Dmitri Iazov, le dernier maréchal de l’Union soviétique

Dmitri Donskoï/Sputnik
Il était catégoriquement opposé à toute réduction de l’armée ainsi qu’au désarmement nucléaire et aux autres concessions de Mikhaïl Gorbatchev à l’Occident. Un jour, il a donc décidé de s’opposer au pouvoir. 

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Le maréchal de l’Union soviétique Dmitri Iazov a eu une vie longue et riche en évènements : il a enduré la Seconde Guerre mondiale, s’est retrouvé en plein épicentre de la Crise des missiles de Cuba, a entretenu une relation amicale avec Kim Il-sung, a décroché le poste de ministre de la Défense de l’Union soviétique et s’est retrouvé derrière les barreaux, accusé de tentative de s’emparer du pouvoir.

Moscou. Défilé militaire dédié au 45e anniversaire de la victoire de l'Union soviétique dans la Grande Guerre patriotique. Dmitri Iazov

Cet originaire d’un petit village sibérien n’avait même pas 17 ans quand l’Allemagne nazie a envahi l’URSS. Ayant menti sur son âge, il a rejoint l’Armée rouge et s’est vu envoyer à l’école d’infanterie du Soviet suprême de la RSFSR de Moscou, alors en évacuation à Novossibirsk.

C’est à l’été 1942 que le sous-lieutenant Dmitri Iazov s’est enfin retrouvé sur le front. « Bien qu’officier, j’étais encore un gamin ! De nombreux soldats de la division étaient déjà âgés de 45-50 ans. Vous vous rendez compte ? Ils pouvaient dire au jeune officier que j’étais : "Viens-ici, fiston" », s’en souviendra-t-il plus tard.

Dmitri Iazov, 16 ans, cadet à l'école d'infanterie de Moscou. 1941

Le futur ministre de la Défense sortira de la guerre avec plusieurs blessures. La plus sérieuse était celle au visage qu’il a reçue lors de la percée du blocus de Leningrad, en janvier 1943.

« Un Allemand a lancé une grenade. Je me suis abaissé. Je m’apprêtais à crier quelque chose pour prévenir les subordonnés et la grenade a explosé. Ici, sous cet œil, j’en porte depuis un éclat », a-t-il partagé dans une interview. La proximité du nerf optique a rendu impossible son extraction.

Grande Guerre Patriotique 1941-1945. Poche de Courlande

La victoire l’a surpris dans la Baltique, où il combattait les nazis bloqués dans lа poche de Courlande. Après la guerre, il a décidé de consacrer sa vie au service dans les Forces armées.

En 1962, alors que la crise des missiles de Cuba faisait rage, Dmitri Iazov, déjà promu au grade de colonel, a été dépêché à Cuba pour protéger l’Île de la Liberté contre une éventuelle invasion américaine. 

Un navire marchand soviétique fait route vers Cuba. Un destroyer de l'US Navy Barry (DD-933) suit une trajectoire parallèle et un avion Lockheed P-3A-20-LO Orion les survole. Crise des missiles de Cuba, 10 novembre 1962

« L’ambiance était alors tendue. L’on nous informait constamment des patrouilles effectuéеs par l’aviation de reconnaissance américaine. Les ordres que l’on recevait s’excluaient mutuellement : "Abattre – ne pas abattre", "Tirer – ne pas tirer" », se souviendra-t-il ensuite

Dans les années qui ont suivi, il a commandé des troupes en Tchécoslovaquie, en Asie centrale et même en Extrême-Orient, où il s’est lié d’amitié avec le dirigeant nord-coréen Kim Il-sung.

Le 30 mai 1987, il a été nommé ministre de la Défense de l’Union soviétique et, trois ans plus tard, promu au grade de maréchal. 

Kim Jong-il (à droite) et le maréchal de l'Union soviétique Dmitri Iazov (à gauche) lors d'une réunion à Moscou

Pendant qu’il tenait les rênes du département militaire, Mikhaïl Gorbatchev a mené des reformes connues sous le nom de « perestroïka » et œuvré à la normalisation des relations avec l’Occident : un désarmement nucléaire à grande échelle, la réduction des forces armées soviétiques et le retrait de contingents soviétiques du territoire de l’Europe de l’Est étaient en cours.

En tant que ministre de la Défense, Iazov était engagé dans tous ces processus, qu’il désapprouvait pourtant. « De manière criminelle, nous avons renoncé à notre magnifique missile tactique Oka, et ce, alors que ses paramètres ne tombaient pas sous les critères du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire... Pourquoi les avons-nous laissé "dévorer" les missiles Temp-S ? Il ne fallait pas », regrettera-t-il des années plus tard.

