Arnstam père et fils : les maîtres russes de l’illustration française

Service de presse
Un père et un fils, deux époques différentes. Un Pétersbourgeois, enfant de l’Age d’argent dans la culture russe, émigré, Alexandre Arnstam. Un Français, Cyril Arnstam, postmoderniste dont les illustrations ont été publiées par les grands magazines de mode parisiens. Leurs styles ne se sont jamais recoupés, mais ils se comprenaient à demi-mot. Ils ont laissé tous les deux leur empreinte dans la culture française.

1984. Le Grand Palais de Paris accueille une exposition consacrée au centenaire de l’industrie automobile française. Sur l’une des affiches : une dame au volant d’une voiture rétro avec une lorgnette. Elle nous regarde depuis l’année 1884… L’affiche a été reconnue comme la meilleure de l’exposition et s’est vu attribuer un prix. Son auteur, Cyril Arnstam, était déjà assez connu du public parisien. Tout comme son père Alexandre Arnstam, dont le soutien et la compréhension ont grandement contribué à son succès.

Vivre à un tournant

Alexandre Arnstam. DRAlexandre Arnstam. Crédit : service de presse Alexandre Arnstam est né en 1880, comme les poètes Andreï Biély et Alexandre Blok. Il a été baptisé en l’honneur du tsar Alexandre II.

La jeunesse de l’artiste coïncide avec l’émergence de nouveaux courants dans l’art et de changements majeurs dans le destin de la Russie.

Ayant reçu une formation artistique à l’Académie de la Palette et à l’Académie de la Grande Chaumière à Paris, il participe, encore tout jeune, aux expositions de l’union artistique Le Monde de l’Art et illustre la revue populaire Zolotoe rouno (La Toison d’or). Plus tard, il réalise des dessins pour le livre de Maximilian Volochine et Innokenti Annenski, illustre l’almanach de Korneï Tchoukovski Tchoukokkala et fait des esquisses pour les théâtres.

La Révolution d’Octobre de 1917 est accueillie raisonnablement et calmement par le chef de famille. Il continue de dessiner et de coopérer avec des théâtres (il est notamment sollicité par le grand Stanislavski). Mais en 1919, il est arrêté. Après sa libération, sa décision est prise : il quitte la Russie soviétique.

En 1921, les Arnstam partent pour Berlin. En 1933, préoccupée par l’arrivée au pouvoir des nazis, la famille déménage à Paris.

La mystérieuse Katia

Affiche du film KatiaService de presseAffiche du film Katia
Scène du film KatiaService de presseScène du film Katia
 
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A Paris, il ne fut pas facile de trouver sa place au sein du monde artistique russe. Au début, Arnstam doit se contenter de réaliser des affiches de films. Toutefois, il trouve rapidement son propre style artistique : on sentait toujours l’achèvement dans ses lignes pures, pointues et précises. En 1938, il est invité à travailler sur le film de fiction Katia du réalisateur Maurice Tourneur : le succès est immédiat.

Le thème russe était très populaire en Europe dans les années 1930, notamment grâce aux émigrés russes qui inondèrent la France, l’Allemagne et les autres pays. Maurice Tourneur ne resta pas en marge de cet engouement et décida de tourner un film d’après un roman de Marthe Bibesco sur l’histoire d’amour entre l’empereur russe Alexandre II et Ekaterina Dolgoroukaïa, l’une des romances les plus mystérieuses de la monarchie russe. Toutes les idées artistiques de ce film – depuis les costumes jusqu’aux décors – appartiennent à Arnstam. L’affiche pour le film est dessinée par son fils, Cyril, qui n’a encore que 19 ans, mais dont le talent est déjà prometteur.

Petit illustrateur de grands magazines

"Arlequin malade", Alexandre Arnstam« Arlequin malade », Alexandre Arnstam Crédit : service de presse

Il est toujours difficile d’être l’enfant d’un parent talentueux : les comparaisons vont bon train, tout le monde attend du fils la manifestation des dons du père et le même succès. Et il importe à tout prix de satisfaire ces attentes. Toutefois, Cyril n’a pas eu à prouver quoi que ce soit. Il est né en 1919 à Pétrograd, mais a été emmené de Russie à l’âge de deux ans. A six ans, Cyril « dessinait comme un forcené » d’après sa propre expression. Ses dessins étaient régulièrement publiés par un grand magazine allemand Der Querschnitt. Et le petit garçon touchait des sommes qui, elles, n’avaient rien de petites.

