En Russie, un arrière-goût amer pour le secteur du chocolat

Moscou, Russie, 30 novembre 2015. La 2ème édition du Salon du chocolat de Moscou. Truffes citron  + meringue.

Moscou, Russie, 30 novembre 2015. La 2ème édition du Salon du chocolat de Moscou. Truffes citron + meringue.

Yevgeny Volchkov/TASS
Sécheresse dans les principaux pays exportateurs de fèves de cacao ayant provoqué une flambée des prix, dégringolade du rouble et baisse du pouvoir d’achat – tous les facteurs semblent réunis pour porter un coup dur au secteur du chocolat en Russie. Toutefois, les acteurs du marché ne s’empressent pas de tirer la sonnette d’alarme. Quant aux experts, ils sont convaincus que ce secteur recèle de solides perspectives.

Moscou, Russie, 30 novembre 2015. La 2ème édition du Salon du chocolat de Moscou. Truffes citron + meringue. Crédit : Yevgeny Volchkov/TASS

L’année 2015 est loin d’avoir été rose pour le secteur de la confiserie et du chocolat en Russie : dès le premier semestre, les producteurs tout comme les importateurs et les détaillants ont été confrontés à une brusque chute de la demande de cet « or noir » (-8.4%). S’ajoute à cela une hausse sans précédent des coûts de la production (multipliés par 1,5) provoquée par l’augmentation des prix des produits de base, d’après les données du Centre d’analyses du marché de la confiserie (CAMC).

Ces facteurs n’ont pas manqué d’impacter le marché local du chocolat et des confiseries et c’est la qualité qui semble être la première victime : « Dans leur souci de maintenir le coût de revient, les producteurs diminuent la proportion des produits chers, notamment du cacao », indique à RBTH Elizaveta Nikitina, directrice du CAMC.

Quant à la production, son volume s’est maintenu au même niveau au cours de l’année dernière et a même enregistré sa première hausse – quoi que timide (+5.8%) – à l’issue des deux premiers mois de 2016. La dynamique de la production d’autres confiseries – biscuits, gaufres, gâteaux – est également dans le vert. Mme Nikitina estime toutefois qu’il est prématuré de parler d’une hausse de la demande et explique cette dynamique par l’augmentation du volume d’exportation et par le besoin de combler la lacune qui s’est formée suite à la division par deux des importations de chocolat et de confiseries au cours de l’année passée.

D’ailleurs, il ne faut pas oublier que le marché des confiseries est étroitement lié aux fêtes, et cette dynamique positive peut s’expliquer par des facteurs saisonniers : la coïncidence avec les fêtes du nouvel an et le 8 mars, occasions largement célébrées en Russie.

Et ce n’est pas un hasard si début mars a été choisi pour la tenue du célèbre Salon du Chocolat.

Coup dur pour les producteurs ?

Soucieux de leur budget, les Russes font vite leur calcul et optent pour les marques les moins chères ou se tournent vers des confiseries moins coûteuses. L’intérêt pour le chocolat artisanal et haut de gamme est-il perdu ?

Claire Coutin, organisatrice du Salon du Chocolat de Moscou, fait remarquer que le marché russe se distingue par une segmentation très marquée : « Vu le prix du cacao et de la matière première en ce moment, il y a beaucoup de boîtes qui ont décidé de réduire la teneur en cacao et d’optimiser les prix, mais à côté il y a un terreau de chocolatiers qui prônent le chocolat naturel ».

Le marché des consommateurs se complexifie également : « D’un côté on a tendance à acheter bas et en parallèle il y a ceux qui disent vouloir s’acheter un moment de plaisir et qui sont prêts de s’acheter un seul chocolat de qualité. Il y a donc tous ces comportements de consommateurs qui cohabitent en même temps ».

Le chocolat artisanal s’implante encore timidement sur le marché russe. Crédit : Elena Pochetova

D’ailleurs, rappelle Elizaveta Nikitina, les fabricants petits et moyens s’adaptent plus vite et plus facilement aux nouvelles conditions du marché. 

