Comment «travaillaient» les cambrioleurs en URSS?

Kira Lisitskaya (Photo: Domaine public; Leonid Gaidaï/Mosfilm,1973)
Les cambrioleurs soviétiques possédaient tout un arsenal d'outils pour pénétrer dans un appartement par effraction. Et les passe-partout étaient loin d'être l'essentiel parmi eux…

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Pour parler des cambrioleurs et de leur activité en URSS, nous allons tout de suite donner la parole à un professionnel. Peut-être que sa méthode semblera inattendue.

« Je me suis mettais au travail un mois à l'avance, m'a confié un cambrioleur âgé de Saint-Pétersbourg. Il fallait avoir un peu de capital - pour racheter tout un compartiment de train vers le sud - disons, à Sotchi. Le jour où le train partait, mon "théâtre" commençait. En faisant semblant d’être à bout de souffle, je courais à la gare et je cherchais des "clients" appropriés - une famille avec un enfant, qui avait déjà acheté des billets pour un siège dans "mon" train. Ensuite, l’"arnaque" commence. Je les convaincs que j'ai acheté tout le compartiment pour ma famille, mais la petite est tombée malade, ma femme est restée avec elle, je ne peux pas non plus emmener le garçon de cinq ans seul avec moi, et les vacances ont déjà été réservées – j’ai acheté ces billets pour rien ! Souhaitez-vous quitter votre place en voiture économique et m'accompagner dans mon compartiment, pour la moitié, allez, pour un quart du prix – l’argent a déjà été versé ! 

Une gare soviétique

Il faut savoir que de Feodossia à Leningrad, il y a plus d'un jour et demi de voyage ! Qui veut passer un jour et demi dans une voiture économique sans cloisons, avec des passagers qui se ruent à droite à gauche constamment, quand on peut aller dans un compartiment fermé confortable ! Et l'homme qui le propose semble être quelqu’un de bien - les parents réfléchissent... Dans de telles "arnaques", le fait que le train parte littéralement dans 10 minutes aide toujours, et la décision doit être prise le plus tôt possible. Du coup, je voyage avec la famille dans un compartiment pour le sud. 

Et là, comme j'ai déjà de bonnes relations avec les contrôleurs, j'arrive à me procurer à la fois du cognac et des en-cas, on fume avec le père entre les voitures, je suis un vrai bout en train, un farceur, un joyeux luron... On partage des histoires sur Leningrad, on se dit où on habite, on se moque de l’aménagement stupide des appartements... (Et tu peux me parler de n'importe quel aménagement, je connais tous les appartements typiques comme ma poche, avec mon genre d'activité ! Sauf que mes "passagers", bien sûr, ne le savent pas).

Leonid Kouravliov dans le rôle de cambrioleur

"Je me suis acheté un service polonais récemment, tu sais, une commode bien pratique pour mettre ses économies, dis-je autour d'un énième verre.

- Oh, qu'est-ce que tu racontes, qui garde ses biffetons dans les buffets maintenant, avec tous ces voleurs ! Nous, on les garde dans la machine à laver, sous le linge sale", avoue son épouse.

Au moment où le train arrive à Sotchi, j'ai déjà l'adresse de leur appartement (j’ai consulté  leur enregistrement dans le passeport) et les moulages de leurs clés, que j'ai faits pendant que toute la famille dormait comme des loirs - les parents et l'enfant, je te les ai torturés avec mes anecdotes jusqu'à quatre heures du matin. Et pendant que la famille s'amusera, je retournerai à Leningrad dans le prochain train, et en toute discrétion je nettoierai leur appartement. Quelques tournées de ce type par saison - et vous pouvez vivre confortablement jusqu'à l'été prochain ». 

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Pourquoi les cambriolages étaient-ils populaires en URSS ?

Il n'y avait pas de banques en URSS - on pensait que l'usure n'avait pas sa place dans une société socialiste. Les citoyens se voyaient proposer de conserver leurs économies à la caisse d'épargne. Cependant, la majorité  du peuple soviétique ne possédait pas de connaissances financières et avait simplement peur de mettre l'argent « sur un livret ». Ceux qui s’y connaissaient en finance ne voulaient pas faire la queue pour retirer l'argent à leur caisse d'épargne. Ils préféraient conserver leurs économies à la maison ou investir dans des choses chères qui pouvaient ensuite être revendues sur le marché noir - principalement des bijoux, des magnétophones, des téléviseurs, des montres, des manteaux de fourrure ou en peau de mouton. Tous ces biens étaient recherchés par les cambrioleurs.

Les voleurs avaient leurs propres spécialisations. Les fortotchnitchiki (d’un mot signifiant « fenêtres ») pénétraient dans les appartements par les fenêtres, descendant parfois grâce à des cordes depuis les toits. Les medvejatniki (du mot « ourson ») ouvraient portes et coffres-forts parfois avec des passe-partout, parfois avec des outils plus sérieux.

