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Alexandre Blok, poète lyrique et romantique, est l’auteur du long cycle de poèmes Cantiques à la Belle Dame (СтихиоПрекраснойДаме / Stikhi a Prekrasnoï Damié). Il les composa sous l’influence de la philosophie de son contemporain le philosophe Vladimir Soloviev et du concept du féminin éternel que celui-ci développa. C’est pourquoi la belle dame des Cantiques n’est pas seulement une femme. Elle est aussi et surtout un principe cosmique et métaphysique, un idéal impossible à approcher.
L’un des poèmes les plus importants des Cantiques à la Belle Dame est Je Sens que Tu es Proche (ou Je Te pressens). Alexandre Blok le composa en 1901, alors qu’il était âgé de vingt et un an. Il était inquiet que « les années pass[ai]ent » et qu’il n’avait pas encore rencontré l’amour de sa vie. Il ne faisait que pressentir son « apparition » en éprouvant « amour et angoisse » (il cite ici Vladimir Soloviev). Son intuition ne le trompa pas : en 1903, il épousa Lioubov Mendéléïev, une des filles du célèbre physicien, qu’il connaissait depuis l’enfance.
Предчу́вствую Тебя́. Года́ прохо́дят ми́мо —
Всё в о́блике одно́м предчу́вствую Тебя́.
Весь горизо́нт в огне́ — и я́сен нестерпи́мо,
И мо́лча жду, — тоску́я и любя́.
Весь горизо́нт в огне́, и бли́зко появле́нье,
Но стра́шно мне: изме́нишь о́блик Ты,
И де́рзкое возбу́дишь подозре́нье,
Смени́в в конце́ привы́чные черты́.
О, как паду́ — и го́рестно, и ни́зко,
Не одоле́в смерте́льные мечты́!
Как я́сен горизо́нт! И лучеза́рность бли́зко.
Но стра́шно мне: изме́нишь о́блик Ты.
Je sens que Tu es proche, à Toi-même semblable.
Quand passent les années, je sens que Tu es proche.
L’horizon est en feu. Sa lumière fait mal.
Sans rien dire, j’attends, tout amour et angoisse.
L’horizon est en feu, bientôt Tu vas paraître.
J’ai peur soudain : Tu vas changer d’aspect.
Tu feras naître un soupçon téméraire,
Car tu auras changé les traits de ton visage.
Je tomberai – chute amère, profonde –
Sans avoir terrassé le plus mortel des rêves !
Que l’horizon soit clair ! La splendeur va paraître.
J’ai peur soudain : Tu vas changer d’aspect.
Traduction de Jean-Pierre Backès,
Alexandre Blok, Cantiques de la Belle Dame, Paris : Imprimerie Nationale, 1992
Alexandre Blok composa ce court poème en 1912. En Russie, beaucoup le connaissent par cœur.
Le poète réfléchit au sens de la vie. La fragilité de l’existence fait que tout est voué à la mort. Mais cette vie est aussi un cercle sans fin dont il est impossible de s’échapper. L’homme et, plus largement, son âme sont condamnés à répéter les mêmes actions, à naître et à mourir. Même le suicide ne libère pas de ce tourbillon.
Ночь, у́лица, фонáрь, апте́ка,
Бессмы́сленный и ту́склый свет.
Живи́ ещё хоть че́тверть ве́ка –
Всё бу́дет так. Исхо́да нет.
Умрёшь – начнёшь опя́ть сначáла
И повтори́тся всё, как встарь:
Ночь, ледянáя рябь канáла,
Апте́ка, у́лица, фонáрь.
Nuit, pharmacie, rue et lanterne…
Si tu vivais vingt ans encor,
Sous sa lumière absurde et terne
Rien ne changerait au décor.
Tu meurs… Les mêmes faits alternent,
Se répétant… Retour fatal :
Nuit, pharmacie, rue et lanterne,
Le miroir sombre du canal…
Traduction de Katia Granoff,
Anthologie de la Poésie Russe, Paris : Gallimard, 1993
Quel lycéen russe n’a pas écrit une dissertation sur le sujet de « la Patrie dans les poèmes d’Alexandre Blok. » ? Le poète réfléchit et écrivit beaucoup au sujet de la Russie. Pour lui, elle n’est pas seulement le pays où il vit, mais un être vivant auquel il est intrinsèquement lié.
Alexandre Blok composa le poème Russie en 1908. La Russie lui apparaît comme une femme d’une beauté intemporelle qui l’a offerte à un magicien. Ce don ne lui a pourtant pas été fatal.
Опя́ть, как в го́ды золоты́е,Три стёртых тре́плются шлеи́,
И вя́знут спи́цы расписны́е
В расхля́банные колеи́…
Росси́я, ни́щая Росси́я,
Мне и́збы се́рые твои́,
Твои́ мне пе́сни ветровы́е, —
Как слёзы пе́рвые любви́!
Тебя́ жале́ть я не уме́ю
И крест свой бе́режно несу́…
Како́му хо́чешь чароде́ю
Отдáй разбо́йную красу́!
Пускáй замáнит и обмáнет, —
Не пропадёшь, не сги́нешь ты,
И лишь забо́та затумáнит
Твои́ прекрáсные черты́…
Ну что ж? Одно́й забо́той бо́ле —
Одно́й слезо́й рекá шумне́й
А ты всё та же — лес, да по́ле,
Да плат узо́рный до брове́й…
И невозмо́жное возмо́жно,
Доро́га до́лгая легкá,
Когдá блеснёт в дали́ доро́жной
Мгнове́нный взор из-под платкá,
Когдá звени́т тоско́й остро́жной
Глухáя пе́сня ямщикá!
