Pourquoi les Russes ne sont-ils pas si différents que ça des Américains?

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BENJAMIN DAVIS
Vivant depuis plus d'un an à Saint-Pétersbourg, un écrivain américain a remarqué que les habitudes et comportements des Russes étaient très semblables à ceux de ses compatriotes.

Depuis l’élection présidentielle américaine de 2016, une « russophobie » s’est établie aux États-Unis au sein des élites politiques et médiatiques, surpassant presque celle de la guerre froide.

À cette époque, je venais d’emménager en Russie et, un jour, alors que j’étais assis dans un bar à côté d’une femme russe, elle m'a demandé, après avoir découvert que j’étais Américain : « Pourquoi nous haïssez-vous autant ? ». Je lui ai répondu en haussant les épaules : Rocky 4 ? (NDLR: Dans ce quatrième volet de la saga, Ivan Drago, un boxeur soviétique, affronte l’ami de Rocky, Apollo Creed, lors d’un match. Celui-ci meurt après avoir été mis KO par le Soviétique).

J’ai par la suite beaucoup pensé à cette interaction et ai compris que les personnes qui ne voyageaient pas n’avaient à leur disposition que deux choses pour se faire une opinion des autres pays : les clichés véhiculés par les médias, et la politique. Or, les deux présidents russe et américain actuels sont des caricatures de ces stéréotypes.

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D’un côté, le président américain est un grandiloquent homme d’affaires en surpoids; de l’autre, le Russe, l’allure fine, le regard dur, est un ancien agent du renseignement qui se laisse photographier torse-nu. La manière absurde dont les médias les ont représentés a donc nourri les clichés déjà bien répandus auprès des populations des deux pays.

Malgré un monde très interconnecté et un flot important d’informations disponibles sur Internet, l’ampleur de ces clichés n’a fait que grandir. C’est donc sans surprise que, lorsque les Américains pensent à un Russe, ils s’imaginent un être effrayant qui ne sourit jamais, qui boit de la vodka et qui est probablement un espion. De même, lorsque les Russes pensent à un Américain, ils se représentent un obèse plutôt bruyant, qui adore les armes et qui est probablement un espion.

Même si je suis incapable de changer l’imaginaire des Russes, je peux cependant agir sur celui des Américains. Au lieu d’écouter la rhétorique des commentateurs, concentrez-vous plutôt sur les choses qui n’intéressent pas les médias : ces choses dont vous n’aviez pas connaissance avant qu’une personne ne les dise de vive voix à une autre en votre présence.

Par exemple, lorsque je rencontre ma tutrice russe à la fin de chaque week-end, elle me parle de ses moments passés au parc avec son petit-fils, du fait qu’ils sont allés ensuite au cinéma, et qu’ils ont même fini par manger une glace. Ou encore cette amie qui est frustrée par sa situation : elle doit rendre visite à sa famille et ne sait pas comment leur annoncer qu’elle a commencé à fumer. Ou bien alors cette dernière fois à l’épicerie, lorsque j’y étais allé pour acheter du lait : j’ai dû passer devant cet enfant qui gémissait et qui traînait dernière sa mère, tenant dans ses mains cette boîte contenant certainement des sucreries qui n’allait pas être acceptée, pour la troisième fois, dans le panier.

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Les Russes ne savent pas toujours quel livre ils voudraient lire et parfois, ils en commencent trois ou quatre sans même en avoir fini un seul. Ils leur arrivent d’aimer assez la glace pour sortir s’en acheter une et braver la pluie, et ils débattent aussi pour déterminer si l’ananas devrait être une garniture pour les pizzas (il ne l’est pas).

Les Russes ne sont pas si différents que ça des Américains car, au final, cela n’a pas d’importance si vous souriez plus ou si vous ajoutez de la crème fraîche dans votre soupe. Les Russes ne sont pas si différents que ça des Américains car ce sont aussi des êtres humains, et les êtres humains veulent tous les mêmes choses et ont les mêmes espoirs. Les gens peuvent avoir peur, et avoir des proches qui leur manquent lorsqu’ils sont loin, et tomber malades lorsqu’il y a un changement de saison, et se plaindre à leurs amis à propos d’un mauvais coup, et aussi s’inquiéter de voir leurs parents devenir racistes en vieillissant.

Donc, si Trump transforme le conflit sur Twitter en une guerre véritable, ou bien que Poutine possède une Kalachnikov robotique, rappelez-vous que les Russes et Américains ne sont que des humains et que nous avons tous nos propres problèmes à gérer.

Benjamin Davis est un journaliste américain, auteur de The King of Fu, vivant à Saint-Pétersbourg, en Russie, où il a passé une année à travailler avec l’artiste Nikita Klimov sur leur projet Flash-365. À présent, il rédige principalement des micronouvelles magico-réalistes au sujet de la culture russe, des mésaventures autodévalorisantes et des babouchkas, en partageant ses exploits par le biais de l’application Telegram.

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