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Paradoxalement, le chocolat qui est devenu l'un des symboles les plus emblématiques de Russie était au départ produit dans une usine fondée par un immigrant allemand, Ferdinand Theodor von Einem, arrivé en Russie à 25 ans la tête pleine d'espoir et de rêves. En 1849, cet homme audacieux était déjà le fournisseur de chocolat de la famille impériale, et recevait les plus hautes distinctions pour son travail acharné.
Il a alors ouvert sa propre entreprise de production de masse ainsi que sa première chocolaterie sur la rue Miasnitskaïa, au centre de Moscou. Cette dernière produisait des confiseries de grande qualité, qui, auparavant, étaient uniquement importées en Russie depuis l'Europe. En 1851, le jeune entrepreneur a ouvert sa première boutique sur la rue Arbat. À Moscou, les chocolats Einem ont alors commencé à gagner en popularité.
Il a ensuite fondé une société avec Julius Geis, son partenaire et compatriote, et ils ont ouvert leur première usine de production de chocolat sur le quai du canal Sofiskaïa. Einem est mort en Allemagne en 1876, mais son testament et ses dernières volontés ont été respectés et il a été enterré en Russie. Geis a pris la direction de l'usine, mais a décidé de ne pas en changer le nom car elle était déjà réputée et respectée.
En 1889, Geis a ensuite acheté un terrain sur le quai du canal Bersenevskaïa pour y implanter une immense usine constituée de 23 bâtiments. L'entreprise est restée dans cet ensemble monumental en briques rouges jusqu'en 2007, année où l'usine a été relocalisée. Il s'agissait probablement de l'entreprise la plus reconnaissable au centre de Moscou, près du Kremlin.
La Chocolaterie Einem est devenue le fournisseur de la cour impériale en 1913, a établi des filiales et des boutiques à Simferopol (Crimée), Riga (Lettonie) ou encore Nijni Novgorod, et a gagné de nombreux prix prestigieux nationaux et internationaux pour la qualité de ses produits et de ses assortiments. L'une des raisons qui expliquent le succès de l'entreprise est sa stratégie marketing innovante.
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Marketing futuriste
Croyez-le ou non, mais à une époque où le marketing n'existait même pas, l'entreprise Einem prenait au sérieux non seulement la qualité du chocolat (qui était telle qu'il pouvait rivaliser avec les chocolats belges, néerlandais ou français), mais aussi l'image de marque du chocolat, qui nécessitait une stratégie marketing très élaborée pour créer une atmosphère spécifique dans les boutiques ainsi que des légendes intrigantes.
Le compositeur Karl Feldman a ainsi donné naissance à des musiques spécialement pour les boutiques de l'entreprise. Elles comportaient des références aux chocolats : les consommateurs avaient l'opportunité d'acheter les partitions pour la Valse-Montpensier, le Galop du Cupcake, ou la Danse du Cacao, qui étaient jouées dans les magasins par des musiciens professionnels.
La marque portait également une attention particulière à l'emballage, qui devait être beau et coloré. Il était souvent fait de matériaux inhabituels, et on trouvait des boites couvertes de velours, de soie ou de cuir. Les artistes en vogue de l'époque, comme Vroubel, Bakst ou Benois, étaient alors encouragés à créer des illustrations pour les articles proposés à la vente.
La créativité était présente dès l'ouverture de la boîte : une série de cartes de collection montrant une Moscou futuriste, des peintures d'artistes russes, des costumes nationaux, des oiseaux ou des papillons attendaient l'amateur de bonbons émerveillé. Les clients avaient en outre droit à une boîte gratuite s'ils récupéraient un certain nombre de ces cartes.
Des dirigeables, merveilles technologiques de l'époque, volaient dans les airs au-dessus des villes russes, incitant les clients à acheter des chocolats Einem à leur bord. Pour attirer les clients concernés par leur statut, plusieurs sucreries ont reçu des noms tels que « Boyarski » (en référence aux Boyards, aristocrates des pays orthodoxes d'Europe de l'Est), « Empire » ou « Mignon ».
Autre innovation marketing : les distributeurs automatiques qui vendaient les chocolats de la marque Einem. De petites barres de chocolat pouvaient être achetées en insérant une pièce de 10 kopecks dans une machine automatique et en actionnant son levier. Elles sont devenues très populaires, et étaient une source de tentation perpétuelle pour les enfants.
Salaires élevés et avantages pour les travailleurs
L'une des stratégies de travail de l'usine qui a le mieux fonctionné était son attitude éclairée envers ses employés : ils bénéficiaient de conditions de travail décentes et d'une bonne qualité de vie, ainsi que d'un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (si tant est qu'on puisse parler d'une telle chose à la fin du XIXe siècle).
