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Quand on parle de la faune de l'Extrême-Orient russe, les grands félins viennent immédiatement à l’esprit. Les efforts internationaux de conservation médiatisés visant à sauver le tigre et le léopard de l'Amour, gravement menacés, ont fait de ces félins les mascottes non officielles des forêts orientales de Russie. Cependant, la taïga du territoire du Primorié, qui borde la Corée du Nord, la Chine et la mer du Japon, abrite la plus grande espèce vivante de hiboux de la planète – le grand-duc (kétoupa) de Blakiston.
Ces magnifiques hiboux de 1,80 m d’envergure mesurent généralement plus de 60 cm de haut. La femelle est beaucoup plus grande que le mâle et peut peser jusqu'à 4,5 kg.
Leur habitat s’étend sur l’île d’Hokkaido, au Japon, et dans la province chinoise du Heilongjiang. Répertoriés dans le Livre rouge russe des espèces menacées d’extinction, ils peuvent être trouvés dans le Nord de la Russie jusqu’à Magadan, et dans l’Est jusqu’à Sakhaline et aux îles Kouriles du Sud, où une sous-espèce est présente.
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C'est une espèce sédentaire qui n'aime pas sortir de sa « zone de confort », à moins d'avoir extrêmement faim. Cela soulève une question : comment ces hiboux, qui vivent à des milliers de kilomètres de l’Europe, ont reçu un nom britannique ? Il s'avère que le premier Européen à avoir remarqué cet oiseau insaisissable était Thomas Blakiston, un naturaliste anglais qui vivait au Japon au XIXe siècle. En 1883, il a recueilli un spécimen à Hokkaido, qui a été plus tard baptisé « hibou-poisson » de Blakiston par Henry Seebohm, un fabricant d'acier anglais et ornithologue amateur.
Les grands-ducs de Blakiston chassent dans les zones proches des rivières. Les oiseaux ont évolué en se spécialisant dans la pêche, délaissant la chasse à la souris. Leurs terrains de chasse préférés sont les berges des cours d’eau. Leur régime alimentaire comprend le frai du saumon, les écrevisses et les grenouilles, et ils sont assez forts pour attraper des poissons pesant jusqu'à un kilogramme. Alors que leur modus operandi habituel pour capturer une proie consiste à s'asseoir sur une pierre sur la berge pour prendre le poisson avec leur bec, ils sont aussi capables de s’enfoncer profondément dans l'eau pour attraper leur proie.
Dans l'Extrême-Orient russe, la surface des rivières gèle pendant les mois d'hiver, ce qui rend la vie plus difficile pour ces hiboux. Cependant, ils trouvent de l'eau libre soit aux endroits où le courant de la rivière coule assez rapidement, soit là où il y a une remontée de source chaude. Quelques mètres d'eau libre suffisent pour que les hiboux survivent pendant l'hiver. Au cours des mois les plus froids, ils chassent même les petits oiseaux.
Selon les estimations les plus optimistes des défenseurs de l'environnement, il en reste 3 700 à l'état sauvage. Le Primorié abriterait entre 200 et 400 hiboux de ce type. Comme les tigres et les léopards de l'Extrême-Orient russe, ces hiboux ne sont pas des créatures sociables et ont presque disparu de la mémoire des habitants du Sud du Primorié.
En 2000, Jonathan Slaght, alors jeune biologiste du Minnesota, a repéré l'un de ces oiseaux durant une randonnée avec un ami dans le Primorié. Il a par hasard effleuré un grand-duc, qui a paniqué et a pris la fuite. « Prenant son envol avec des mouvements d’aile laborieux, il a hué son mécontentement, puis a atterri pendant un moment dans la canopée nue peut-être une douzaine de mètres au-dessus de nos têtes, a écrit Slaght dans son livre de 2020 intitulé Hiboux de la glace orientale : une quête pour trouver et sauver le plus grand hibou du monde. Cette masse débraillée couleur brun-copeaux de bois nous regardait avec méfiance avec des yeux jaune électrique ». Slaght et son ami n'étaient pas sûrs de savoir à quelle espèce appartenait l’oiseau. « C'était clairement un hibou, mais plus gros que tout ce que j'avais vu auparavant, de la taille d'un aigle mais plus duveteux et plus corpulent, avec d'énormes touffes d'oreille ». C'était la première fois en un siècle que quelqu'un apercevait un grand-duc de Blakiston aussi loin au sud.
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Slaght a consacré la plus grande partie des deux dernières décennies à la conservation du hibou et documente ses nombreux voyages dans le Primorié au cours de cette période dans son livre.
L'expansion de l'industrie forestière et la construction de barrages dans le Primorié ont largement contribué à la mise en danger de l'espèce. La pêche commerciale constitue également une menace pour ces oiseaux, de nombreux hiboux se prenant dans les filets à saumon et se noyant.
Bien qu’il soit illégal de chasser ces oiseaux, les agences de presse de l’Extrême-Orient russe rapportent parfois que des grands-ducs de Blakiston sont abattus par des chasseurs. Les biologistes du Primorié affirment que, régulièrement, les chasseurs tirent simplement sur un gros oiseau qu'ils voient au loin, ne sachant pas que c’est un hibou dont l’espèce est menacée. Ces chasseurs abandonnent ensuite l'oiseau lorsqu'ils réalisent ce qu'ils ont tué.
Ensuite, il y a le danger posé par le changement climatique. Un typhon en 2016 a détruit 1 600 kilomètres carrés de forêt dans la réserve de biosphère Sikhote-Aline du Primorié, un habitat majeur de ces oiseaux.
« Le Primorié est, plus que la plupart des zones tempérées, un endroit où les humains et la faune partagent toujours les mêmes ressources, a écrit Slaght dans son livre. Il y a des pêcheurs et du saumon, des bûcherons et des grands-ducs, des chasseurs et des tigres. De nombreuses régions du monde sont trop urbaines ou surpeuplées pour que de tels systèmes naturels existent ; dans le Primorié, la nature évolue dans un flux de parties interconnectées ». Le biologiste américain, qui est le coordinateur pour la Russie et l'Asie du Nord-Est de la Société de conservation de la vie sauvage (Wildlife Conservation Society), estime qu'avec une bonne gestion, les hiboux peuvent être sauvés.
Les amateurs de faune et les photographes qui espèrent admirer ces grands hiboux devraient visiter le Primorié en hiver, lorsque ces oiseaux insaisissables sont plus faciles à repérer sur les berges blanches gelées.
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