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Il y a toujours eu des marchands en Russie : dans les villes, ils s’appelaient lavotchiniki (commerçants) et kouptsy (marchands) ; dans les villages, on parlait de korobeïniki, cat ils sortaient leurs produits d’une boîte (korobka). La révolution de 1917 a mis pour quelque temps fin au commerce privé. Les bolcheviks ont décrété que les entrepreneurs de tous bords étaient une « relique du système bourgeois » contre lequel ils luttaient si férocement. Cependant, cette interdiction a été de courte durée.
L’affirmation selon laquelle le commerce privé était complètement proscrit sous les communistes n’est que partiellement vraie. Si nous évoquons la période de 69 ans qu’a duré l’histoire soviétique, il s’avère que même sous le régime bolchevique, les entrepreneurs ont connu un « âge d’or ». Et c’est arrivé peu de temps après la mise en place du système communiste.
Rendue exsangue par les révolutions et la guerre civile, la Russie soviétique faisait face à une crise industrielle, à la faim, au chômage et à la criminalité. Les communistes ont décidé de faire sortir le pays des ruines à l’aide de réformes appelées Nouvelle politique économique (NEP) : elle autorisait non seulement les entreprises privées, mais supposait également des allégements fiscaux et des avantages en tout genre. Les autorités ont dû temporairement fermer les yeux sur les contradictions idéologiques afin de relancer rapidement l’économie et de ne pas retourner le peuple contre elles.
Par exemple, un paysan pouvait désormais vendre le grain qu’il lui restait après avoir payé des taxes. C’était une forte incitation à produire plus.
Le décret sur la nationalisation complète de l’industrie a également été annulé : désormais, un commerçant privé pouvait posséder de petites entreprises, attirer des capitaux étrangers, louer de grandes entreprises à l’État ou louer à ce dernier ses propres sites. Au total, l’entrepreneur pouvait embaucher jusqu’à 100 personnes. Au lieu d’être payés en nature, les travailleurs étaient rémunérés en monnaie sonnante et trébuchante. Pour cela, les bolcheviks ont même restauré le système bancaire. La pratique du troc entre la ville et la campagne a également cédé la place à des relations marchandes. Des hommes d’affaires surnommés « NEPmen » étaient activement engagés dans la revente de produits ruraux dans les villes, et de biens industriels dans les villages.
De nombreux artisans étaient réunis dans des artels. Ces derniers sont devenus le moteur de l’économie pendant de nombreuses années.
Un artel était une association d’artisans indépendants qui voulaient conquérir une part du marché en unissant leurs efforts. « Les artels à cette époque étaient créés par des passionnés et ceux qui étaient attirés par l’odeur de l’argent. Le nouveau gouvernement a encouragé de telles entreprises, car elles inondaient le pays de biens et services, et fournissaient du travail à des personnes qui n’auraient pas facilement trouvé un emploi dans une organisation d’État », explique Alexandre Khrissanov, chercheur sur l’industrie soviétique. La propriété des artels était mise en commun.
Pour les commerces privés, tout s’est terminé le 11 octobre 1931 avec l’adoption d’un décret qui interdisait cette activité. Mais les artels ne tombaient pas sous le coup de cette décision.
À la fin des années 1920, le pays a mis le cap sur l’industrialisation, et misé sur le développement des entreprises industrielles. La croissance du capital des commerçants privés était devenue plus nuisible qu’utile pour le système soviétique, qui commençait à se renforcer. Mais les artels s’inscrivaient dans le cap décrété par le socialisme. L’État a décidé d’en prendre le contrôle.
« Tous les artels étaient obligés d’adhérer aux syndicats de l’industrie, de remettre des rapports financiers et de calculer les salaires selon une grille tarifaire officielle. Les grands collectifs ont reçu l’ordre d’organiser une cellule du Komsomol et une organisation du parti en leur sein », explique Khrissanov. Ces artels étaient dirigés par des gens de l’extérieur - des fonctionnaires du parti et de la nomenklatura en charge de l’économie.
Au début des années 1950, il y avait 12 660 artels de pêche en URSS. Cependant, il était difficile de qualifier ses dirigeants d’hommes d’affaires. L’État déterminait les prix des produits des artels et fixait un plan, indiquant quels articles il fallait produire et en quelle quantité. Par exemple, en 1941, le parti a décidé que la production des artels ne devait pas être plus de 10 % plus chère que celle l’État. Et en temps de guerre, jusqu’à six résolutions ont été émises sur le prix des cuillères en bois que les ouvriers des artels produisaient pour l’armée.