Mais tout vol à grande échelle commençait par l'observation. Un ancien voleur d'appartements a déclaré dans une interview au journal ukrainien Segodnya : « Tout d'abord, nous examinons une maison au hasard de l'extérieur, choisissons des appartements qui, même de loin, semblent plus riches que les autres - des rideaux coûteux sont suspendus ou le balcon est vitré. Les propriétaires se sont permis cela, alors ils devraient avoir de l'argent en réserve. Nous visons non pas une, mais trois ou quatre options et entrons. Tout d'abord, nous observons les serrures. Je vais révéler un secret professionnel : plus il y a de serrures, plus la porte est faible ! C'est-à-dire que si vous voyez 5 ou 10 serrures, vous comprenez que vous n'avez pas besoin de vous embêter avec elles, mais qu'il est plus facile de casser le joint directement. Mais ce n'est pas pour les cambrioleurs – cela fait trop de bruit, et nous agissons rapidement et inaperçus. 

Si l'appartement est sous surveillance plus longtemps, vous pouvez noter la voiture que conduisent les propriétaires, s'ils portent des vêtements et des chaussures de prix. Après s'être assurés que les gens sont riches, on commençait à entrer dans l'appartement. Nous voyons que nous pouvons venir à bout de la serrure, alors nous commençons à sonner à la porte. Si quelqu'un est à la maison, il ouvrira généralement et posera une question. Alors, nous demandons où habite Vassia-Petia-Raïa, ou si l’appartement est à louer. Il y a erreur ? Désolé, je me suis trompé. Habituellement, sur trois ou quatre options, une fera certainement l'affaire : les serrures conviennent et les propriétaires ne sont pas à la maison », explique le cambrioleur.

La situation en matière de cambriolages en URSS était grave. En 1960, 210 374 vols ont été enregistrés - un nombre qui avait doublé depuis 1956 ! Il y avait 100 vols pour 100 000 habitants. Et selon le Code pénal de 1960, le vol était passible d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans. Cependant, les cambriolages étaient, en règle générale, commis par un groupe de personnes, et pour cela on prévoyait une peine allant jusqu'à 6 ans de prison – ainsi que pour les vols à répétition, et pour le vol avec utilisation de moyens techniques (par exemple, les clés passe-partout ou des copies de clés). L'activité des voleurs récidivistes était passible d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 15 ans. Et pourtant, en 1961, le nombre de vols a augmenté encore plus - jusqu'à 224 000 par an.

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Règles du cambrioleur

La méthode de cambriolage classique est appelée « cinq minutes » - il s'agit d'un choix aléatoire, lorsque rien n'est connu à l'avance sur l'appartement et son contenu, à l'exception des informations obtenues lors d'un examen externe.

« En fait, nous ne sommes bien sûr pas à l'intérieur pendant cinq minutes, mais pas plus de 15 à 20 minutes. Plus longtemps, le risque augmente que l'un des propriétaires arrive, et alors le vol se transformera en vol qualifié, et c'est un article de loi complètement différent et une peine plus lourde », explique le cambrioleur.

Les cambrioleurs professionnels essaient toujours d'effectuer leur opération pendant que les propriétaires ne sont pas dans l'appartement. C'est plus facile à faire lorsque le vol est préparé très à l'avance, en se basant sur les informations fournies par un indicateur. Pour comprendre l'horaire d'arrivée et de départ des locataires, il faut noter quand les lumières s'allument le soir aux fenêtres, quand la boîte aux lettres est vidée. Enfin, il était possible de suivre les relevés du compteur électrique - dans la plupart des maisons soviétiques, ils se trouvaient à l'extérieur des appartements, dans la cage d'escalier, et étaient facilement accessibles pour une inspection. Il existe des méthodes plus sophistiquées, comme placer de la cendre de cigarette sous le tapis à l'extérieur de la porte pour détecter les allées et venues.

En calculant quand les propriétaires ne sont pas à la maison, vous pouvez vous sentir plus à l'aise. « Si vous agissez grâce à un indicateur et savez avec certitude que le propriétaire ne débarquera pas à l'improviste, vous pouvez rester dans l'appartement pendant une demi-heure voire une heure. C'est suffisant pour tout retourner : arracher les plinthes et les moulures, éventrer les oreillers, vérifier les bottes d'hiver et autres. Ensuite, vous agissez comme ceci : d'abord vous prenez ce que l’indicateur a dit, puis vous commencez à inspecter la maison. 

En plus des oreillers et des bottes, on vérifiait d'abord tous les vases et pots de fleurs, les tiroirs des armoires et des buffets, puis - les livres, la literie, les pots de céréales et d'épices. En général, tout ce qui est facilement accessible en quelques mouvements. Mais les voleurs n'aiment pas fouiller dans les tas d'ordures. Sur le balcon, vous pouvez cacher quelque chose des voleurs. S'il s'agit d'un "cinq minutes", et que le balcon est complètement jonché d’objets, il n'aura pas le temps de fouiller dans tout cela. De plus, il est dangereux de fouiller, car les voisins peuvent s’en rendre compte », détaille le cambrioleur.

Pendant longtemps, les statistiques criminelles de l'ère soviétique n'étaient pas publiques, les premières données n'ont été déclassifiées qu'à la fin de l'ère soviétique. Les années 1980 et 1990 ont été une période de criminalité effrénée en général, et de cambriolages en particulier. Aujourd'hui, alors que le système bancaire fonctionne en Russie, les fonds ne sont plus investis dans des manteaux de fourrure et des bijoux, et le cambriolage a cessé d'être aussi massif qu'il ne l'était en Union soviétique.

Dans cette autre publication, nous expliquons pourquoi les citoyens soviétiques achetaient des objets pour la vie (voire plus)

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