L’Otan trouverait-elle la Russie plus dangereuse que Daech ?

De gauche à droite : Petro Porochenko, président de l'Ukraine, le président américain Barack Obama, la chancelière allemande Angela Merkel et le président de la France François Hollande lors du sommet de l'Otan à Varsovie, Pologne.

De gauche à droite : Petro Porochenko, président de l'Ukraine, le président américain Barack Obama, la chancelière allemande Angela Merkel et le président de la France François Hollande lors du sommet de l'Otan à Varsovie, Pologne.

Reuters
Gros plan sur les documents adoptés à l’issue du sommet de Varsovie

Gleb est un étudiant russe qui fait ses études à Dublin. Récemment, à la demande d’un ami commun, je l’ai aidé avec sa thèse qui porte sur les raisons pour lesquelles l’Irlande est l’une des rares nations d’Europe occidentale à avoir refusé l’adhésion à l’Otan. Une particularité dont la plupart des Irlandais sont très fiers.

Irlandais moi-même, j’ai toujours été déconcerté par le fait que tant de membres des élites en Grande-Bretagne et en Europe continentale considèrent l’Otan comme une bonne chose. Après tout, il n’y a rien de glorieux à recevoir des ordres d’une puissance extérieure dont les intérêts divergent souvent profondément avec les vôtres.

A plus forte raison aujourd’hui, alors qu’il est tout à fait évident que le fondamentalisme islamique et les conséquences de la déstabilisation du Proche-Orient constituent la plus grande menace pour l’Europe occidentale. Pourtant, les Etats-Unis restent assez insensibles à ces problèmes, qu’ils ont largement contribué à créer, et sont, bizarrement, toujours crispés sur la Russie.

Aujourd’hui, c’est Gleb qui attire mon attention sur un détail dont je ne me suis pas aperçu suite au sommet de l’Otan en Varsovie, tenu la semaine dernière. Samedi après-midi, le club a publié deux déclarations importantes. La première s’intitulait « Déclaration de Varsovie sur la sécurité transatlantique » et décrivait les principaux accords conclus dans la capitale polonaise. Etrangement, et le mot est faible, elle mentionnait la Russie quatre fois et Daech [organisation interdite en Russie] une fois seulement. 

The Real Deal

Pourtant, ce n’était que l’entrée. Le plat principal, le « Communiqué du sommet de Varsovie », avec ses 139 points, certains assez longs, a été servi deux heures plus tard. Au total, le résumé établi d’un commun accord compte le nombre incroyable de 16 000 mots, soit plus de la moitié de Charlie et la chocolaterie de Ronald Dahl, une lecture beaucoup plus agréable, je vous assure. Dans ce document, Daech est mentionné à douze reprises, en revanche, la Russie est désignée explicitement dans 58 cas. 

Ainsi, le message de Gleb s’intitulait « Pourquoi l’Alliance a choisi la Russie plutôt que l’EI / Daech en tant qu’ennemi juré ? ». Et voici le sens de ma réponse. 

La raison principale, c’est qu’il est très peu profitable de combattre le soi-disant Etat islamique, alors que l’Otan est, avant tout, une pompe à fric qui apporte un grand confort de vie à de nombreuses personnes influentes. Ces dernières peuvent ainsi voyager autour du monde en jets privés, l’énorme machine qu’est l’Alliance générant des emplois bien rémunérés, tant directement que via le circuit des think tanks.

Soyons clairs. On n’a pas besoin de sous-marins et d’armes nucléaires pour combattre Daech, contrairement à un conflit potentiel avec la Russie. Le fait qu’un tel conflit, impliquant l’arsenal nucléaire, signerait sans doute la fin de la civilisation humaine, importe peu à l’Otan, car l’Alliance ne souhaite en réalité aucune guerre avec la Russie.

Au contraire, elle veut utiliser Moscou comme épouvantail commode afin de maintenir le niveau de dépenses dans la défense américaine, qui a crû de 9% annuellement entre 2000 et 2009, pendant la « guerre contre la terreur ». Cette hausse massive de dépenses a été justifiée par le besoin d’éliminer d’abord Oussama ben Laden, puis Saddam Hussein, de la scène internationale. Une fois que les deux ont été supprimés, on aurait logiquement pu s’attendre à la fin de cette folie dépensière et à une baisse des largesses au niveau antérieur au 11 septembre. 

L’argent, l’argent, l’argent

Le hic, c’est que beaucoup trop de choses en dépendent désormais. Aujourd’hui, la défense constitue 54% des dépenses discrétionnaires fédérales aux Etats-Unis et près de 17% de toutes les dépenses de Washington. Cela met du beurre dans les épinards de beaucoup de gens et maintient un vaste éventail d’industries en vie.

Dans le même temps, la Russie consacrera environ 19% de son budget national à la défense cette année. Un gâchis tout aussi regrettable et ridicule que la dotation américaine. Cependant, la principale différence, c’est que la Russie ne cherche pas à dicter au reste de l’Europe qui elle doit considérer comme une menace.

La simple vérité c’est que six des huit plus grandes entreprises de défense au monde sont américaines. A elles seules, elles emploient près de 750 000 people et ce chiffre vient s’ajouter aux millions de personnes travaillant chez les sous-traitants et dans les circuits d’approvisionnement qui en dépendent. Toute réduction de la voilure mettrait ces emplois en péril et créerait du chômage dans de nombreuses villes américaines. Et il s’agirait principalement des zones de « cols bleus » qui ont déjà été gravement affectées par des décennies de délocalisations. Tout politicien qui défendrait ce scénario pulvériserait sa carrière politique.  

Soyons donc pragmatiques, sachant que l’Otan est d’abord une organisation européenne. Aujourd’hui, la principale menace qui pèse sur la sécurité européenne vient du monde arabe. Au cours de l’année dernière, plus d’un million de réfugiés sont arrivés rien qu’en Allemagne. Très peu, voire aucun, d’entre eux, ne sont victimes des actions de la Russie. En revanche, un grand nombre de ces migrants vient de pays que les Etats-Unis ont contribué à détruire, comme l’Irak ou la Libye.

Pourtant, l’Alliance reste obsédée par la Russie, car pour maintenir son gigantesque budget militaire (qui est, en passant, supérieur au PIB de la Pologne), Washington a besoin d’un adversaire de taille, et la Russie remplit actuellement ce rôle. Il ne faut guère de matériel onéreux pour combattre Daech. Il faut surtout des hommes sur le terrain, ce qui politiquement coûteux, mais financièrement économique. En revanche, l’affrontement avec Moscou est comme une grande couverture bien douillette : il est familier au public et peu susceptible de conduire à une guerre réelle, mais dans le même temps extrêmement lucratif. 

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