Une exposition à Paris se consacre à la contribution des Juifs soviétiques dans la défaite des nazis

Des militaires soviétiques dans le Berlin vaincu près de la Porte de Brandebourg

Des militaires soviétiques dans le Berlin vaincu près de la Porte de Brandebourg

Service de presse
Le Centre de Russie pour la science et la culture à Paris accueille jusqu’au 10 avril 2020 une exposition documentaire interactive intitulée «Le Chemin vers la Victoire: Juifs soviétiques dans la Seconde Guerre mondiale».

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Cette exposition ne parle pas des stratégies militaires et n’affiche pas des plans de batailles, son contenu principal sont les témoignages très personnels d’anciens combattants, des faits peu connus de la vie des Juifs qui ont combattu le nazisme sur les fronts, dans les rangs de l'Armée Rouge et dans les détachements des résistants (partisans).

Une lettre d'Anatoly Kibrik, 17 ans

C’est une petite partie d’un très volumineux travail, réalisé par les archivistes et les collaborateurs de la Fondation Blavatnik Archive, une organisation à but non lucratif fondée en 2005 par Leonid Blavatnik, entrepreneur américano-britannique et membre de la Russian Jewish Congress Charitable Foundation. Durant 15 ans, 1 200 vétérans ont été interrogés dans 11 pays. Leurs témoignages et de nombreux documents fournis – lettres, cartes postales, journaux intimes, photographies – parlent de la guerre comme aucun manuel scolaire ni livre d’histoire ne saurait le faire.

Le journal de Boris Komsky

Selon les organisateurs, au cours des dernières décennies, de nombreux projets dédiés aux victimes de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah ont été créés, mais on sait peu de choses sur la participation des Juifs à la lutte commune contre le nazisme.

Martyres et combattants

Traditionnellement, dans le contexte de la guerre, les Juifs étaient perçus comme des victimes. Plus de la moitié des Juifs soviétiques sont morts lors de la Seconde Guerre mondiale : 2,7 millions de personnes. Cela représente 55% de tous les Juifs vivant sur le territoire de l’Union soviétique en juin 1941. C’est plus de 10% de toutes les pertes humaines en URSS. Parlant de la population civile, 7,4 millions de Soviétiques sont morts aux mains des nazis. Un tiers d'entre eux étaient Juifs, avance Oleg Boudnitski, directeur académique du Centre international d'histoire et de sociologie de la Seconde Guerre mondiale.

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Dès les premiers jours de la guerre, les nazis ont commencé l’extermination des Juifs sur les territoires occupés. Elle a été menée par des unités meurtrières spéciales, les Einsatzgruppen, ainsi que par les forces allemandes ordinaires et des collaborateurs locaux. Les Juifs soviétiques n’étaient en général pas envoyés dans des camps d’extermination : ils étaient fusillés, brûlés vifs, empoisonnés dans des camions à gaz, pendus ou battus à mort.

Toutefois, les Juifs n'étaient pas seulement des victimes, mais aussi des combattants. Plus de 500 000 d’entre eux ont servi dans les forces armées soviétiques lors du conflit. Selon le ministère de la Défense, parmi eux, 142 500 sont morts pour leur pays natal. Dans les territoires occupés il y avait environ 17 500 résistants juifs. 70 détachements partisans ont été composés presque exclusivement de combattants de nationalité juive.

Le gouvernement soviétique n’a pas censuré les informations sur le massacre des Juifs par les nazis, cependant, les Juifs étaient présentés dans les communiqués officiels comme des citoyens soviétiques, même s’ils étaient assassinés uniquement parce qu’ils étaient Juifs. Ainsi, de nombreux soldats juifs soviétiques ont appris les atrocités nazies à travers l’expérience de leur propre famille. Beaucoup d’entre eux ont fait cette horrible découverte alors qu’ils avançaient en territoires anciennement occupés par les nazis et lors de la libération des ghettos et des camps de concentration.

Zalman Grinberg

Sur l’un des nombreux écrans interactifs de l’exposition, nous pouvons écouter le récit de Zalman Grinberg :

« J’étais dans un hôpital de Panevezys, en Lituanie, en cours de rétablissement. J’ai débarqué à Kertch, le tout premier jour, le commissaire (c’était un homme bon) m’a dit : "Zyama, je ne veux pas te le raconter. Je dois te montrer quelque chose". Bien sûr, j’ai dit : "À vos ordres, commissaire !". On a pris un chariot tiré par des chevaux, ou peut-être une voiture, et on est partis. Une fois arrivé, j’ai vu… Des corps gelés. Des enfants, des femmes. J’ai regardé de plus près et vu qu’ils étaient Juifs. Les Allemands n’avaient pas eu le temps de les enterrer. Ils en ont tué autant qu’ils le pouvaient. C’était le ravin de Baherove. J’ai mis trois jours à reprendre mes esprits. Voir ces personnes âgées et ces enfants, nus. Quand j’ai vu cette horrible scène, j’ai compris, c’est devenu une évidence, ma famille était morte, ou sur le point d’être tuée ».

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En parcourant l’exposition, on découvre une photographie de famille de Zalman Grinberg, faite dans l’oblast de Khmelnytskyï, en Ukraine, en 1938. Le père, la mère, Zalman, et ses deux sœurs. Avant le début de la guerre, son père, Aron, observait les traditions juives à la lettre, mangeait casher et allait à la synagogue. Les parents et le frère cadet de Zalman ont été tués par les nazis pendant l’occupation.

