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Joseph Brodsky reçoit le prix Nobel
AP Photo/FILE/Borje ThuressonJoseph Brodsky était un poète, essayiste et traducteur. Sa poésie se démarque par un langage nouveau. Les thèmes qu’il abordait et son style ont conduit à un désaccord avec le gouvernement : il a été harcelé dans la presse, condamné et exilé pour « parasitisme », ne pouvait pas publier ses textes, et il a fini par quitter l’URSS. Brodsky, populaire à l’étranger, est devenu professeur de plusieurs universités américaines et, en 1987, a reçu le prix Nobel de littérature pour son « travail complet en littérature, se démarquant par la clarté de la pensée et l’intensité poétique ».
Joseph Brodsky avec sa mère
Alexandre Brodsky/Musée littéraire et commémoratif Anna AkhmatovaJoseph est né le 24 mai 1940, un an avant l’entrée de l’URSS dans la Seconde Guerre mondiale. Sa mère était comptable, et son père – reporter photo. La famille habitait à Leningrad (ancien nom de Saint-Pétersbourg). Le 8 septembre 1941, a commencé le siège de la ville, mais après le premier hiver du blocus, en avril 1942, Joseph et sa mère (le père était au front depuis 1941) ont été évacués à Tcherepovets (dans le nord de la Russie, à 500km de Moscou) et sont retournés dans l’ancienne capitale tsariste une fois la ville libérée.
Brodsky n’a eu que 7 ans de scolarité (à cette époque, c’était le minimum obligatoire en URSS) et, au début de sa 8e année, a abandonné l’école pour travailler en apprenti ouvrier à l’usine. Il qualifiera plus tard cette décision comme la « première action libre » de sa vie. Le poète, essayiste, et ami de Brodsky, Lev Lossev disait que lors de son enfance, Brodsky était « extrêmement sensible, souvent ne supportait pas les conflits et même des situations de tous les jours hautes en émotions – d’un surplus d’émotions, il pouvait s’enfuir de la maison même lors de fêtes familiales ». Joseph Brodsky, se souvenant, répondait : « Le psychisme baisse ».
Joseph a pris goût à la lecture encore tout petit, mais ne lisait que des ouvrages en prose. La poésie a commencé à l’intéresser à un âge conscient. Le poète disait qu’il n’a lu son premier recueil de poèmes qu’à 16 ans, sur les conseils de sa mère, et à l’école, n’explorait pas au-delà du programme scolaire. À 17 ans, il a commencé à constamment lire de la poésie et a rapidement découvert son talent poétique. C’est à cet âge qu’il écrit l’un de ces fameux poèmes, Adieu.
Joseph Brodsky, seconde moitié des années 1950 - début des années 1960
Alexandre Brodsky/Musée littéraire et commémoratif Anna AkhmatovaLa conduite et le travail du poète ne correspondaient pas aux attitudes sociétales et esthétiques mises en place en URSS. Il changeait souvent d’emploi : après l’usine, il a été apprenti à la morgue, chauffeur au bania (sauna russe), marin sur un phare, est parti en expéditions géologiques. De plus, le poète se publiait seul, côtoyait des personnes « informelles », écrivait, selon les critères soviétiques, des poésies « non-socialistes » et incompréhensibles pour la classe ouvrière normale. Pourtant, en profondeur, Brodsky n’était pas dissident : il ne critiquait pas le régime soviétique, le pouvoir, n’appelait pas à la révolte – sa position était plutôt un genre de laisser-aller, distancé. Comme disait Brodsky : « Ça m’est égal si le parti existe ou n’existe pas, pour moi il n’y a que le bien et le mal ».
Ce caractère antisystème et l’apolitisme étaient de sérieux motifs de poursuite. En 1963, un article a été publié dans le journal Vetcherny Leningrad, dans lequel la poésie de Brodsky a été durement critiquée, et lui, traité de parasite. Rapidement, Brodsky a été condamné pour parasitisme, qui était interdit par la loi, et envoyé en exil dans le village de Norenskaïa en région d’Arkhangelsk (Nord russe).
Joseph Brodsky
Bengt JangfeldtAprès son retour de l’exil en 1965, le poète s’est retrouvé dans une position semi-légale : il n’était plus publié, ne pouvait pas être accepté à l’Union des écrivains, n’était pas pris pour un autre travail – il gagnait sa vie en traduisant et en écrivant des poèmes pour enfants. Pendant ce temps, sa popularité internationale grandissait, et en 1970 à New York, a été publié le livre Un arrêt au désert, qui contenait ses poèmes et traductions. Le livre a été publié grâce à des amis étrangers, qui transportait ses écrits depuis l’URSS clandestinement – l’auteur avait de plus en plus de connaissances au-delà du rideau de fer, et il a commencé à recevoir des invitations en Italie, Angleterre, Tchécoslovaquie, Israël.
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Plutôt que de surveiller le poète imprévisible, a été décidé de lui accorder l’autorisation de sortie à l’étranger. Selon les dires de Brodsky, il a en réalité été contraint de partir, en étant informé que s’il ne saisissait pas cette chance, des « jours chauds arriveraient » pour lui. Brodsky a accepté et est parti à Vienne en 1972, d’où il immigrera aux États-Unis.
