Jambon vs. sanctions: comment les restaurants russes ont remplacé les produits interdits

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Le monde des gourmets et de la restauration russe a profondément évolué depuis 2014 et ne sera peut-être plus jamais le même. Les pessimistes prédisaient un effondrement de l’industrie gastronomique russe suite aux sanctions, mais qu’en est-il réellement? Les chefs cuisiniers russes nous apportent un élément de réponse.

Avec l’introduction des sanctions et des contre-sanctions, on s’est écrié « C’est fini ! ». Les experts gastronomiques et tous ceux pour qui la nourriture est plus qu’un simple moyen de casser la croûte craignaient de mourir de faim, alors que certains extrémistes cherchaient même un appartement à l’étranger en pensant ne pas survivre sans le roquefort et le jambon espagnol. L’inquiétude était plus vive encore chez les passionnés de bœuf marbré, de fromage (surtout ceux versés dans « l’arôme des fromages nobles » comme le camembert affiné et autres gorgonzola) et les amateurs raffinés d’huîtres.

Malgré les « pertes », les grandes villes organisent des festivals gastronomiques (Taste of Moscow et OMNIVORE à Moscou, Gastreet et IKRA à Sotchi), les grands marchés alimentaires deviennent de nouveaux lieux de pouvoir, des veaux Black Angus commencent à voir le jour autour de Voronej et les restaurants ont remis au goût du jour le poêle russe et les mets nationaux traditionnels, les fromages du Caucase (ossetinski, soulougouni et le fromage de brebis unique du Daghestan). C’est rassurant, mais l’idée de remplir la valise de gourmandises « interdites » reste une excellente excuse pour passer les vacances en Europe.

Trois années se sont écoulées depuis 2014 et il est temps de se demander si la vie continue sous l’embargo alimentaire. Nous vous proposons d’évaluer posément la situation réelle dans les principaux secteurs.

Crédit : Chestnaya koukhnyan

Viande et gibier (Sergueï Ierochenko, chef cuisinier et propriétaire de Chestnaya koukhnya) :

La carte de mon restaurant a toujours été conçue autour des produits de qualité, donc personnellement je continue à les utiliser comme auparavant. Plus généralement, grâce aux sanctions, le marché a vu émerger de nouveaux fabricants et d’excellents produits russes. Le cerf, l’élan et le sanglier font désormais partie du paysage gastronomique dans les restaurants. Les clients ont découvert et appris à apprécier les plats longtemps oubliés. Oui, il a fallu nous adapter et former de nouveau les cuisiniers, car ce sont des produits inédits et nouveaux qui nécessitent des technologies de préparation différentes. Pour la suite, je peux vous dire que nous n’attendons pas la levée de l’embargo – tout évolue, la qualité s’améliore et nous utilisons activement les produits russes.

Fromages (Alexeï Medvedev, chef cuisinier de Syrovarnia) :

Crédit : Syrovarnian

La substitution des importations sont un succès : les sanctions ont impacté tant la substitution directe (équivalents russes des fromages français et italiens) que l’essor des fromages russes. De nouvelles technologies émergent dans la fabrication de fromage et la qualité s’améliore. Nous perfectionnons en permanence nos compétences, la concurrence prend de l’ampleur, personne ne reste les bras croisés. Pour le moment, nous réussissons mieux les fromages jeunes. Quand on dit que notre lait n’est pas le même, on oublie que notre but n’est pas de copier. En Italie, le soleil, le climat et l’herbe sont différents. Pas meilleurs, simplement différents, avec leurs propres nuances de goût. Même si les clients italiens de Syrovarnia ont apprécié la burrata de mozzarella locale en disant : « Elle est comme chez nous ! ». Les gens aiment les bons fromages, on ne peut pas les tromper. L’avenir ? Ce sera de plus en plus intéressant.

Fruits de mer (Alexeï Pavlov, chef cuisinier d’ERWIN. RekaMoreOkean) :

Crédit : ERWIN

Les fournisseurs ont adopté les produits russes et ont fait redécouvrir Sakhaline, Mourmansk et l’Extrême-Orient aux Russes, ce qui a considérablement stimulé le développement. Avant, nous connaissions à peine le crabe velu, le crabe brun, la crevette bering, la crevette botan et la crevette marbrée et les utilisions peu. Aujourd’hui, Moscou connaît un boum « océanique » avec des tas de nouveaux restaurants, cafés et foires consacrés aux fruits de mer, les cuisiniers spécialisés dans le poisson sont très recherchés, alors que les prix restent raisonnables pour une qualité excellente. Au lieu des calmars congelés, nous utilisons des calmars komandorski (pêchés dans les mers d'Okhotsk, de Béring et du Japon, ndlr) – magnifiques à voir et à déguster. Tout le monde cherche et découvre des nouveautés, bientôt nous verrons davantage de mets insolites. D’une certaine manière, les sanctions nous ont ouvert un nouvel objectif – créer de bons restaurants avec des plats savoureux et intelligibles à un prix correct. Le reste n’est qu’une question d’organisation.

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