Le visage féminin de la guerre

Un chapitre de l’exposition est dédié aux femmes à la guerre. Au total, 490 235 représentes de la gent féminine ont été appelées par l’État soviétique dans l’armée et la marine. Elles étaient placées aux postes médicaux, de communications, mais aussi derrière des canons antiaériens, ainsi qu’aux commandes d’avions, à des postes de sniper, et étaient chargées de faire diversion. Les historiens estiment le nombre de militaires juives dans l’Armée Rouge à environ 20 000. Puisqu’elles étaient les plus éduquées parmi les femmes soviétiques, les juives étaient très demandées dans le secteur médical et dans d’autres domaines qui nécessitaient des compétences professionnelles, comme l’interprétariat.

Asma Gindina

Une des héroïnes de l’exposition, Asma Gindina, était infirmière au front. Dans une bataille, elle a traîné sur 12 kilomètres un soldat grièvement blessé depuis un champ de bataille sur une tente-manteau. Elle l’a tiré d'une main, car l'autre a été transpercée par une balle. Trois ans après la fin du conflit, le soldat secouru a retrouvé Asma et lui a offert sa main et son cœur.

«Sans la vie de tous les jours, il n’y aurait pas de guerre»

De nombreuses interviews des vétérans ainsi que les lettres et les journaux intimes présentés à cette exposition illustrent ce que ces hommes et ces femmes ont enduré pendant la guerre. Ils y parlent de leur existence et de leurs souffrances durant les années de combats, racontent le quotidien et les privations de la vie dans les tranchées.  « Sans vie de tous les jours, il n’y aurait pas de guerre », remarque l’un des interlocuteurs, Yakov Pikus.

Beaucoup d’entre eux ne sont plus de ce monde, mais leurs témoignages feront désormais partie intégrante de l’héritage historique.

Gerts Rogovoy :

« Lors des bombardements qui étaient incessants, aucune équipe de cuisiniers n’arrivait jusqu’à nous. On ne nous donnait pas de nourriture. Parfois, une fois par semaine, on nous donnait un sac de biscuits secs. On les faisait durer. Nous avions ordre de nous déplacer la nuit. Alors on se déplaçait la nuit tombée. Pendant les pauses, on tirait le corbeau. On a essayé de faire de la soupe de corbeau. Le mieux, c’était quand on trouvait des chevaux. Des chevaux déjà morts, abattus. Dans ces cas-là, on les coupait en morceaux avec des couteaux de chasse, et on essayait de les cuire. La seule chose que je ne pouvais pas manger, c’était la patate crue. Certains en mangeaient. On trouvait des granges, des patates et des betteraves y étaient stockées. C’était une grande joie que de pouvoir bouillir des patates. Cependant, la fumée pouvait vous faire repérer par les Allemands. La faim était très dure à supporter ».

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Un autre récit, d’Ilan Palat, témoigne de l’esprit d’entraide que les soldats gardaient malgré les privations et les conditions extrêmes :  

« La plupart du temps, on recevait des rations de nourriture sèche, quand c’était possible. Mais parfois, une journée ou même plus passait sans qu’on n’ait rien. Mais chacun gardait quelque chose dans sa poche. L’un avait une boite de quelque chose, l’autre, un biscuit. Aucun ne gardait ça pour lui. Si quelqu’un avait quelque chose, c’était partagé avec tout le monde. Même si ce n’était qu’une demi-boîte. Chacun en recevait une petite cuillerée. Personne ne mangeait seul. Jamais ».

L’amour plus fort que la guerre

Parmi tant d’autres histoires, nous trouvons celle de Solomon Kantsedikas (Koen-Tsedek), né en 1919 à Kaunas, en Lituanie. À l’adolescence, il a rejoint l’Union communiste de Lituanie, une organisation clandestine de jeunes. Il a servi dans la 16e division de carabiniers lituanienne de 1942 à 1945. En 1943, il a été gravement blessé et a passé neufs mois à l’hôpital, mais une fois remis, il est reparti sur le front. Solomon et sa femme Elisheva se sont écrit 665 lettres entre janvier 1942 et août 1945. Elles saisissent des détails fascinants de la vie sur le front ainsi que des civils pendant la guerre, mais surtout, elles racontent l’histoire d’un amour sans limites.

« 7 mai 1945

Shevinka, mon amour !... Cela fait trois ans que nous sommes séparés, trois ans de souffrance profonde et de solitude amère… Si seulement je pouvais être avec toi, entendre tes paroles affectueuses et tendres, te serrer si fort que tes os en craqueraient, regarder ton visage enjoué adoré, embrasser ma bien-aimée follement, jusqu’à faire mal, me réjouir de ma fortune, ma Shevinka, élever notre fils, et être fier de notre bonheur. Au lieu de cela, tout n’est que marches, batailles, attaques sous une pluie de plomb, une blessure, la douleur, l’hôpital, les opérations, et surtout, le plus difficile à supporter, la vie sans toi. Sheva ! J’ai par moment cru que mes nerfs ne le supporteraient pas. Et je n’ai jamais songé à atténuer la douleur avec une autre femme. Ça n’aurait pas aidé. Tu ne sais toujours pas ce que tu signifies pour moi. Tu es tout pour moi, il n’y a pas de vie sans toi ».

Le Chemin vers la Victoire : Juifs soviétiques dans la Seconde Guerre mondiale, ce projet, élaboré par la Fondation Blavatnik Archive et l’Agence Rossotroudnitchestvo avec le soutien de mécènes à l’occasion du 75e anniversaire de la Victoire sur le fascisme, se poursuivra en Israël et ensuite à Berlin. 

Dans cet autre article, retrouvez le récit d’un soldat fictif en direct depuis la terrible bataille de Stalingrad. 

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