« Résumer la langoureuse métaphysique de Joseph Brodsky est impossible. Seulement la conclusion de celle-ci – éthique, pratique – qui parle de l’orgueil humain : qu’il n’y a rien de plus bête. Car la personnalité est une grandeur imaginaire, du genre racine carrée de moins un. […] la triste humilité est le mot final de Brodsky », décrivait la poésie de Joseph le critique littéraire Samuil Lourié. Il considérait que le principal leitmotiv des œuvres du poète était la liberté, qui se transformait en exclusion. Voici un poème de Brodsky de 1976 :
« Non pas que je perde mon emprise: je suis juste fatigué de l’été.
Vous prenez une chemise dans un tiroir et la journée est gaspillée.
Si seulement l’hiver était là pour que la neige étouffe
toutes ces rues, ces humains; mais d’abord, le vert éclaté.
Je dormirais dans mes vêtements ou tout simplement cueillir un livre emprunté,
alors que ce qui reste du rythme ralenti de l’année,
comme un chien abandonnant son propriétaire aveugle,
traverse la route au zèbre habituel.
La liberté, c’est lorsque vous oubliez l’orthographe du nom du tyran
et que la salive de votre bouche est plus douce que la tarte persane,
et bien que votre cerveau soit tordu comme la corne d’un bélier,
rien ne tombe de votre œil bleu pâle ».
À l’étranger, Brodsky a été surtout célèbre pour ses essais – il préférait écrire ses poésies en russe, et les traduisait en anglais ensuite. Un rôle important dans sa poésie est accordé à la langue – non pas ses fonctions, exprimer la pensée de l’auteur, mais la langue comme un phénomène à part. Comme disait plus tard la poétesse soviétique Bella Akhmadoulina : « Il peut à l’intérieur de lui-même cultiver la langue russe et le réussit parfaitement. Il n’a pas besoin d’entendre comment on parle autour… Il le reproduit lui-même. Il devient une force fertilisante. Comme s’il était le jardin et le jardinier. [...] Étant séparé du langage commun, il devient une terre fertile pour la langue russe ». Brodsky a créé un nouveau langage poétique, le libérant de tous types de formalisation et de règles – le lexique et la syntaxe du poète ne sont pas limités.
Joseph Brodsky avec son chat
Tcheslav Tchaplinski/Musée littéraire et commémoratif Anna AkhmatovaMême ses amis proches reconnaissaient que son caractère n’était pas facile. Le poète, essayiste et ami de Brodsky, Lev Lossev, se souvenait dans une interview : « Dans sa jeunesse, il s’exprimait souvent avec une franchise méchante, était insolent. Avec les années, bien sûr, est devenu plus poli, aimable. D’ailleurs, il vivait à une vitesse surprenante et pouvait de ce fait causer aux autres du mal et de l’inconfort, car les personnes qui vivent à un rythme humain, voyaient cela comme de l’instabilité ». En même temps, tout le monde s’accordait à dire que Brodsky avait un caractère stoïque, il se tenait toujours avec honneur et ne se soumettait pas aux circonstances, était indépendant dans ces jugements et très humble malgré tout son talent.
L’un des événements clés de la vie de Brodsky a été la rencontre avec Marina Basmanova, jeune illustratrice que le poète n’a apparemment pas pu oublier durant toute sa vie. Leur relation destructrice a duré 6 ans, de 1962 à 1968 – la rupture est survenue peu après la naissance de leur fils. Beaucoup de poèmes de Joseph sont écrits en hommage à Marina, cachée dans les hommages par les initiales « M.B. » – la dernière œuvre de ce type est datée de 1989. Pour la première et la dernière fois, Brodsky s’est marié en 1990 à une aristocrate italienne, descendante d’immigrés russes – Maria Sozzani. Trois ans plus tard, est née leur fille Anna.
Malgré son caractère difficile que remarquaient ses amis, il y avait des créatures que Brodsky aimait plus que tout – les chats. Cet amour s’est développé encore en enfance : dans l’essai autobiographique Une chambre et demie, il se souvient que son père et lui s’appelaient « petit chat » et « grand chat ». Brodsky et ses parents miaulaient et ronronnaient, comme l’écrit Joseph lui-même.
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Joseph Brodsky avec sa femme et sa fille
Bengt JangfeldtEncore dans sa jeunesse, le poète a eu des problèmes au cœur (il a vécu son premier infarctus très jeune, dans sa cellule, après son arrestation). Possiblement, l’hiver du siège de Leningrad a aussi eu un impact sur la santé de Brodsky, le froid et la faim des années de guerre et d’après-guerre, sans parler du caractère explosif, l’arrestation, l’exil et l’immigration forcée. Par ailleurs, il fumait sans cesse et adorait le café très fort. En tout, Joseph a subi plusieurs opérations au cœur et trois infarctus. Le 27 janvier 1996, le poète est mort dans son bureau. Il est enterré à Venise, sa ville préférée.
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