La Russie prend du retard dans la conception d’un vaccin contre le SIDA

Laboratoire russe BIOCAD. Photo d'illustration

Laboratoire russe BIOCAD. Photo d'illustration

Sergey Konkov/TASS
La Russie mène actuellement deux projets de vaccin contre le SIDA : un vaccin à base d’ADN développé à Saint-Pétersbourg, et l’autre nommé CombiHIV de l’institut de biotechnologie Vector de Novossibirsk.

Deux candidats russes à la réalisation d’un vaccin contre le SIDA ont déjà franchi des étapes importantes dans leurs essais cliniques – l’un d’entre eux en février de cette année –, mais tous deux sont constamment ralentis par le manque de fonds, retardant d’autant une sortie potentielle.

Pendant ce temps, comme les médias russes l’ont rapporté cette semaine, des compagnies pharmaceutiques ont demandé au gouvernement russe de déclarer officiellement comme des épidémies le VIH et l’hépatite C : ce statut permettrait de forcer la production sous licence d’antiviraux protégés par des brevets.

Avec un faible soutien de l’Etat, les scientifiques et professionnels de la santé se battent pour leurs financements et font face à des choix absurdes : étendre l’accès aux médicaments rétroviraux, atteignant aujourd’hui le taux ridicule de 20%, ou investir dans la vaccination. On estime qu’environ 1,3 milliard d’euros serait nécessaire pour mettre fin à l’épidémie en Russie, alors qu’à peine un cinquième de cette somme y était assigné pour 2016.

Un duo pas si dynamique

La Russie possède actuellement deux projets en cours de réalisation, un vaccin à base d’ADN développé à Saint-Pétersbourg, et l’autre nommé CombiHIV de l’institut de biotechnologie Vector de Novossibirsk. Un troisième projet, HIVREPOL, basé à Moscou et autrefois considéré comme très prometteur, semble être à l’arrêt.

Les deux candidats russes survivants ont leur propre façon de combattre le VIH, un virus célèbre pour sa capacité à muter très rapidement et à attaquer le système immunitaire, censé protéger l’organisme. DNA-4 est une sorte de « maquette composite », un ensemble de quatre gènes artificiels du virus conçu pour lancer une réponse immunitaire commune. Le vaccin CombiHIV est plus proche d’un outil multifonction, possédant deux parties complémentaires qui essayent d’en faire autant.

La deuxième étape des essais cliniques de DNA-4 sur 54 patients a été achevée en février et, selon Andreï Kozlov du Centre biomédical de Saint-Pétersbourg, les résultats permettent de continuer le développement. Le vaccin CombiHIV a reçu le feu vert pour la deuxième étape des essais il y a plus de deux ans, mais les tests ne peuvent pas avoir lieu sans financement.

Un financement erratique rend bien plus complexe la tâche consistant à introduire des vaccins sur le marché, ou à mener quelque recherche que ce soit. Comme le dit M. Kozlov, il est délicat de maintenir une équipe de chercheurs quand il existe « des intervalles de trois à cinq ans » entre chaque étape du développement et les essais.

Les groups russes ne font partie d’aucune des grandes collaborations lancées pour développer un vaccin contre le SIDA, et ne peuvent donc pas user de leur influence pour obtenir des soutiens. Yegor Voronine, de Global HIV Vaccine Enterprise, une coalition d’équipes de développement d’un vaccin, explique que les scientifiques russes mènent leurs recherches sur des axes élaborés il y a des années, alors que les collaborations internationales tendent à se concentrer sur des approches nouvelles et plus prometteuses. Les deux vaccins sont en développement depuis la fin des années 1990.

Le temps presse

La question est pressante pour de nombreuses raisons. DNA-4 vise spécifiquement le sous-type A du VIH-1, un sous-type du virus qui, encore récemment, dominait dans les anciens pays soviétiques ainsi qu’en Afrique centrale et orientale. Mais les statistiques officielles montrent maintenant qu’il perd du terrain face à d’autres sous-types, principalement en raison des migrations internationales. Par conséquent, Vadim Pokrovsky, directeur du Centre fédéral du SIDA, fait remarquer que les vaccins visant un sous-type spécifique pourraient bientôt être de très peu d’utilité pour le pays.

Pendant ce temps, ailleurs dans le monde, le RV144 va entrer cette année en phase de tests d’efficacité à grande échelle, une première dans l’histoire du développement d’un vaccin contre le VIH. Le RV144, un mélange de deux vaccins potentiels relativement similaires à ceux développés en Russie, pourrait devenir le premier vaccin régional contre le VIH, et devrait être utilisé en Afrique méridionale. D’autres approches prometteuses à des stades moins avancés font appel à des anticorps au champ d’action élargi.

Il est intéressant de noter que la fenêtre d’opportunité au niveau mondial pour le développement d’un vaccin contre le VIH est également en train de se refermer, bien que cela se fasse assez lentement pour que les scientifiques puissent encore être dans les temps. M. Voronine explique que de plus en plus de pays adoptent des mesures prophylactiques pré-exposition, ou PrEP, une stratégie impliquant que les individus à fort risque infectieux prennent des médicaments antirétroviraux de façon à prévenir l’infection par le VIH. Par conséquent, les scientifiques vont avoir de plus en plus de mal à trouver des participants pour des essais cliniques.

Une utilisatrice enthousiaste de l’un des plus grands forums en ligne russes consacrés au VIH, qui prétend avoir participé à la deuxième étape des essais de DNA-4, disait espérer que « si tout va bien et que la corruption ne l’emporte pas, tout le monde aura accès [au vaccin] ! ». Ce sont de grands espoirs, étant donné que, selon Vadim Pokrovsky, la toute nouvelle stratégie 2020 de lutte contre le VIH/SIDA en Russie, récemment présentée au gouvernement russe, ne propose aucun soutien concret à la recherche. Et pour cause : l’unique occurrence du mot « vaccin » dans la version actuelle du document fait référence aux obstacles liés à son développement.

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