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En Russie, à l'époque impériale, les usines récoltaient habituellement d'énormes bénéfices en exploitant leurs employés : une journée de travail durait souvent 15 heures, commençant à quatre heures du matin et terminant à neuf heures du soir, avec seulement quelques courtes pauses, le tout dans un environnement insalubre et dans des conditions de travail barbares.
L'usine d'Einem a de son côté instauré la journée de travail de 10 heures, et fournissait à ses employés des dortoirs avec des chambres propres et lumineuses, ainsi que de véritables réfectoires. Des écoles étaient également mises en place pour les enfants du personnel de l'usine, ce qui était une pratique courante à l'époque.
Les salaires étaient les plus élevés de l'industrie, avec une rémunération initiale de minimum 20 roubles qui augmentait de deux roubles chaque année passée à travailler pour l'entreprise ; les employés étant restés dans l'entreprise pendant 25 ans recevaient une médaille en argent et une retraite équivalente à leur salaire. Il s'agissait de méthodes jamais vues pour l'époque, et c'est la raison pour laquelle la majorité des employés de l'usine ont refusé de participer à la Révolution.
Charité et soutien de l'effort de guerre
La charité était courante à l'usine : pour chaque demi-kilogramme de biscuits vendus, cinq kopecks d'argent étaient donnés à des institutions caritatives de Moscou et aux écoles allemandes pour les pauvres et les orphelins.
Pendant la Première Guerre mondiale, Einem a fait des dons importants au profit des combattants, aménagé un hôpital pour les soldats blessés, et envoyé son chocolat au front.
L'usine a fait tout son possible pour faire face aux crises qui ont secoué le pays après le début de la guerre.
Nouvelle vie après la Révolution de 1917
Bien que l'usine Einem ait été nationalisée après la Révolution de 1917 et qu'elle ait reçu le nom de Krasny Oktiabr (Octobre Rouge, en hommage au mois durant lequel la Révolution s'est déroulée), elle était déjà si réputée qu'il a fallu ajouter « anciennement Einem » à la fin de ses publicités pendant plusieurs années.
Contrairement aux entreprises fructueuses qui ont été ruinées par les bouleversements causés par la Révolution, Einem, sous le nom de Krasny Oktiabr, était comme le phénix renaissant de ses cendres, et a continué sa production en battant tous les records établis pendant l'époque impériale.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la chocolaterie a concentré ses efforts sur la production de produits pour le front, et a créé des sucreries spéciales pour les pilotes et les soldats, qui contenaient des ingrédients et des vitamines pour qu'ils puissent rester en forme et éveillés pendant de longues périodes.
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Après la chute de l'Union soviétique, l'usine a été privatisée et fusionnée en une holding qui rassemblait aussi ses concurrents de longue date, tels que les chocolateries et confiseries Babaïevski et Rot Front. Aujourd'hui, la chocolaterie continue de produire ce célèbre chocolat si fortement lié à l'histoire de la Russie.
Image de marque immuable
La chocolaterie est parvenue à maintenir la qualité de ses produits à la fois avant et après la Révolution, et a créé des chocolats intimement liés à la culture et à la mentalité russes.
Les chocolats Alionka sont un formidable souvenir à ramener de Russie, et sont illustrés avec l'image d'une jolie petite fille portant un foulard russe traditionnel. Il s’agit en effet du cliché de la fille d’un photographe soviétique qui était jadis apparue en Une du magazine Zdorovié avant d’être retenue en 1966 par l’usine pour son chocolat. Son image est, encore aujourd'hui, l'icône bien connue de l'usine et de l'industrie chocolatière russe en général.
Les bonbons Michka Kossolapi (signifiant « Ours Pataud ») sont les plus vieux fabriqués par l'usine. On continue de les produire encore aujourd'hui. Peu après avoir été acheté par le collectionneur d'art Pavel Tretiakov, le célèbre tableau d'Ivan Chichkine, Un matin dans une forêt de pins, a servi d'illustration pour ces sucreries. Ce chocolat fait partie des meilleurs souvenirs d'enfance pour les Russes, car nous en recevons souvent avec nos cadeaux au Nouvel an.
Des dizaines de noms de bonbons sont connus depuis des décennies : Krasnaïa Chapotchka (Chaperon rouge), Rakovyé Cheïki (Queues d'Écrevisses), Zolotoï Klioutchik (Clé d'Оr), Kara-Kоum, Kis-Kis, et bien d'autres. Une telle histoire et de telles innovations n'auraient pas été possibles sans l'approche marketing innovante et la créativité dont la chocolaterie a fait preuve dès ses débuts, il y a 170 ans.
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