Le Festival du cinéma russe à Honfleur: un voyage qui secoue

Maria Tchobanov
Après six jours intenses de projections, dont sept films en compétition soumis au jury présidé par Marthe Keller, la 29e édition du Festival du cinéma russe, qui se déroule traditionnellement à la fin du mois de novembre à Honfleur (Calvados), a décerné ses prix.

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Intervenue à la cérémonie de remise des récompenses, qui a eu lieu le 27 novembre, Caroline Thevenin, adjointe à la culture du maire de Honfleur a qualifié ce festival annuel de « fleuron de la vie culturelle honfleuraise » dont la ville est très fière. « Elle est fière de son équipe organisatrice, qui nous propose chaque année une sélection de très grande qualité, fière de son équipe de bénévoles, qui y met de la chaleur, de la vie, de la spontanéité, qui se dévoue corps et âme et fait le travail qui nous permet d’ouvrir une fenêtre sur ce monde qui nous est étranger, mais qui en même temps nous est familier, puisque dans toute la programmation du festival, l’humain est au centre des préoccupations et les problèmes humains se partagent, quel que soit le pays », a-t-elle souligné.

Caroline Thevenin et Joël Chapron, qui a reçu le Trophée d’Honneur du Festival

Le prix principal du festival, Grand prix de la ville de Honfleur pour le meilleur film, qui est doté cette année par la maison Calvados Père Magloire, a été attribué au deuxième long-métrage de la réalisatrice Kira Kovalenko, élève d'Alexandre Sokourov, Les Poings desserrés. Ce film a été tourné en Ossétie du Nord en langue ossète, et la plupart des rôles sont joués par des acteurs non professionnels.

Le personnage principal, la jeune Ada, rêve de se libérer de la tutelle de son père, qui l'étrangle avec son amour et sa peur de la perdre. Elle rêve de quitter la petite cité misérable et poussiéreuse de Mizour pour la grande ville la plus proche, Rostov-sur-le-Don, qui semble être la terre promise de la liberté, où vit son frère aîné.

Tous les hommes dans la vie d'Ada l’étouffent, ne la laissent pas respirer, pas seulement parce qu'ils perçoivent la jeune fille comme leur propriété, mais car, sans elle, ils sont faibles et impuissants, sans elle, leur existence s'effondrera. Son corps est labouré de cicatrices (conséquences d’une tragédie vécue dans son enfance), comme le corps de la ville elle-même, dont les murs sont couverts de traces de balles. Ada a besoin d'une opération, que son père lui refuse, ne voulant accepter le fait que sa fille a déjà grandi. Cependant, elle trouve la force de briser les chaînes et de desserrer les poings. C'est un processus douloureux : après tout, Ada est maintenue dans la ville et la famille non seulement par les traditions, le mode de vie, la volonté de quelqu'un d'autre, mais aussi par ses propres peurs, et l'amour, qui est si inséparablement associé à la violence dans l'univers du film.

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Le personnage d'Ada est incarné par Milana Agouzarova, jeune actrice ossète, au moment du tournage étudiante du département d'art dramatique de la faculté des arts. Le jury du festival de Honfleur lui a attribué le Prix d'interprétation, le prix d’espoir, comme l’a précisé l’un des jurés, le directeur de la photographie Laurent Dailland. Il a également salué le travail de collègues russes : « J’ai vu en compétition et hors compétition des travaux de chefs opérateurs absolument formidables, et ça me touche beaucoup de voir des gens qui se battent toujours pour faire de la qualité visuelle, c’est très important ».

De gauche à droite : Sitora Alieva, Marion Vernoux, Marthe Keller et Gildas le Gac

Sitora Alieva, directrice artistique du Festival russe du film Kinotavr, qui a représenté également à Honfleur la société productrice des Poings desserrés (qui sortira en France sur les grands écrans le 9 février), a noté que le travail de Kira Kovalenko est soumis par la Russie aux Oscars. Elle a également exprimé son regret que les cinéastes russes ne soient pas venus cette année à Honfleur à cause des contraintes liées aux restrictions imposées par la pandémie, pour représenter leurs œuvres, dont beaucoup sont inspirées de leurs propres histoires personnelles, de leur vécu.

La distribution des prix n'a pas été sans surprises cette année. Le traditionnel Prix d'interprétation masculine a été remplacé par le Prix d'interprétation tout court et a été attribué à Viktoria Tolstoganova pour son rôle dans le film de Maxime Dachkine Sur des frontières lointaines. Ce film d’après le scénario de Boris Froumine s’est vu également décerner le Prix spécial du jury, qui a remplacé le traditionnel Prix du meilleur scénario. 

Maxim Dachkine

Or, contrairement à la plupart de ses collègues, Maxime Dachkine a réussi à venir avec son équipe en France pour recevoir personnellement son trophée des mains du jury.

