Cœur de Chien, une des nouvelles les plus brillantes de Mikhaïl Boulgakov

Russia Beyond (Photo : Domaine public ; Vladimir Bortko/Lenfilm, 1988 ; Le Livre de Poche)
Cœur de Chien, cette nouvelle relativement courte de Mikhaïl Boulgakov, est considérée comme l’une des meilleures du XXe siècle. Elle le doit aux talents littéraires de son auteur et à l’intrigue qu’il tissa.

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Un chirurgien transplante une hypophyse et des testicules humains à un chien errant. Son expérience semble couronnée de succès : le chien prend forme humaine. Mais, il ne se conduit pas comme un humain. Il garde son comportement de bête. 

Un chirurgien de renom, le professeur Filip Preobrajenski, vit à Moscou dans un appartement très spacieux. Il y a installé une salle d’opération où il se livre à des expériences chirurgicales. Il a déjà obtenu de grands succès dans le domaine du rajeunissement, mais veut progresser encore.

Un jour, il décide de transplanter une hypophyse et des testicules humains sur un chien errant trouvé dans la rue . L’opération est plus qu’une réussite : le chien commence à ressembler à un homme...

L’action se déroule au milieu des années 1920. Les bolcheviks ont récemment pris le pouvoir et l’ordre des Soviets commence à s’imposer. Le professeur Preobrajenski se voit reprocher d’occuper un appartement trop grand pour lui. Les autorités l’obligent donc à partager son logement avec plusieurs ouvriers. Le chirurgien proteste contre ces nouvelles règles qu’il ne peut accepter. Il ne peut imaginer opérer, prendre ses repas et dormir dans une seule et même pièce.

Pendant ce temps, des rumeurs sur la réussite de l’opération sur le chien se répandent. Des gens défilent alors chez le professeur Préobrajenski pour voir comment l’animal est en train de se transformer en homme. Le chien Charik prend le nom de Poligraph Charikov. 

De manière très ironique, alors que le médecin n’accepte pas l’ordre instauré par les Bolcheviks, le chien tombe sous leur influence.

Bien qu’il ressemble à un humain, Sharikov est loin d’en être un . Il se comporte comme une bête ou plutôt une ordure.  Il harcèle les bonnes du professeur Préobrajenski, le vole et finit par le dénoncer. Et tout cela en scandant des slogans politiques.

Le chirurgien ne peut en supporter plus. Il opère Charikov et lui retire les organes qu’il lui avait greffés. Il redevient progressivement chien. 

De quoi cette nouvelle parle-t-elle en réalité?

Cette nouvelle de Mikhaïl Boulgakov (1891-1940) est à la fois une œuvre de science-fiction, une satire politique et sociale dans laquelle apparaissent ça et là des notes d’humour carabin. L’auteur lui-même était médecin et ses premiers écrits littéraires étaient principalement consacrés à la médecine (par exemple, Les Carnets d’un jeune médecin. En 2012, la télévision britannique en proposa une adaptation avec Daniel Radcliffe et Jon Hamm).

Pour composer le personnage du chirurgien, Mikhaïl Boulgakov s’inspira de son propre oncle, le professeur Nikolaï Pokrovski (1878-1942). Filip Preobrajenski lui ressemble beaucoup et vit dans un appartement en tous points identiques à celui qu’occupait Nikolaï Pokrovski à Moscou. 

En dépit de son caractère fantastique, Cœur de Chien est une satire féroce de la politique menée par les bolcheviks et de l’ordre social qu’ils étaient en train d’établir. De telles œuvres étaient rares à l’époque. Dans cette nouvelle, Mikhaïl Boulgakov montre l’opposition qui existait entre la vieille élite intellectuelle et le prolétariat qui impose progressivement son pouvoir absolu. L’auteur met en scène des ouvriers peu instruits qui font preuve de démagogie en répétant des slogans appris par cœur.

Certaines des critiques qu’adresse le professeur Preobrajenski aux bolcheviks sont devenues des aphorismes que les Russes d’aujourd’hui aiment à utiliser aujourd’hui encore. En voici quelques-uns :

  • Que Dieu vous garde de lire les journaux soviétiques avant le déjeuner. 
  • Pourquoi le tapis du grand escalier a-t-il été retiré ? Karl Marx interdirait-il que les escaliers soient recouverts de tapis ? 
  • Si, une fois entré dans les toilettes, je commence – pardonnez-moi l’expression – à pisser à côté de la cuvette et que Zina et Daria Petrovna font ensuite de même, l’anarchie commencera à régner dans les toilettes. L’anarchie n’est donc pas dans les toilettes, mais bien dans les têtes. 

Une publication semée d’embûches

Cœur de Chien fut écrit en 1925, mais aucun journal littéraire, ni aucune maison d’édition ne voulut imprimer le manuscrit de Mikhaïl Boulgakov. « C’est un pamphlet cinglant de notre époque et il ne sera jamais publié », trancha la censure.

La nouvelle circula cependant sous la forme d’un samizdat. Les lecteurs en faisaient des copies qui passaient de main en main. Au début des années 1960, l’une d’entre elles, qui contenait déjà beaucoup d’erreurs, arriva en Occident où elle fut publiée.

En URSS, Cœur de Chien ne sortit qu’à l’époque de la glasnost. La nouvelle parut dans le journal Znamia en 1987 et trouva un large public. Des lecteurs de l’époque se souviennent comment ils la lurent d’une seule traite et restèrent impressionnés par la profondeur du sujet. Cette nouvelle était, pour beaucoup, la première satire de la société soviétique naissante qu’ils lisaient.

L’année suivante, le réalisateur Vladimir Bortko porta Cœur de Chien à l’écran. Ce film en deux épisodes pour la télévision reste aujourd’hui encore l’une des meilleures adaptations de la nouvelle de Mikhaïl Boulgakov.

Version sous-titrée en anglais  : 

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