Dmitri Abrikossov, propriétaire de la marque de chocolat Abrikossov et fils, une des plus anciennes de Russie, ne fait que le confirmer. Il dit adapter son business familial à la réalité du marché. « J’adopte de nouvelles approches sans jamais affecter la qualité du chocolat. J’organise des événements, des conférences, des excursions et c’est là que je vends mon chocolat. Ainsi, dans le contexte de la crise, je ne vends pas mon chocolat dans les magasins », dit-il.

Il précise que cette stratégie lui permet d’écouler en un jour la quantité de chocolats artisanaux que les magasins auraient vendu en trois mois.

Les prix élevés ne dissuadent-ils les clients ? « Mes excursions sont assez chères – 1200 roubles par personne (16 euros environ) – mais les bus sont toujours pleins. J’en organise deux-trois par semaine, les gens sont intéressés », explique-t-il.

La maison du chocolat Nicolas Thibaut, spécialisée dans le chocolat artisanal de qualité, partage cet avis : malgré la crise la qualité est recherchée. « Le segment du marché du chocolat haut de gamme étant assez étroit et pour cela nous n’avons pas ressenti la baisse de la demande bien que les prix aient augmenté. Notre production est modeste et nous misons sur les clients fidèles et les clients corporatifs. Ceci étant, nous n’avons pas de magasins – nous vendons en ligne », explique la représentante de la société.

Russie vs. étranger

Crédit : Salon du Chocolat

Actuellement, la part du chocolat étranger sur le marché russe oscille autour de 70%, note Elizaverta Nikitina. Toutefois, il s’agit principalement de chocolat industriel. Quant à l’artisanal, il semble qu’il s’implante sur le marché encore timidement.

Elena Arsenieva, responsable de la communication chez l’unique café-boutique du célèbre chocolat belge dans le pays Leonidas avoue qu’en Russie la culture du chocolat est en relatif recul. Toutefois, poursuit-elle, ceux qui savent apprécier la qualité et ceux qui ont goûté le vrai chocolat frais optent pour les marques comme celle qu’elle représente.

Le café a ouvert fin 2014, lorsque la crise économique battait son plein, et pourtant le retour est élevé. « Pratiquement tous ceux qui viennent dans notre boutique y repassent », se réjouit  Elena. Les clients corporatifs jouent un rôle non négligeable. « En prévision des fêtes, de grandes sociétés comme Prada et Louis Vuitton veulent faire plaisir à leurs clients et au personnel » et multiplient les commandes, dit-elle.

Présent au Salon du Chocolat, Vincent Guerlais, artisan chocolatier reconnu pour ses chocolats et macarons haut de gamme, a avoué avoir noté une tendance positive en Russie : « ça monte en gamme tous les ans et les Russes s’habituent de plus en plus à manger du chocolat et à avoir de la qualité ».

Il reconnaît toutefois que pour le moment le chocolat français « c’est un peu tôt » en raison « d’une barrière des prix importante ». D’ailleurs, le chocolatier a fait des remises sur son chocolat apporté au salon pour le rendre plus accessible.

En même temps, le pays connaît actuellement une hausse du « patriotisme alimentaire » – les produits russes sont à la mode et le chocolat ne fait pas exception. Les fabriques de chocolat artisanal innovent pour répondre aux exigences des clients.

Ainsi le chocolat Kriollo, produit à Kirov, produit des figurines en chocolat dont la forme reproduit les célèbres jouets traditionnels de Dymkovo. Ouvert il y a deux ans, juste avant la crise, l’entreprise assure surmonter sans difficulté tous les revers. Ils affirment que lancer la production locale dans une ville de province est un pari réussi à priori. « Les habitants sont fiers d’avoir leur chocolat, leur production. Notre fleuron est l’originalité, les touristes en achètent beaucoup. Pour rendre notre chocolat plus compétitif, nous inventons des recettes originales : chocolats à l’oignon ou au poivre ».