De nombreux artels ont fermé en raison des nouvelles règles du jeu et le gouvernement soviétique a transformé les coopératives les plus prospères en entreprises publiques.
« Dans les années 1930 et 1940, les artels ne subsistaient que là où le parti et le gouvernement les autorisaient à opérer, explique Khrissanov. Dans certains domaines il n’était pas rentable de créer des organisations d’État. Par exemple, les théâtres étaient desservis par des artels fabriquant les costumes. Et parfois l’État créait des usines entières sur le modèle de l’artel. »
Ces artels ont produit un grand nombre d’articles sophistiqués d’un point de vu technologique. Par exemple, l’usine Radist, qui fabriquait des télévisions, était un ancien artel. L’artel Primus, qui produisait des mitrailleuses pour le front, a été rebaptisé « usine » en 1944 et est finalement devenu propriété de l’État. Pendant la guerre, ce sont les ouvriers des artels qui approvisionnaient le front : ils cousaient des pardessus et des housses pour avions, et fabriquaient des munitions ou des biens de consommation pour l’arrière. En fait, tous dépendaient des commandes d’État, étaient au service de la sphère sociale et étaient engagés dans les principaux « chantiers du communisme ». Ils reversaient à l’État 60 % de leurs bénéfices sous forme d’impôts, et les 40 % restants étaient réinvestis dans l’expansion de la production, les primes aux ouvriers ou l’amélioration de leurs conditions de vie.
Mais même les artels les plus florissants n’avaient pas la vie facile. C’étaient souvent des « boucs émissaires » aux yeux des fonctionnaires en charge du domaine économique. Les coopératives étaient généralement critiquées, soit pour avoir échoué à remplir la tâche fixée par l’État, soit pour la qualité insuffisante de leurs produits, soit car on les accusait de ne pas penser aux intérêts de l’État. En même temps, leur fonctionnement était régulièrement entravé.
Voici comment le travail de ces artels a été décrit : « Ma grand-mère à la fin des années 1940 est devenue comptable pour un artel de couture, et elle racontait souvent comment elle devait se dépatouiller pour acquérir des tissus, des fils et de la laine. L’État allouait des matières premières rares aux artels en fonction de ce qui restait. Par conséquent, certains matériaux, souvent volés, étaient achetés sous le manteau. Les artels obtenaient de l’argent en vendant des produits non enregistrés [défectueux] sur les marchés. Et de temps en temps, les présidents des artels étaient emprisonnés pour ce genre de machinations », se souvient Khrissanov.
En conséquence, les dirigeants du pays ont fini par considérer que les artels disposaient d’un fonds monétaire trop important. En 1960, toutes les coopératives restantes (non nationalisées auparavant) ont été interdites, à l’exception de celles créées par des handicapés et les chercheurs d’or. La stagnation et des pénuries sont apparues dans le pays, ce qui était aussi la conséquence de la destruction des artels, car de nombreuses chaînes de production avaient été mises à l’arrêt. À partir de ce moment, il n’y avait qu’un seul « homme d’affaires » dans le pays : l’État.
Durant la perestroïka, dans les années 1980, des « fartsovchtchiki » sont apparus dans les rues : de jeunes hommes échangeaient des marchandises étrangères (cigarettes, badges, stylos, briquets, disques vinyle, jeans, etc.) contre de la vodka soviétique, du caviar et d’autres biens. Ces marchandises étaient vendues au peuple soviétique de la main à la main, avec une marge importante. Souvent, les commerçants gagnaient plus en une semaine que leurs parents en un mois. Ce commerce clandestin a été rendu possible par l’ouverture du rideau de fer, même s’il était encore illégal.
En 1986, une loi permettant d’avoir des revenus parallèles pendant son temps libre a été votée. Mais ces gains pouvaient reposer « exclusivement sur le travail personnel des citoyens et de leurs familles ». Ainsi, donner des cours privés ou conduire un taxi privé est devenu possible dans le pays. Dans le même temps, les coopératives étaient encore traitées comme des « ennemies de classe ». Ce n’est que le 26 mai 1988 qu’une loi autorisant les coopératives à se livrer à tout type d’activité non bannie par la loi, y compris commerciale, a été adoptée.
Dans cette autre publication, découvrez comment l’URSS a failli devenir un pays à économie de marché.
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