Les Soviétiques ont connu Coca-Cola pour la première fois dans les années 1930, lorsqu’une délégation officielle s’est rendue en visite aux États-Unis. L’idée de conquérir l’URSS avec cette marque américaine emblématique était alors jugée trop coûteuse, mais l’idée de se rabattre sur une production locale avec des ingrédients complètement différents a été émise. À la place des feuilles de coca, du thé géorgien a ainsi été proposé. Néanmoins, cette nouvelle boisson, Ruscola comme elle a été surnommée, ne verra jamais le jour.
Après la Seconde Guerre mondiale, Coca-Cola a cependant réussi à s’introduire dans le bloc soviétique grâce à une illustre figure. Le maréchal Gueorgui Joukov, l’un des plus célèbres généraux soviétiques, a en effet développé un goût prononcé pour cette boisson après que le commandant des forces alliées, le général Dwight D. Eisenhower, lui a fait goûter ce pétillant breuvage.
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Néanmoins, Joukov ne pouvait pas se permettre de boire ouvertement une boisson américaine. Il a donc demandé à l’entreprise de créer un cola spécial incolore, comme la vodka, et dans des bouteilles plus « discrètes ». Il a alors bientôt reçu des dizaines de bouteilles de coca blanc avec une étoile rouge sur la capsule.
Joukov n’a pas essayé de faire la promotion de Coca-Cola en URSS, préférant le garder pour sa consommation personnelle.
Le maréchal Joukov verse du champagne dans le verre du feld-maréchal britannique Bernard Montgomery, le 5 mai 1945.
Domaine publicLa société Coca-Cola semblait donc destinée à entrer sous peu sur le marché soviétique, mais son vieux rival PepsiCo l’a devancée.
En 1959, à l’Exposition nationale américaine de Moscou, le vice-président Richard Nixon a fait une faveur à son ami Donald McIntosh "Don" Kendall, PDG de Pepsi, en guidant Nikita Khrouchtchev vers le stand de ce dernier. Le leader soviétique a tellement apprécié la boisson qu’il en a bu plus d’une demi-dizaine de verres.
La photo de Khrouchtchev un verre de Pepsi à la main a fait la Une des journaux dès le lendemain, donnant ainsi une vive impulsion à la marque. Le titre « Khrouchtchev veut être sociable » faisait alors écho à la pub de Pepsi de l’époque aux États-Unis « Sois plus sociable, bois un Pepsi ». Un coup dur pour Coca-Cola.
Sous un regard attentif de Richard M. Nixon, Nikita Khrouchtchev boit un verre de Pepsi lors d’une exposition américaine au parc Sokolniki, juillet 1959.
Getty ImagesLes négociations pour intégrer Pepsi au marché soviétique ont duré plus d’une décennie : la boisson n’a pu y faire son apparition qu’en 1972, lorsque PepsiCo a commencé à fournir du concentré et des équipements pour les futures entreprises. La première usine Pepsi du pays a ouvert à Novorossiïsk, sur les bords de la mer Noire, en 1974.
Monétiser la boisson s’est avéré encore plus problématique. Le rouble soviétique n’avait pas de change à l’international puisque le Kremlin n’autorisait pas l’export de la monnaie. La solution a donc été d’utiliser le troc. Le concentré de Pepsi a donc été échangé contre la vodka Stolitchnaïa et les droits américains pour la distribution de spiritueux.
Les patrons de Coca-Cola étaient horrifiés de voir Pepsi devenir la première marque américaine à s’enraciner en Union soviétique et jaloux de voir que ce marché massif et potentiellement lucratif leur échappait. Le PDG de Coca-Cola, J. Paul Austin, a par conséquent tiré profit de son amitié avec le président des États-Unis Jimmy Carter pour pouvoir accéder directement aux leaders soviétiques. Ainsi, après des négociations, Coca-Cola a aussi marqué son arrivée en URSS. En 1979, une quantité limitée d’une boisson pétillante orange, le Fanta, est ainsi apparue à Moscou, Kiev et Tallinn.
Les Jeux olympiques de Moscou de 1980 représentaient pour Coca-Cola une opportunité en or. L’entreprise a alors décidé d’ignorer le boycott que les États-Unis avaient déclaré suite à l'envoi des troupes soviétiques en Afghanistan, soulignant le fait qu’ils étaient sponsors et partenaires des Jeux olympiques depuis 1928 et ajoutant qu’en tant qu’entreprise multinationale ils étaient au-dessus de la politique. Ainsi, Coca-cola est devenu la boisson principale de cet événement sportif dans la capitale soviétique.
Le vice-président de Coca-cola, Neville Isdell lors d’une présentation du produit de sa compagnie place Pouchkine à Moscou, en URSS, décembre 1989.
Boris Kavashkin/TASSEnsuite, en 1986, la production de Coca-Cola a enfin débuté en Union soviétique. Cette fois, ce sont les véhicules Lada qui ont été troqués contre ce concentré mais l’accord n’était pas avantageux puisqu’il fallait reconstruire les voitures pendant trois jours avant de pouvoir les mettre sur le marché européen. Les patrons de Coca-Cola voyaient en réalité cela comme un produit d’appel et un moyen de s’implanter dans le marché soviétique, où ils pourraient rattraper leur éternel rival Pepsi, et peut-être même réussir à l’éjecter du marché un jour.
Un char dans les rues de Moscou pendant le putsch d’août 1991.
Vladimir Rodionov/SputnikAvec l’entrée de Coca-Cola sur le marché soviétique à la fin des années 1980, le combat entre les géants des boissons gazeuses s’est intensifié. PepsiCo a été la première entreprise étrangère à lancer une publicité à la télévision soviétique, notamment avec la figuration de Michael Jackson. De son côté, Coca-Cola s’est imposée comme la première firme étrangère à placer une bannière publicitaire sur le toit d’un bâtiment dans le centre-ville de Moscou.
En 1989, PepsiCo et le gouvernement soviétique ont signé un accord de troc incroyable, échangeant ainsi du concentré contre 17 sous-marins désaffectés et 3 navires de guerre, que la compagnie a revendus comme de la ferraille.
« Nous désarmons l’Union soviétique plus rapidement que vous », a lancé Kendall à Brent Scowcroft, conseiller du président George H.W. Bush en matière de sécurité nationale.
Le président américain Bill Clinton et son épouse, Hillary, visitent l’usine de Coca-Cola à Moscou, mai 1995.
Valentin Kuzmin/TASSAprès la chute de l’URSS, les deux géants du soda se sont retrouvés projetés dans un nouveau monde : à la place du seul marché soviétique fermé, ils ont hérité d’une dizaine de marchés dans les nouvelles républiques. Les deux entreprises ont alors commencé un nouveau combat : conquérir le cœur et l’argent des consommateurs potentiels.
Dans cet autre article, nous vous présentons les boissons non-alcoolisées dont raffolaient les Soviétiques.
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