«Exode russe»: cette artiste peintre qui revit l’épopée des émigrés blancs après la révolution

Les œuvres de la peintre Natalia Chevtchenko peuvent être considérées comme une sorte de chronique de l'exode russe, au cours duquel plus d'un million de personnes ont quitté l'Empire russe en raison de la révolution et de la guerre civile qui a suivi. Ses toiles sont une véritable immersion, où chaque héros et chaque scène véhicule l'esprit de son temps - prêtre orthodoxe sonnant le tocsin, femme cosaque faisant ses adieux à sa terre natale, silhouettes de navires se fondant à l'horizon.

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Depuis le rivage natal

Il y a de l'agitation autour du navire - l'évacuation de Crimée bat son plein. Vous pouvez voir les figures tendues des gardes blancs, des femmes et des enfants. Un cheval abandonné par un cosaque se tient seul au milieu de la foule. Très bientôt, tous devront quitter l'Empire russe en raison de la défaite face aux bolcheviks. À la hâte, des caisses en bois avec des icônes sont chargées sur le pont. Un prêtre orthodoxe regarde avec anxiété les derniers préparatifs des navires de la Flotte de la mer Noire restés à flot, qui s'appellera plus tard l'« escadre russe ».

Réalisée avec des traits vifs serrant le cœur, cent ans après ces tristes événements, il s'agit d'une peinture du cycle Exode russe 1920 de la peintre de Krasnodar (sud de la Russie) Natalia Chevtchenko, qui travaille sous le nom d’artiste « Natan ». Elle a hérité sa passion pour l'art de ses parents, qui appartenaient à l'intelligentsia créative de Saint-Pétersbourg. Et bien que l'artiste de 47 ans n'ait aucune formation artistique académique, la peinture est aujourd'hui son activité principale. 

Une page de l’histoire. Selon Natalia, l'image traduit l’engloutissement. L'image de la main évoque l'existence d'une certaine force, « vigilante », qui sauve des individus qui meurent dans le feu de la révolution.

Pour Natan, le point de départ de son travail sur une sorte de chronique de l'émigration blanche a été sa découverte de la biographie de saint Jean de Shanghai et de San Francisco. « J’ai découvert le sort du futur saint, qui a quitté la Russie avec d'autres partisans du tsarisme, en 2017 lors d'un voyage en Chine, où se tenait mon exposition sur le ballet russe, raconte l'artiste. J'ai été frappée par le pouvoir spécial qui émane de cette personne, son exploit dans son service. J'ai dépeint Jean dans un clocher, sonnant le tocsin et priant pour ses ouailles ». 

Prière du prêtre

À l’époque, Natan ne savait pas encore que deux ans plus tard, elle reviendrait sur le sujet de l'exode russe. Un jour, elle a dû participer au forum « Procès de Nuremberg », dont les participants ont rappelé dans un cadre informel les événements de l'évacuation de Crimée. La longue file de navires de Piotr Wrangel, naviguant vers l’inconnu sur la mer Noire dans l'obscurité, est apparue devant les yeux de l'artiste comme si elle était réelle... L'impression était si forte qu'elle a décidé de consacrer toute une série de ses œuvres à ces événements.

Adieu d'une femme cosaque à sa terre natale

Suivant l’élan de son pinceau, Natan semblait partir avec l'escadre russe, vivant avec elle chaque jour de navigation parsemé de dangers. Elle le savait : chacun de ceux qui disaient adieu à leur patrie pendant ces années trouverait un refuge. Pour de nombreux émigrés qui ont quitté les rives de la Crimée avec le Baron noir, la ville tunisienne de Bizerte a été ce refuge tant attendu.

Anastassia Chirinskaïa-Manstein. Témoin de l'évacuation de Crimée et ancienne doyenne de la communauté russe en Tunisie, qui a grandement contribué à préserver la mémoire de l'escadre russe.

De peinture en peinture, Natan est retournée dans le port africain pour nous montrer le sort des marins russes et de leurs familles en terre étrangère. Ici se tient, cachée du Soleil brûlant sous une ombrelle, une jeune noble. Ses yeux sont fermés pensivement, comme si elle rêvait de l’ancien domaine russe resté dans le passé, où elle a vécu enfant. Légère et aérienne, cette image est pleine de nostalgie, mais dénuée de toute angoisse.

Noble russe héréditaire. Bizerte

Un spectateur attentif remarquera à quel point le style de l'artiste évolue au cours du travail sur la série. Au début, des peintures nerveuses, rappelant des affiches, émergent entre ses mains. « C'est parce que je me suis appuyée sur les connaissances que j'ai reçues à l'école soviétique, c'était extrêmement schématique - rouge, blanc, révolution », confie-t-elle.

Éclipse. Un disque rouge grandit de sorte qu'à la fin seule une petite bordure blanche reste visible sur les bords - l'Armée rouge évince les représentants du mouvement blanc hors du pays. À droite, une noble russe cheveux détachés, symbolisant les émigrants qui sont «dispersés à travers le monde».

Mais plus l'artiste se familiarisait avec les souvenirs des témoins de l'exode russe, plus son style pictural changeait - les scènes tragiques laissaient place à des peintures-souvenirs, coutures et contours disparaissaient. « En écoutant Anastasia Chirinskaïa-Manstein, en lisant les journaux de Maria Tenicheva, en lisant les romans d'Olga Ilyina-Boratynskaïa et d'Ivan Chmelev, j'ai réalisé l'incroyable complexité et l'incompréhensibilité du monde, confie Chevtchenko. C'était comme si la paix de l’âme était descendue sur mes toiles ».

Prière. La toile a été réalisée en plein air dans le domaine familial d'Alexandre Pouchkine, Mikhaïlovski, sous l’influence du livre du même nom d'Ivan Chmelev. Dans ce récit, il y a un passage où la famille quitte l’église et tout semble rose : ciel, air, champs, forêts, vêtements.

Pour Natan, le cycle des émigrés blancs était bien plus qu'une simple série de tableaux destinés à une exposition. Il semblait avoir dépassé les limites de la réalité artistique, devenant étroitement lié à sa vie. Explorant les moments douloureux de l'histoire de son pays, l'artiste a connu un malheur personnel. « J'ai plongé dans le sujet, oubliant le présent et la vie quotidienne, mais ensuite j'ai commencé à remarquer que mes forces me quittaient », partage-t-elle avec nous. Un matin, je ne pouvais tout simplement pas me rendre à mon atelier. Les médecins m'ont diagnostiqué une leucémie au troisième degré ».

L'arbre de l'exode russe sur fond du temple Alexandre Nevski en Tunisie. Tel que conçu par Natan, il symbolise la diffusion de la culture russe et de l'orthodoxie dans le monde par les émigrants russes de la première vague.

La maladie de Natan est maintenant en rémission. Dans l'atelier de l'artiste se trouve le dernier tableau de la collection Exode russe, peint en février 2020 - il s'agit d'un portrait de la fille cadette de l'empereur Alexandre III et de l'impératrice Maria Feodorovna, Olga Romanova. Comme d'autres émigrés russes de la première vague, elle a quitté sa patrie après la Révolution de 1917, a vécu au Danemark et au Canada, et a travaillé en tant que peintre. « Au premier plan, vous voyez des fleurs - l'un des sujets préférés de la Grande-Duchesse. À droite, j'ai dessiné une bougie allumée comme symbole de la destruction de tout ce qui est mauvais et du fait qu'Olga a porté la lumière et la pureté dans son cœur tout au long de sa vie », dit Natan. 

Olga Romanova

Dans cette autre publication, nous vous emmenons à la découverte de la diaspora ruse de Lyon

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