Une veillée en mémoire des victimes de Nice à Hong Kong.
AFP / East NewsMême si c’est très triste à dire, force est de constater qu’un camion écrasant des femmes et enfants venus sur la Promenade des Anglais pour célébrer la fête nationale du 14 juillet est le symbole de notre époque. Quelque chose s’est brisé, troublant l’ordre des choses qu’on croyait établi une fois pour toutes. C’est comme si une maison soignée et prospère se retrouvait soudain à la merci d’une force extérieure insensée, d’une force déliée de toute morale qui balaie tout sur son chemin. Et personne ne sait comment lui résister, comment s’y prendre.
Malheureusement, un nouvel attentat relève aujourd’hui plutôt de la norme que de l’extraordinaire. Toutefois, celui de Nice a clairement montré que les forces de maintien de l’ordre restent impuissantes face à la menace terroriste. On peut placer des détecteurs de métaux dans les gares et les aéroports, infiltrer des agents dans les rangs d’éventuels terroristes, dépenser sans compter pour accroître les effectifs des services de sécurité, un terroriste trouvera toujours le moyen de réaliser ses noirs desseins.
L’idée selon laquelle les gouvernements des grandes puissances doivent s’unir pour lancer des attaques communes contre « les foyers du terrorisme international » et affirmant que « les terroristes ne comprennent que le langage de la force » (ces paroles ont été prononcées par le premier ministre russe, Dmitri Medvedev, après l’attentat de Nice) n’est malheureusement vraie qu'en partie . Bien sûr, la force est l’instrument évident qu’on a tendance à employer en pareil cas, mais il est peu probable qu’elle puisse porter des fruits.
Tous les hommes politiques responsables et lucides réalisent que même le potentiel nucléaire conjugué des grandes puissances déversé sur les territoires martyrisés par Daech ne règlera pas le problème auquel ont dû faire face les victimes du massacre de Nice. Que les tapis de bombes n’arrêteront pas la diffusion d’idées extrémistes destructrices. Bien au contraire, ils créeront un terrain propice à la gestation et au développement de ces idées en plein cœur du monde civilisé.
Selon la thèse avancée depuis longtemps par les dirigeants russes, la cause première de l’actuelle flambée globale de violence terroriste est la politique erronée des Etats-Unis au Proche-Orient au XXIe siècle. Ainsi, la guerre en Irak et le soutien du « printemps arabe » ont conduit au démantèlement des structures stables de pouvoir dans la région, une lacune immédiatement comblée par les terroristes.
Cette idée peut être acceptée ou rejetée. Toutefois, le grand problème n’est aujourd'hui pas de nommer le responsable des malheurs du Proche-Orient et de l’épidémie d’attentats qui a suivi, mais de choisir la bonne stratégie pour remédier à la situation. La logique du Kremlin est qu’il faut « tout remettre à sa place », éviter l’effondrement définitif des régimes « légitimes » comme celui du président syrien Bachar el-Assad. Si cette stratégie marche, le monde entier pourra se rendre compte que les Etats-Unis ont précipité la région dans le chaos, tandis que la Russie est venue y rétablir l’ordre.Toutefois, la « boîte de Pandore » ouverte au Proche-Orient soit par les opérations des Etats-Unis, soit par la chute naturelle des régimes autoritaires locaux, ne pourra sans doute pas être refermée uniquement par les méthodes exposées par le président russe Vladimir Poutine. Et, ce qui est pire, l’ordre ne pourra pas non plus être rétabli via les démarches politiques et militaires des Etats-Unis et de leurs alliés, encore moins si elles sont entreprises dans le cadre des émotions générées par le drame comme celui de Nice.
Il faudrait le reconnaître ouvertement : aucun des leaders modernes des grandes puissances ne sait comment résorber la crise au Proche-Orient. Et si certains affirment avoir la solution, ce n’est que pour sauver la face.
Tout ce qui intéresse les présidents et les premiers ministres, c’est de trouver le moyen de renforcer les positions de leurs pays par rapport à leurs concurrents internationaux. Vladimir Poutine est souvent plus honnête que ses collègues en qualifiant le Proche-Orient d’ « arène de lutte géopolitique ».
Si l’humanité n’a toujours pas réussi à créer de mécanisme supranational efficace pour résoudre les crises internationales, c’est que l’actuelle crise au Proche-Orient devra être finalement gérée par le moyen qui a servi à régler des situations semblables au fil des millénaires.
Ce moyen, c’est la rivalité des grandes puissances pour l’influence sur des territoires en proie au chaos qui ne sont plus en mesure d’ « autorégénérer » la stabilité. Or, cette rivalité débouchera tôt ou tard soit sur la victoire de l’une des parties, soit sur un partage de territoires, ce qui, dans tous les cas, signera l’échec de la doctrine de suprématie de la souveraineté nationale et des principes universalistes des Nations unies. De fait, nous nous dirigeons vers la recolonisation du Proche-Orient selon des conditions qui ne sont pas encore tout à fait claires.
Dans cette situation, toutes les déclarations sur le respect des normes du droit international et de la souveraineté ne sont qu’une astuce politique. Les raisonnements sur la solidarité antiterroriste et la nécessité d’unir les forces sont, eux, hypocrites. Elles auraient été unies si quelqu’un en Europe, aux Etats-Unis ou en Russie savait que faire de ces forces sans porter préjudice aux intérêts nationaux des pays membres d’une telle coalition, comment les employer pour venir à bout du terrorisme international, et par quel moyen redonner à la vie son cours normal en Syrie et en Irak, puis aux Etats-Unis, en Europe et en Russie.
La vague de terrorisme s’apaisera avec la fin de la guerre au Proche-Orient. Mais aujourd’hui, notre réalité, c'est ce camion qui fonce dans la foule des civils. Et cette situation n’est pas ce qu’il y a de meilleur pour tenter des expériences innovantes dans le domaine des relations internationales. Puisque durant les décennies précédentes nous n’avons pas réussi à nous entendre pour trouver un nouveau moyen de résorber les conflits, un moyen plus performant que la guerre, il faudra nous battre. Et tout porte à croire qu’il faudra lutter ou, dans le meilleur des cas, engager une concurrence serrée non seulement avec le terrorisme international, mais également entre nous.
Texte original en anglais disponible sur le site de Russia Direct. Russia Direct est un média analytique international spécialisé dans la politique étrangère.
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