Une pièce étroite dans un hôtel du passage Doisy dans le 17ème arrondissement de Paris fut le premier atelier des Arnstam père et fils. La formation de Cyril Arnstam en tant qu’artiste se fit à une époque très intéressante, quand il était difficile de s’abstenir de rejoindre un courant en vogue, quand rayonnait l’art des expressionnistes, dadaïstes et surréalistes. Dès son plus jeune âge, Cyril s’intéresse vivement aux innovations sans pour autant s’y fondre et en gardant son propre style. Il trouve sa vocation dans l’illustration de livres, d’articles de revues et de journaux, dans la publicité. Des illustrations de Cyril Arnstam sont parues notamment dans Paris Match, Marie-Claire et L’Expansion.

Le triomphe de Nana

Après avoir vécu la Seconde Guerre mondiale et l’occupation, Arsntam-père continua à travailler pour les films et les affiches de films, et à illustrer des livres d’écrivains français. C’est lui qui a réalisé les illustrations pour tous les livres d’Emile Zola dans la série Livre de poche. Après le décès de sa femme, Alexandre déménagea au Palais Royal, chez son deuxième fils, Igor, qui lui aussi était un dessinateur de talent et qui aidait souvent son père et son frère.

Malgré son âge avancé, Alexandre Arnstam générait de nombreuses idées. A 83 ans, il réalisa le rêve de sa vie : il commença à travailler sur le scénario, les costumes et les décors du ballet Nana d’après le roman d’Emile Zola. La première se déroula le 14 décembre 1962 à Strasbourg. L’artiste fut inondé de fleurs et d’applaudissements. Ce ballet fut sa dernière grande réalisation. Alexandre Arnstam décéda en 1969.

Artistes-chasseurs

Cyril Arnstam avec son affiche pour l’exposition automobile de Paris de 1984Service de presseCyril Arnstam avec son affiche pour l’exposition automobile de Paris de 1984
Cyril Arnstam avec son affiche pour l’exposition automobile de Paris de 1984Service de presseCyril Arnstam avec son affiche pour l’exposition automobile de Paris de 1984
 
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Alexandre Arnstam n’eut pas la chance de voir le succès grandiose de son fils. A la charnière des années 1960 et 1970, Cyril réalisa les dessins pour la trilogie d’Henri Troyat Tant que la terre durera. Ses illustrations furent exposées à la galerie de la place Beauvau et furent chaleureusement accueillies par la critique. Quand il vit ses illustrations, l’auteur du roman déclara qu’il revivait son livre non plus en paroles, mais en images, non plus en fantaisie, mais dans une réalité d’un autre genre.

Parfois les illustrations de Cyril Arnstam étaient tranchantes, audacieuses, à la limite du bling-bling. Ainsi, pour Playboy, elles prenaient les formes de fantaisies érotiques. Cyril Arnstam donnait des images de la vie érotique de Staline, d’Hitler, il représentait Jean-Paul Sartre sous forme d’une bouteille à cocktail Molotov laissant émaner une fumée explosive, et Mao Tsé-Toung comme une femme lesbienne.

Mais son prix principal lui fut attribué pour la meilleure publicité à l’exposition automobile de Paris en 1984.

Cyril Arnstam vit aujourd’hui à Paris. Il a 98 ans et il conserve avec piété la mémoire de son père. Il est venu récemment à Moscou pour présenter un album consacré à l’œuvre d’Alexandre Arnstam. « Il a toujours aimé non pas simplement dessiner les gens, mais les étudier. Son modèle, il le guettait comme un chasseur. Moi aussi j’ai hérité de ce trait. C’est peut-être pour ça que j’aime prendre le métro », a dit Cyril Arnstam.

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