Grandeur et décadence de Ford en Russie

Au début des années 2000, Ford était la voiture la plus populaire et la plus désirée de Russie. Qu'est-ce qui a tué le fabricant américain et l’a forcé à quitter précipitamment le marché en jetant des millions de dollars investis en Russie?

L’histoire russe du célèbre constructeur automobile américain a commencé lorsque la plupart des Russes ne rêvaient même pas de devenir un jour propriétaires d’une telle invention. Quatre ans seulement après la création de sa société, Ford ouvre son bureau de représentation officiel dans l’Empire russe en 1907.

Ce n’ont pas été les temps les plus paisibles pour la Russie. La révolution d'Octobre approchait, ce qui conduisit à la destruction complète du nouvel ordre et à la création d'un État entièrement nouveau : l'URSS. Fait incroyable : après la révolution, Ford n'a pas quitté la Russie. En outre, la société envisageait une coopération avec le nouveau gouvernement soviétique.

En 1930, l’usine de montage d’automobiles KIM de Moscou a ouvert ses portes en Union soviétique, on a commencé à y assembler la voiture de tourisme Ford A et le camion Ford AA.

En 1932, des spécialistes américains ont participé à la construction d'une toute nouvelle usine automobile soviétique, qui est rapidement devenue l’usine automobile Gorki. L'usine produisait les légendaires voitures GAZ, qui ont été construites à l'aide des technologies Ford.

En 1936, cette usine produisit la GAZ M-1, construite sur la base de la Ford B. Même pendant la guerre froide, lorsque les relations entre deux nouvelles superpuissances étaient au plus bas, les concepteurs automobiles soviétiques ont continué de travailler pendant de nombreuses années à l'aide d'un manuel rédigé par un employé de Ford.

Cependant, la coopération entre les Américains et l’URSS allait dans les deux sens. Henry Ford Jr. s'est rendu à Moscou au milieu des années 1960 dans le but d'acheter une licence visant à fabriquer le bus soviétique ZIL-118 Iounost. Cette invention soviétique extraordinaire avait un design innovant et était un hybride entre un bus et une limousine. Malheureusement, les négociations entre Ford et le gouvernement soviétique n’ont donné aucun résultat.

Bientôt, Ford a du subir une nouvelle « révolution » en Russie. Cette fois, à la place d'une superpuissance communiste fermée et hostile aux Américains, un pays libéral qui souhaitait des voitures de qualité est apparu. Cependant, la situation économique des années 90 promettait de gros risques aux constructeurs automobiles étrangers désireux de conquérir le nouveau marché.

Comme dans les années 30, Ford a pris des risques et a été la première des sociétés étrangères à ouvrir son bureau de représentation en Russie indépendante en 1992. En 2002, le constructeur américain a ouvert sa première usine de production de voitures étrangères.

« Les règles ont été écrites en fonction de Ford. Les Russes ont été choqués : l'usine a commencé à produire des voitures abordables et modernes. C’étaient des voitures de nouvelle gamme déclinées en plusieurs versions, leur prix commençant à 11 500 dollars. À cette époque, aucun des concurrents ne proposait rien de tel », déclare l'expert en automobile Igor Morjaretti.

Malgré la situation économique plutôt difficile dans le pays, Ford a réussi à conquérir le cœur de nombreux automobilistes russes. Cela a été fait littéralement avec l'aide d'un modèle : la Ford Focus.

Un an après le début de la production en Russie, la Ford Focus est devenue la voiture étrangère la plus vendue sur le marché russe, et l'attente pour son acquisition dans certaines régions pouvait aller jusqu'à six mois.

Le modèle Ford Focus, fabriqué en Russie, était identique à la version européenne de cette voiture, à l'exception d'une batterie plus puissante (due à des hivers plus rigoureux) et d'une garde au sol plus élevée (en raison des routes de mauvaise qualité). Les Russes appréciaient le luxe à cette époque, et ils installaient des disques de belle facture pour 500 dollars supplémentaires, tout en négligeant souvent les systèmes ABS.

Le marché russe a traversé assez facilement la crise de 2008, a déclaré Morjaretti. Ni Ford, ni les autres sociétés étrangères qui avaient réussi à entrer sur le marché ouvert par les Américains, n’ont ressenti de forte baisse de la demande de voitures neuves. Inspiré par le succès considérable rencontré sur le marché russe, Ford a fondé une entreprise commune avec le géant automobile russe Sollers afin d'accroître de manière significative sa capacité de production en Russie. Désormais, non seulement les modèles Focus et Mondeo étaient produits en Russie, mais également les Ford Transit, Kuga, Explorer, Ecosport et Fiesta.

Malheureusement, pour l'entreprise, c'était le début de la fin. Le marché automobile russe a commencé à chuter après 2014 en raison de la situation économique globalement défavorable et de la montée des tensions internationales, qui ont entraîné une baisse du rouble et une réduction des revenus des ménages. Tout cela a entraîné une baisse de la demande de nouvelles voitures étrangères en Russie. Pour Ford, qui venait de dépenser des millions de dollars pour accroître ses capacités en Russie, cela a été un désastre. L’ouverture d’une seule usine de fabrication de moteurs avait coûté 275 millions de dollars à la société (à l’avenir, Ford estime à 500 millions de dollars le prix de la fermeture de toutes ses usines russes).

Le flop lié à la sortie de la Ford Focus III, tombé précisément à ce moment, et a constitué le coup de grâce. La Ford Focus III était une erreur de la société qui, conjuguée à une situation défavorable sur le marché russe, a détrôné Ford de sa position de leader dans le pays. La nouvelle Ford Focus valait déjà 18 000 dollars dans sa version de base, et compte tenu du fait que le cours du rouble avait presque été divisé par deux, le prix pour le consommateur local est devenu tout simplement inaccessible. Un tel prix l'a automatiquement exclue du segment des voitures économiques, mais parallèlement, la voiture ne pouvait pas non plus se qualifier en tant que voiture de luxe : en 2014, les ventes de voitures neuves ont diminué de 60% par rapport à 2013.

« Les revenus de la population ont chuté après 2014. Et avec la sortie de la Ford Focus III très améliorée, le modèle a fait un flop. Elle n'était pas perçue comme une voiture haut de gamme et elle était trop chère pour une voiture économique. La Ford Focus III n’a tout simplement pas trouvé son acheteur », explique Morjaretti. En 2019, Ford a annoncé la fin de la production en Russie et a fermé toutes ses usines, sauf une, où elle produit toujours des véhicules utilitaires légers. La société a perdu un marché sur lequel elle avait travaillé (et quelle avait dominé) pendant tout un siècle.

Dans cette autre publication, nous vous racontons pourquoi les Russes étaient fous de la voiture Volga.

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