Amour et ceinture de kamikaze

Critique du roman Le journal d’une kamikaze, Khadija.

Louison Éditions. Parution : 01/09/2016 Louison Éditions. Parution : 01/09/2016 Le journal d’une kamikaze, Khadija, publié en 2011, est une reconstitution littéraire de l’expérience journalistique de l’auteur Marina Akhmedova dans le Caucase du Nord, région avec laquelle l’écrivain a des liens familiaux.

Le livre transporte le lecteur au Daghestan. Le choix n’est pas anodin : au moment où le livre est sorti, cette république du Caucase du Nord était régulièrement secouée par des attentats. La violence se répandait également dans d’autres régions du pays et les femmes du Caucase devenaient souvent l’arme vivante des terroristes : ce fut le cas au printemps 2010 à Moscou, lorsque deux kamikazes ont actionné des explosifs dans le métro, faisant 41 victimes.

L’héroïne du livre, Khadija Khassanova, est une jeune femme qui, dans son enfance, quitte la capitale de la république, Makhatchkala, avec sa mère veuve pour s’installer dans leur village ancestral chez les grands-parents. La vie de ce village de montagne et ses vieilles coutumes patriarcales sont le thème principal de la première partie du livre, écrite à la manière du journal d’une jeune fille de campagne : le livre est toutefois écrit en langue russe standard, avec de légers régionalismes, et les événements sont décrits de telle manière qu’on comprend que c’est une adulte revenant sur son passé qui tient la plume, plutôt qu’une enfant.

L’auteur parvient à recréer l’atmosphère du microcosme rural du Caucase du Nord, où le règne apparent des règles islamiques cache un « royaume de bonnes femmes » arriéré : les femmes mures et âgées testent leurs filles et belles-filles et agissent comme une sorte de conscience collective, voire parfois comme un gendarme collectif de la communauté, régulant le comportement des cadets, mais souvent de leurs propres hommes également. Ce n’est pas un hasard si la figure centrale des chapitres sur l’enfance est la grand-mère sévère qui dicte à sa guise les règles dans la famille à son fils adulte, oblige sa fille à accepter un mariage non-désiré et tabasse sa petite-fille avec un bâton pour un oui ou pour un non.

Devenue jeune femme, Khadija a l’occasion de fuir le village et de partir étudier à Makhatchkala, mais doit pour cela troquer la mainmise de sa grand-mère contre celle desa sœur, épouse âgée d’un officier de police. Dans cette partie, Akhmedova décrit la vie urbaine du Daghestan, où le même népotisme règne aux côtés du culte de l’argent.

À l’université, Khadija rencontre l’amour, un beau jeune homme d’une famille de fonctionnaires, dont la position sociale est largement supérieure à la sienne. Makhatch est déjà fiancé à une jeune femme de son milieu et sa famille n’acceptera jamais un mariage avec Khadija. De plus, il est indigné par les crimes professionnels de son père et se rapproche des clandestins wahhabites. Il devient alors clair que le destin de ces Roméo et Juliette du Caucase est écrit – l’histoire de Khadija et Makhatch ne présage rien de bon. Au lieu de la robe blanche de mariage, Khadija se verra affubler d’un niqab (voile intégral) et d’une ceinture de kamikaze.

Le journal d’une kamikaze, Khadija est une histoire romantique dure, mais simple, qui raconte les problèmes d’une société où différentes traditions assez rigides (islamique, nationale et féodale) se superposent sur les réalités du monde moderne, avec son esprit d’ouverture et ses nombreuses tentations, et cohabitent tant avec l’héritage soviétique (laïcité, éducation supérieure) qu’avec la culture originellement européenne de la grande Russie. C’est une approche assez juste, mais en même temps trop généralisée du problème : on s’attend à ce que le livre d’une journaliste qui connaît intimement les réalités du Caucase soit plus précis et plus nuancé. Ainsi, je suis assez perplexe quant à l’image un peu superficielle du wahhabisme présenté comme un mélange de résistance révolutionnaire et de fanatisme religieux, qui oublie que les terroristes et les combattants sont utilisés par des forces très différentes pour leurs propres fins et que souvent, leurs crimes sanguinaires cachent des intérêts financiers et politiques des acteurs tant régionaux que mondiaux. Cependant, si l’on assume que l’auteur ne s’est pas fixé d’objectifs aussi détaillés et a simplement voulu montrer le chemin tragique qui mène une simple jeune femme du Caucase à la ceinture d’explosifs, le roman est réussi.

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