Avant chaque diffusion de film les volontaires organisent des postes de distribution de nourriture.
Elena KazatchkovaLe grand principe du mouvement Amis dans la rue repose sur l’idée suivante : les SDF sont des gens comme les autres, mais qui ont eu un peu moins de chance dans la vie. Quand je rencontre Natalia Markova, l’une des coordinatrices du mouvement, près de la gare moscovite de Iaroslavl et que nous marchons vers le centre local d’aide sociale urgente où se tiennent ces séances, je vois surgir devant moi, comme du néant, des volontaires et des sans-abris complètement envoûtés par une conversation passionnée. Ces SDF sont de vieilles relations des Amis dans la rue, certains se connaissent depuis des années et se sont liés d’amitié.
« Comment allez-vous, Macha ? » demande affectueusement Natalia en s’adressant à une petite brune en costume de jogging râpé.
« Tout va bien, merci, répond Macha. Quel film sera diffusé aujourd’hui ? »
« Un Jour sans fin. »
Dîner et cinéma
Le « cinéma » pour les sans-abri. Crédit : Elena Kazatchkova
Nous arrivons au centre d’aide urgente : c’est un terrain clôturé avec, à l’intérieur, une sorte de chapiteau blanc. Nous sommes accueillis par plusieurs personnes en uniformes de la Patrouille sociale formée de représentants du département de protection sociale de la population de Moscou. Une fois par semaine, les volontaires y donnent à manger les SDF et, depuis peu de temps, leur présentent un film.
Avant chaque diffusion de film, et aujourd’hui n’est pas une exception, les volontaires donnent une « soirée », selon l’expression de Natalia. En commun avec leurs amis sans-abris, ils installent autour de la tente des tables et organisent des postes de distribution de plats avec, au menu, du pain, des légumes, du pilaf et de la bouillie de sarrasin, le tout accompagné de thé et d’eau minérale.
Les SDF se pressent à l’entrée du terrain, certains jurent. « Ne poussez pas ! » demande une jeune volontaire.
Ils sont admis progressivement par petits groupes. Ceux qui se montrent agressifs ne sont pas admis du tout ou le sont en dernier lieu, me raconte l’un des volontaires. L’un des sans-abris, le visage couvert de coups et de bandages, entre le dernier, car il a tenté ce soir de repousser ses collègues.
Les SDF mangent et boivent. Ils sont de bonne humeur. Après avoir fini leur assiette, ils passent dans la salle de projection d’Un Jour sans fin. Les cinéphiles entrent dans la tente et prennent place sur des chaises. Les volontaires branchent l’ordinateur et voici le visage de Bill Murray projeté sur une paroi de la grande tente qui sert d’écran. Le héros du film réalise qu’il est condamné à revivre indéfiniment la même journée. La vie des sans-abris de Moscou ressemble un peu à cette histoire : chaque jour, ils doivent lutter pour exister.
Les amis de la rue
Le film est projeté sur une paroi de la grande tente qui sert d’écran. Crédit : Elena Kazatchkova
Pendant que les SDF regardent le film, je parle à Andreï Volkov, un autre coordinateur des Amis dans la rue.
« L’idée de notre mouvement est née au sein d’un groupe d’amis qui ont décidé qu’il serait bien d’aider les autres, ceux qui ont une vie difficile. D’une part, ils éprouvent un besoin constant de nourriture et de vêtements et nous essayons de les aider en leur apportant des repas chauds, du thé et des vêtements en hiver. Nous achetons tout ça à nos frais. Mais d’autre part, les sans-abris ont vraiment besoin de communiquer, de bénéficier d’un traitement humain et de se lier d’amitié. Il importe qu’un homme se sente un homme et c’est pour ça que nous organisons certaines manifestations : nous jouons au foot et maintenant nous projetons des films », raconte Andreï.
La SDF Macha est entièrement d’accord avec lui et exprime sa reconnaissance aux Amis dans la rue :
« Quand je me suis retrouvée dans une situation difficile – mon mari a été arnaqué et passé à tabac – j’ai appelé Andreï pour lui dire que nous étions à la rue. Il m’a vraiment aidé. Non seulement ils nous donnent à manger, il y en a beaucoup qui le font, mais ils nous traitent avec humanité et nous soutiennent moralement, ce qui est très important », a-t-elle raconté.
Au cours de notre conversation, l’un des sans-abris, qui vient de finir son assiette, commence à faire du tapage et à pousser les autres. Deux hommes musclés de la Patrouille sociale s’en emparent pour le mettre à la « porte » du terrain.
« Parfois, nous voyons arriver des gens ivres qui se permettent des débordements, soupire Andreï Volkov. Toutefois, il me semble que ce n’est pas le problème des SDF, mais celui du pays tout entier. Il faut aussi comprendre que ceux qui se sont retrouvés dans la rue éprouvent de grandes difficultés. Tout le monde n’arrive pas à porter le fardeau psychologique de sa situation ».
Les sans-abris sont pour le cinéma soviétique et russe
Natalia Markova. Crédit : Elena Kazatchkova |
Peu à peu, la salle de cinéma est désertée. Seule une dizaine de personnes regardent le film jusqu’à la fin. Il fait chaud et on ne voit presque rien sur le mur-écran. Natalia Markova, qui visionne le film avec les sans-abris, pense que ce jour-là il fait trop chaud et que le « public » s’est habitué :
« Lors des deux premières séances, il y avait beaucoup de monde, sans doute parce que c’était quelque chose de nouveau. Au troisième film, ils s’y sont habitués et aujourd’hui il fait très lourd, ce n’est pas évident de passer deux heures ici ».
Pourtant, le SDF Youri est d’un autre avis : « Les films étrangers ne sont pas aussi intéressants que les nôtres ».
« L’idée de diffuser des films est formidable, poursuit-il. Mais on ne voit presque rien. Vous avez pu constater que la plupart ne regardent que le début, puis s’en vont. Je pense que le film à diffuser doit être choisi par vote. Les gens auraient regardé avec plaisir Le Mariage à Malinovka (comédie musicale soviétique de 1967, RBTH). Je suis sûr qu’on aurait fait salle comble. Si encore l’écran était de meilleure qualité, ce serait parfait ».
Services pour les SDF
Il est difficile de citer le nombre précis de sans-abris dans les rues de Moscou. Les estimations divergent, mais il est évident qu’il s’agit de dizaines de milliers de personnes. Il existe à Moscou des services organisés spécialement pour les sans-abris par plusieurs associations publiques et caritatives. En voici des exemples.
Le centre d’aide Hangar du sauvetage a ouvert un salon de coiffure où des volontaires coupent les cheveux aux sans-abris. Le salon a été ouvert grâce aux sommes collectées par le service Charité auprès de l’Eglise orthodoxe russe.
Ce même centre d’aide prévoit d’ouvrir une bibliothèque pour les SDF qui pourront s’y instruire.
Le département de protection sociale de Moscou aide à rentrer chez eux les habitants d’autres régions qui se sont retrouvés sans argent, papiers ni lieu de séjour (par exemple après s’être faits voler), a indiqué à RBTH un représentant du département, Vsevolod Kochelev.
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