Panneau d'information de la Commission électorale centrale.
Sergei Fadeichev / TASS« Nous savons que la vie de la population n’est pas simple, que les problèmes sont nombreux, mais le résultat est tel qu’il est », a déclaré le président russe Vladimir Poutine le 18 septembre, en félicitant l’état-major de campagne de Russie unie à l’occasion de la victoire du parti après l’annonce du résultat préliminaire de l’élection. Et ce résultat, le parti au pouvoir – traditionnellement loyal au président et au gouvernement et qui est dirigé par le premier ministre Dmitri Medvedev – peut en êtresatisfait.
Russie unie a totalisé 54,7% des voix et disposera par conséquent de 343 sièges au parlement, soit 105 sièges de plus qu’au sein de la Douma de la législature précédente, car en 2011 le parti avait obtenu 238 mandats.
Désormais, Russie unie dispose de la majorité parlementaire. Il peut voter des lois et apporter des amendements à la Constitution même si les trois autres partis représentés au parlement s’y opposent.
Est-ce une victoire « pure » ?
Bien avant le 18 septembre, les autorités ont clairement laissé entendre qu’elles ne souhaitaient en aucun cas voir se répéter la situation survenue en 2011, lorsque la victoire du parti aux élections avait déclenché des manifestations et des accusations de fraude. Ella Pamfilova, nouvelle présidente de la Commission électorale centrale depuis mars 2016, a souligné que son objectif était d’organiser des élections les plus honnêtes possible, dont les résultats ne susciteraient aucun doute.
La Commission électorale centrale reconnaît qu’il y a eu des cas d’infraction. Ainsi, les résultats du scrutin ont été annulés dans plusieurs bureaux de vote en raison d’accusations de bourrages d’urnes contre les organisateurs. Dans la région de Rostov-sur-le-Don des poursuites pénales ont été lancées contre le secrétaire d’une commission électorale locale accusé lui aussi d’une telle pratique. Selon Ella Pamfilova, toutes les plaintes concernant les infractions seront examinées.
À quel point la Commission électorale centrale a-t-elle réussi à garantir des élections honnêtes ? Les avis des experts divergent. « Des infractions ont été enregistrées, mais leur nombre ne peut être comparé à celui relevé en 2011. Ce sont des cas isolés et il faut les analyser, mais il ne s’agit pas d’une vague », a indiqué à RBTH Dmitri Orlov, directeur général de l’Agence de communication politique et économique (proche du Kremlin).
Pour Gleb Pavlovski, directeur de l’ONG Centre pour une politique efficace, « les manipulations administratives ont été présentes à toutes les étapes (de l’élection) ». Il est certain que non seulement le résultat de Russie unie est exagéré, mais également le taux de participation (qui a constitué 47,8%), a-t-il affirmé.
L’échec des libéraux
Aucun des dix partis non représentés au parlement n’est entré à la Douma et n’a même pas franchi le cap des 3% permettant de compter sur un financement public. L’échec a notamment frappé les partis libéraux Yabloko et Parnas.Le politologue Mikhaïl Vinogradov, président de la fondation Politique de Saint-Pétersbourg, estime que la raison du fiasco de Yabloko et Parnas (opposition) est leur incapacité à dépasser le cadre habituel de leurs électeurs. « Les partis comme Yabloko ont lutté uniquement pour leur électeur, un citadin de tendance libérale, sans chercher à gagner la voix d’autres électeurs, pro-pouvoir ou apolitique », a-t-il confié à RBTH. C’est ce qui a joué un mauvais tour aux partis de l’opposition, et les a empêchés d’attirer de nouvelles voix.
Alexandre Pojalov, directeur adjoint des recherches de l’Institut d’études socio-économiques et politiques (proche du Kremlin), met en relief un autre point faible de la campagne électorale de Yabloko : sa fidélité excessive au personnage du leader du parti, Grigori Iavlinski, qui, ayant fondé le parti en 1993, fait aujourd’hui vieux jeu et ne peut plus mobiliser de nouveaux électeurs.
Concurrents faibles
Outre Russie unie, trois autres partis ont été « reconduits » à la Douma de nouvelle législature : le Parti communiste avec 42 sièges, le Parti libéral-démocrate avec 39 siègeset Russie juste avec 23 sièges. Des mandats ont également été confiés aux membres des partis Patrie et Plateforme civile – qui se sont présentés dans des circonscriptions uninominales – et au candidat indépendant Vladislav Reznik (ancien membre de Russie unie).
L’opposition parlementaire n’a pratiquement aucune possibilité de s’opposer à Russie unie. Fort de la majorité parlementaire, le parti au pouvoir peut disposer de la Douma à sa guise. « De nombreuses initiatives (au parlement) seront maintenant adoptées sans le soutien des partis d’opposition », a constaté Dmitri Orlov. Dans le même temps, il estime que le Parti communiste et le Parti libéral-démocrate occuperont désormais des positions plus strictes qu’avant pour mettre en avant leur opposition et leursdivergences avec le parti au pouvoir.
Les résultats des trois concurrents de Russie unie sont moins bons qu’en 2011, mais ceux de Russie juste ont particulièrement chuté. Au sein de la Douma précédente, Russie juste disposait de 64 sièges, alors que maintenant, le parti n’en aura plus que 23. Selon Dmitri Orlov, il a épuisé son potentiel de 2011, quand il était le parti parlementaire le plus en opposition et a collecté les voix des protestataires. « Cette protestation n’existe plus et le message électoral de Russie juste n’était pas très convaincant cette année », a conclu Dmitri Orlov.
Dominer ou concurrencer ?
Certains politologues estiment que le nouveau parlement dominé par Russie unie sera entièrement dirigé et contrôlé par le Kremlin. Pour Gleb Pavlovski, cette majorité parlementaire « délie encore plus les mains au pouvoir ».
« Nous voyons persister la tendance à la disparition de toute limitation possible du pouvoir à l’intérieur du pays », a-t-il déclaré à RBTH. Gleb Pavlovski donne une évaluation négative aux résultats de la législative et affirme qu’un parlement sans aucune opinion alternative est condamné à voir ses compétences se réduire. « Le Kremlin ne sait rien du pays aujourd’hui parce que la Douma représente non pas le pays, mais son propre système du pouvoir », a noté Gleb Pavlovski.
Selon un autre point de vue, une certaine concurrence existera quand même : non pas entre les groupes parlementaires, mais entre les associations de députés par régions en fonction d’une situation donnée. Alexandre Pojalov rappelle le rôle important des députés élus dans les circonscriptions uninominales. D’après lui, nombre de députés des circonscriptions uninominales de Russie unie (203 sur 343) s’orienteront moins en fonction de la direction du parti que des régions où ils étaient candidats.
« Dans les circonscriptions uninominales de Russie unie, beaucoup de candidats étaient sans parti. Ce sont des candidats de Russie unie, mais ils ne sont pas membres du parti », a expliqué Alexandre Pojalov. Selon lui, la Douma de la nouvelle législature sera plus influente du point de vue de la représentation de différents groupes sociaux et régions, ce qui assurera une concurrence politique, surtout sur les questions des budgets régionaux.
Cet avis est partagé par Gleb Pavlovski. « La Douma pourrait devenir incontrôlable en cas de changement de la situation économique et d’ appauvrissement des régions », a-t-il souligné pour conclure.
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