« Nous avons eu le grand privilège de présenter notre film et d'être présent avec vous dans la même salle. J'ai été étonné de voir à quel point le public, étant installé dans les sièges de la salle du cinéma, n'ayant jamais bougé, avait prêté toute son attention à notre histoire, et nous lui en sommes très reconnaissants. Ce film est le résultat de plusieurs années de notre vie, de nos efforts et de notre travail et ce Prix nous est très cher. Ce n'était pas facile d'arriver ici, et ce voyage et cette expérience, ces quelques jours passés avec vous, nous donneront une nouvelle énergie et motivation pour faire de nouveaux films », s’est adressé le réalisateur à la salle.

L’histoire se déroule dans une base militaire russe au Kirghizistan. Maria (interprétée par Viktoria Tolstoganova), l'épouse du commandant adjoint de la base, veut échapper à ce monde exigu et attend avec impatience le retour de son mari en Russie. Elle entame une relation avec le collègue de son époux, le capitaine Kraïnov, qui entraîne son fils dans la section judo. Le développement rapide de leur romance change tragiquement et irréversiblement la vie de Maria et de sa famille.

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« Viktoria a travaillé longtemps et patiemment sur ce rôle, elle a écrit trois cahiers de journal intime au nom de l'héroïne, elle connaissait tous les détails des quinze ans de la vie de Maria avec son mari. Son silence tranquille, ou, plutôt, son silence bruyant comme l'a déterminé l'un des spectateurs, était très convaincant », a commenté Maxime Dachkine la décision du jury de récompenser le travail de l'actrice.

La Région Normandie, principal soutien du festival à Honfleur, remet en outre chaque année un Prix très important, doté de 3 000 euros, au meilleur premier film, ce qui permet en général aux réalisateurs (ou réalisatrices) de commencer le travail sur un nouveau scénario, comme l’a précisé la présidente du festival Françoise Schnerb. Cette distinction est cette fois allée à #Bahut, d’Anna Saïannaïa, élève de Pavel Lounguine.

Serge Tougard, conseiller régional de Normandie, qui a remis le prix, a souligné l'importance du travail réalisé par l’équipe organisatrice du festival. « Lorsque l'on découvre la culture des autres pays, comme vous ici à travers du cinéma, au-delà du plaisir de la découverte d’un art extérieur à notre territoire français, c’est la tolérance, la compréhension de l’autre qui intervient au premier rang. L’ouverture vers l’extérieur est fondamentale pour l’être humain et pour la paix », s’est-il adressé aux festivaliers, qui ont été très nombreux pour cette 29e édition, très particulière. 

Caroline Thevenin, adjointe à la culture du maire de Honfleur a ensuite annoncé le Prix du public, qui, par ses votes a choisi, comme tous les ans, son film préféré du programme de compétition. Remporté à une large majorité, c’est le drame policier Vladivostok d’Anton Bormatov, produit par Karen Chakhnazarov, qui a gagné le cœur des spectateurs. 

Depuis trois ans, le public du programme documentaire du festival vote également pour le meilleur documentaire vu durant la semaine. Ce prix revient cette année à La Russie vue du ciel, des réalisateurs allemands Freddie Röckenhaus et Petra Höffer.

Présidente du jury Marthe Keller

Résumant les résultats du festival, la présidente du jury Marthe Keller a noté que, depuis une douzaine d'années, « la drôlerie de l’humour est devenue plus sarcastique dans les films russes. On y voit le reflet de ce qui se passe, on y voit beaucoup du chaos, vu par les jeunes ». Elle a également souligné que les décisions du jury sont toujours une question de goût et d’inspiration et que si tous les films du concours n’ont pas eu de récompenses, « ce n’est pas parce qu’ils sont mauvais, mais parce que le jury doit faire un choix, quelque fois très douloureux. Il n’y a pas de perdants, il y a des gagnants et ceux qui n’ont pas de prix », a rassuré la présidente.

De son côté Françoise Schnerb s’est réjouie de constater, que malgré toutes les craintes des organisateurs et les contraintes imposées par le contexte sanitaire, les salles de projection ont été pleines. « Les spectateurs ont été très disciplinés ensemble. Tout le monde a bien compris que le passe sanitaire, les masques et d’autres précautions étaient nécessaires pour la sécurité de tous et le bon déroulement du festival, et ça nous a beaucoup aidé à organiser cette nouvelle édition avec plus de sérénité que ce qu’on pensait au départ », a assuré la présidente du festival, ajoutant que Honfleur a eu de la chance de planifier cette manifestation, tant attendue par les cinéphiles et les cinéastes, en cette période, parce que dans un mois ou deux nous ne sommes pas certains que les spectacles avec beaucoup de spectateurs puissent continuer à se tenir.

Dans cet autre article, apprenez-en plus sur les films coups de cœur de l’édition 2021 des Soirées du cinéma russe de Bordeaux qui se tiendra début décembre.

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