baïkal, Irkoutsk a de nombreuses raisons de protéger le riche héritage culturel de son architecture historique.

Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe de photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l’Empire et pris plus de 2 000 photographies avec ce nouveau procédé, qui implique trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie avec une grande partie de sa collection de négatifs sur verre et s’est finalement installé en France. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu sa collection à la Bibliothèque du Congrès américain, qui, au début du XXIe siècle, a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l’a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Un certain nombre de sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d’une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d’articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les clichés pris par Brumfield des décennies plus tard.

Au début du XXe siècle, le chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Il consistait en une triple exposition sur une plaque de verre. Entre 1903 et 1916, il parcourut l’Empire russe et prit plus de deux mille clichés. En août 1918, il quitta la Russie et s’établit en France. Il y retrouva une grande partie de sa collection de négatifs sur glace et treize albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers vendirent sa collection à la Bibliothèque du Congrès. Au début des années 2000, la Bibliothèque numérisa la collection Prokoudine-Gorski et la rendit accessible en ligne gratuitement. Plusieurs sites internet russes la présentent également. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield organisa à la Bibliothèque du Congrès la première exposition consacrée aux photographies de Sergueï Prokoudine-Gorski. Lors de ses séjours en Russie depuis 1970, William Brumfield marcha sur les traces de Sergueï Prokoudine-Gorski et visita les mêmes sites que lui. Dans cette série d’articles  sont juxtaposés les clichés de monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart. 

Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte de Chouchenskoïé, le village sibérien où Lénine a été exilé.

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