Il n’était pas le seul à désapprouver les reformes de Mikhaïl Gorbatchev. Même au sein de l’élite politique et des structures de force, l’on trouvait des individus s’opposant au cap choisi par le président. Cela a abouti aux évènements connus sous le nom de putsch de Moscou, et qui se sont déroulés du 19 au 22 août 1991.

Alors, le vice-président de l’URSS, Guennadi Ianaïev, le président du KGB, Vladimir Krioutchkov, le ministre de l’Intérieur, Boris Pougo, celui de la Défense, Dmitri Iazov, et plusieurs autres personnalités politiques se sont opposés à l’imminente transformation de l’URSS en l’Union des États souverains. « L’on se dirige vers la dislocation du pays et au lieu d’une puissance forte, l’on nous propose une fragile confédération de républiques dirigées par des présidents indépendants », a-t-il alors commenté l’initiative. 

Les opposants ont entamé des négociations avec Mikhaïl Gorbatchev, qui se trouvait alors à sa datcha (maison de campagne), dans le sud de la Crimée. Le 18 août, alors que le dialogue n’aboutissait pas, ils ont annoncé la mise en place du Comité d’État sur l’état d’urgence (GKTchP), entrant ainsi en confrontation avec le président soviétique Gorbatchev et celui de la RSFSR (république socialiste fédérative soviétique de Russie), Boris Eltsine.

Putsch de Moscou

Dans la nuit du 18 au 19 août, Ianaïev a signé un décret, aux termes duquel il assumait lui-même les pouvoirs de président par intérim, Gorbatchev ne pouvant pas les exercer « pour des raisons de santé ».

Le 19 août au matin, sur ordre du ministre de la Défense Iazov, des troupes sont entrées à Moscou. Iazov affirmera plus tard que leur objectif était « la protection des sites stratégiques » de la capitale. Ces gestes ont joui de très peu de soutien et des manifestations ont éclaté dans des villes du pays.

Dmitri Iazov, ministre de la Défense de l'URSS

Après que trois manifestants ont péri à Moscou dans la nuit du 20 au 21 août, Iazov a donné l’ordre de retirer les troupes de Moscou. Il affirmera plus tard que le Comité n’avait jamais projeté de disperser les manifestants : « Le faire, c’est fomenter une véritable guerre civile, ce que moi, officier et maréchal ayant prêté allégeance à l’État, ne pouvais pas accepter ».

« Après tout, nombre de ceux qui ont alors protesté contre nos décrets ne s’orientaient tout simplement pas dans la situation qui s’est créée. Les gens étaient poussés au bord du désespoir par l’économie qui s’écroulait, l’inflation galopante et un système de tickets de rationnement sur pratiquement tout, de l’huile à l’alcool. Ils étaient prêts à voter de leurs deux mains même pour un diable chauve », disait-il. 

Vers le 21 août, un schisme s’est produit au sein des forces armées : une partie des militaires a refusé de se plier aux ordres du GKTchP. Il a été décidé d’envoyer une délégation en Crimée en vue de négociations avec Gorbatchev. Iazov en a fait partie et s’est fait arrêter à son retour dans la capitale. Peu après, les autres membres du Comité ont été appréhendés

« Savez-vous pourquoi le GKTchP a perdu ? Car, je vous le dis franchement, il fallait travailler avec le peuple, alors que l’on a cru que l’on pouvait amener des chars et c’est tout. L’on m’a proposé de déployer les troupes aéroportées dans tous les aérodromes. Rien ne me valait de donner un tel ordre. Mais cela aurait mené à quoi ? Au sang. Et au nom de quoi ? ». 

Les membres du Comité d’État sur l’état d’urgence ont été accusés de haute trahison. Ensuite, la charge a été requalifiée en celle de complot en vue de s’emparer du pouvoir. 

Iazov a passé 498 jours au centre de détention de Matrosskaïa Tichina, à Moscou. Le 23 février 1994, aussi bien lui que d’autres membres du GKTchP ont été amnistiés.

Dmitri Iazov, ancien ministre de la Défense de l'URSS, devant un palais de justice moscovite

Dans les années qui ont suivi, l’ancien ministre a occupé le poste de conseiller au ministère de la Défense et à l’Académie de l’état-major. Il a écrit des livres et dirigé la Fondation des vétérans des Forces armées Fraternité des officiers et l’ONG Comité à la mémoire du maréchal Joukov.

Après la mort du maréchal Vassili Petrov en 2014, Iazov est resté le dernier maréchal de l’Union soviétique encore en vie. Il a quitté ce monde le 25 février 2020, à l’âge de 96 ans.

Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou et le maréchal de l'Union soviétique Dmitri Iazov (de gauche à droite)

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