De nouveau, comme aux années d'or,
Trois avaloirs flottent usés,
Et les rayons bariolés s'enlisent
Dans les ornières défoncées.
Russie, ô ma Russie misérable,
Tes chansons portées par le vent
Et tes izbas grises sont pour moi
Comme les premières larmes d'amour.
Je ne saurais te plaindre
Et ma croix je la porte précieusement…
Au premier sorcier venu
Livre ta beauté sauvage !
Qu'il te séduise, qu'il te trompe,
Tu ne peux ni te perdre ni périr,
Seul le souci va assombrir
La beauté de ton visage.
Ce ne sera qu'un souci de plus —
Une larme de plus dans la bruyante rivière,
Mais toi, tu es toujours la même : forêts et champs,
Et le fichu brodé qui tombe jusqu'aux sourcils.
Et l'impossible paraît possible,
La route longue paraît aisée,
Quand au loin, sur la route, scintille
Un regard vif sous le fichu,
Et que s'élève la plainte des bagnards
Dans le chant sourd du clocher.
Traduction de DOMCORRIERAS (version en ligne le 16 novembre 2024)
Alexandra Blok composa ce poème en janvier 1918. Les pourparlers de paix entre les Empires centraux et le pouvoir soviétique avaient repris. Le vent de la Révolution d’Octobre soufflait et la Guerre civile couvait.
Ce long poème s’ouvre sur une note quelque peu guerrière : les Russes sont un élément oriental qui peut tout renverser sur son passage. Plus loin, Alexandre Blok compare la Russie à un bouclier qui défend l’Europe de l’Asie. Selon lui, la culture russe a emprunté à la diversité tant de l’Europe que de l’Orient.
Il appelle aussi la paix de ses vœux :
Venez à nous ! Sortez des horreurs de la guerre
Pour tomber dans nos bras !
Tant qu’il est temps encore — remettez la vieille épée au fourreau,
Camarades ! Nous serons frères !
(Bibliothèque russe et slave - version en ligne le 16 novembre 2024)
Alexandre Blok n’aimait pas particulièrement son poème Les Scythes. En raison de son actualité et de ses vers acérés, il était très souvent cité. Le poète considérait que son art devait produire autre chose que des manifestes politiques.
Мильо́ны — вас. Нас — тьмы, и тьмы, и тьмы.
Попро́буйте, срази́тесь с нáми!
Да, ски́фы — мы! Да, азиáты — мы,
С раско́сыми и жáдными очáми!
Для вáс — векá, для нас — еди́ный час.
Мы, как послу́шные холо́пы,
Держáли щит меж двух вражде́бных рас
Монго́лов и Евро́пы!
Vous êtes des millions. Et nous sommes innombrables comme les nues ténébreuses.
Essayez seulement de lutter avec nous !
Oui, nous sommes des Scythes, des Asiatiques
Aux yeux de biais et insatiables !
À vous, les siècles. À nous, l’heure unique.
Valets dociles,
Nous avons tenu le bouclier entre les deux races ennemies
Des Mongols et de l’Europe.
La traduction complète du poème est disponible sur : Bibliothèque russe et slave (version en ligne le 16 novembre 2024)
Alexandre Blok accueillit favorablement les Révolutions de 1905 et 1917. Il pensait qu’elle donnerait à la société de se régénérer spirituellement et à ses membres, celle de se construire une nouvelle vie.
Dans Les Douze, composé en 1918, le poète présente la Révolution d’Octobre comme l’apocalypse après laquelle émerge un nouveau monde. En ruine, Pétrograd est en proie à la faim, au froid, aux attaques et échanges de tirs dans les rues. Mais Alexandre Blok se réjouit et justifie la destruction de l’ancien mode et la victoire de la Révolution d’Octobre.
Les personnages principaux du poème sont douze soldats de l’Armée Rouge, douze « apôtres » de la nouvelle foi qui sacrifient sans remords des vies humaines à l’avènement d’une nouvelle ère.
Camarade, tiens le fusil sans peur !
Flanquons une balle à la sainte Russie,
La matoise,
La Russie des isbas,
Au gros cul !
Eh, eh, la sans croix !
hurlent-ils.
À la toute fin du poème,
Couronné de roses blanches,
À leur tête s’avance
Jésus-Christ.
au devant des douze soldats.
Ce passage fait l’objet d’interprétations diverses : soit le Christ bénit la Révolution et en prend la tête, soit les soldats de l’Armée Rouge le chassent et détruisent la foi.
En 1920-1921, Alexandre Blok n’avait plus aucune illusion concernant la Révolution soviétique, arrêta de composer. Il mourut pratiquement de faim en 1921.
Чёрный ве́чер.
Бе́лый снег.
Ве́тер, ве́тер!
На ногáх не стои́т челове́к.
Ве́тер, ве́тер —
На всём бо́жьем све́те!
Завивáет ве́тер
Бе́лый снежо́к.
Под снежко́м — ледо́к.
Ско́льзко, тя́жко,
Вся́кий ходо́к
Скользи́т — ах, бедня́жка!
Soir noir.
Neige blanche.
Il vente, il vente !
On ne tient pas sur ses jambes.
Il vente, il vente !
Sur toute la terre de Dieu !
Le vent moire
La neige blanche.
Sous la neige — la glace.
Et l’on glisse. Que c’est pénible !
Tous les piétons
Glissent — Ah ! les pauvrets.
La traduction complète du poème est disponible sur : Bibliothèque russe et slave
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