Les représentants de la maison du chocolat Nicolas Thibaut disent ne pas avoir remarqué une baisse de l’intérêt pour le chocolat et les confiseries occidentales, mais confirment être au courant de la mode pour le « russe ». Ils avouent même s’apprêter à examiner cette question pour mieux répondre à la demande des consommateurs.

Toutefois, Claire Coutin considère que cette démarcation entre le produit étranger et le produit russe commence à devenir plus floue car si l’attirance pour le produit étranger reste forte, un nombre important d’investisseurs étrangers produisent en Russie du chocolat qu’ils revendiquent comme belge ou français mais fabriqué sur place.

Perspectives du marché

Ligne de production de chocolat à l'usine Rossiya, à Samara. Crédit : Anar Movsumov/RIA Novosti

Les perspectives du marché russe sont actuellement un peu floues, dit Elizaveta Nikitina. Selon elle, le chocolat est toutefois un produit très populaire en Russie et une fois la crise passée la consommation croîtra.

« Compte tenu du fait que la consommation moyenne de chocolat par personne est assez basse (3,99 kg par personne contre 8–12 kg par personne en Europe de l’Ouest) le marché russe a donc de la marge », dit-elle.

Les producteurs étrangers semblent être intéressés par le marché russe : 15 pays étaient représentés au Salon du Chocolat contre 5 en 2015 – exportateurs du cacao d’Afrique et d’Amérique latine, ainsi que des chocolatiers européens, d’après Claire Coutin. Cette plateforme a offert l’occasion de faire connaissance avec le consommateur russe à tous ceux qui examinent de s’implanter dans ce pays.

Certes, l’envergure du marché potentiel n’est pas à négliger.

« C’est un pays énorme et qui aime le chocolat, il offre donc de bonnes perspectives aux investisseurs. Certes, la Russie traverse actuellement une crise, et le régime des sanctions envenime le climat d’investissements, mais ces facteurs négatifs ne vont pas perdurer », note un spécialiste du marché riche de 25 ans d’expérience et ayant requis l’anonymat.

D’après ce dernier, le climat s’est nettement amélioré si l’on compare la situation avec celle qui régnait au début des années 1990 – actuellement les producteurs installés en Russie peuvent importer les matières premières directement des pays producteurs, sans être obligés de passer par des intermédiaires européens. « Il y a 25 ans, ces importations étaient liées à un grand nombre de risques, mais depuis la situation s’est nettement améliorée au niveau législatif. Des compagnies d’assurance ont émergé dans le pays, tout est sur les rails », conclut-il.

Evgueni Trostentsov, fondateur du Musée de l'histoire du chocolat russe :

Aujourd’hui, il est impossible d’imaginer que cent ans en arrière, le marché européen du chocolat était dominé autant par les entreprises étrangères que par les fabricants russes.

Le chocolat russe s’exportait avec succès en Europe et en Asie, enchantant les acheteurs exigeants du monde entier par sa qualité et son goût excellent, sans oublier son emballage recherché et original !

Même si le chocolat est apparu en Russie plus tard que dans le reste de l’Europe, le pays comptait plus de 400 chocolateries au début de l'année 1913. Nos maîtres chocolatiers, dont A. Abrikossov, J. Heuss, G. Borman, les Lenov, les Frères Sioux et L.F. Tidet, rivalisaient avec les plus grands fabricants suisses, français et belges et les dépassaient largement, ce qu’attestent les nombreuses récompenses conquises lors de prestigieuses expositions internationales de commerce et d’industrie.

A l'heure actuelle, les petites entreprises comme « Lankovski & Likop » à Jelgava, « S. O. Iakoubovski » à Kirov et « Yani » à Moscou ont même été complètement oubliées, alors même qu’elles avaient obtenu des médailles d’or lors d’expositions à Paris, Bruxelles et Chicago !

Malheureusement, la situation sur le marché national de la fabrication de chocolat est actuellement cardinalement différente : plus aucune entreprise nationale ne se distingue, beaucoup de sociétés appartiennent désormais à des firmes transnationales et les noms de pâtissiers célèbres autrefois dans tout le pays ont sombré dans l’oubli.

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies