La réplique taille réelle du cabinet d’ambre de Pierre le Grand à Paris

Culture
MARIA TCHOBANOV
Une pièce éphémère, dont les parois sont intégralement en ambre authentique, s’est ajoutée à l’élégant intérieur de l’hôtel d'Estrées, la résidence de l'ambassadeur de Russie en France, le temps des Journées européennes du patrimoine 2017. Le fameux cabinet d’ambre, offert par le roi de Prusse au premier empereur de Russie Pierre le Grand, est dévoilé au public pour la première fois.

Les 16 et 17 septembre, dans le cadre des Journées européennes du patrimoine 2017 et des manifestations consacrées au tricentenaire de la visite de Pierre le Grand en France, l’Ambassade de Russie présente au 79 rue de Grenelle, à Paris, une exposition inédite intitulée Cadeaux diplomatiques, de l’époque de Pierre le Grand jusqu’à nos jours.

La pièce centrale de cette exposition est la réplique dans ses dimensions initiales du fameux cabinet d’ambre offert par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume Ier à Pierre le Grand en 1716.

Le cabinet, qui représente une pièce de 5x5x5x5 m, aux murs totalement recouverts de lambris d'ambre et d’éléments sculptés dans de l'ambre authentique, est arrivé à Paris dans un camion sous forme des panneaux assemblables, accompagné d’une brigade d’artisans et d’installateurs. Le poids total de la cargaison avec l'emballage et les outils est de 8,5 tonnes. Chaque panneau pèse environ 150 kg.

Les salles de l’hôtel d’Estrée ne permettant pas l’utilisations des machines-outils et d’équipement lourd, l’assemblage a été assuré uniquement à la force des bras. C'est un travail de virtuose, car l’installation tient grâce à son propre poids au milieu d’un des salons de l’hôtel, sans être fixée aux murs, comme le supposait son prototype historique.

Mais la plus grande difficulté, selon le Directeur adjoint de l'atelier d’ambre de Tsarskoïe Selo Dmitri Troufanov, qui dirigeait les travaux, consistait à assembler cette pièce autour d’un énorme lustre de verre de Bohême, qui illumine le salon.

Les soucis du montage n’affectent en aucun cas la splendeur de cette œuvre unique. Une tonne et demi d'ambre a été utilisée pour sa réalisation, sa valeur est inestimable, car l’ambre devient de plus en plus rare, sa qualité baisse, et son prix a dépassé celui de l'or ces dernières années.

Rappel historique

La pièce originale, connue sous l'appellation de « huitième merveille du monde », était initialement destinée au château de Litzenburg (plus tard - Charlottenburg) près de Berlin, la résidence personnelle de la Reine Sophia-Charlotte, épouse de Frédéric Ier.

La Chambre a été réalisée à Dantzig et Königsberg ( Prusse) par trois maîtres de la marqueterie d'ambre : Gottfried Wolffram, Ernst Schacht et Gottfried Turau. La Prusse était le centre de la pêche d’ambre européenne. Depuis 1618, l'or de la mer Baltique, comme on appelait l'ambre depuis longtemps, était utilisé pour réaliser de précieux cadeaux diplomatiques.

Selon le projet, conçu par l'architecte et sculpteur Andreas Schlüter, le cabinet du roi devait être composé de panneaux d'ambre collés sur une base en bois. Au centre des panneaux ambrés, il était prévu de placer quatre grands miroirs dans des cadres richement décorés. Des symboles de l'État prussien - l'aigle et le monogramme de Frédéric Ier - figuraient sur les panneaux du socle. La précieuse décoration est complétée par les sculptures de différents reliefs ainsi que de fines gravures avec une doublure en feuilles dorées.

Après la mort de Sofia-Charlotte en 1709, il a été décidé de décorer avec des panneaux en ambre le palais d’Oranienburg, mais finalement, l'œuvre, ne serait installée qu'après la mort de Frédéric Ier dans un cabinet de la « Salle Blanche » du Château de Berlin. Très probablement, le tsar de Russie a vu pour la première fois ce « miracle d’ambre » en 1713 lors de sa visite à la résidence des rois de Prusse, quand il s’y est rendu pour des entretiens avec le roi Frédéric-Guillaume Ier, successeur de Frédéric Ier.

Pierre le Grand a quitté le pays avec l’ardent désir de voir ce chef d’œuvre à Saint-Pétersbourg comme une pièce vedette de sa collection de raretés. En 1716, après des négociations fructueuses avec le monarque prussien, l'empereur russe a reçu comme cadeau le cabinet d’ambre qui fut transféré à Saint-Pétersbourg via Memel et Riga et déposé au Palais d'été à Saint-Pétersbourg. Pour remercier Frédéric-Guillaume Ier, le monarque russe lui a envoyé 55 braves grenadiers de stature gigantesque et une coupe en ivoire, sculptée de ses propres mains.

Les panneaux en ambre serviront plus tard de base pour la création de l'intérieur de renommée mondiale de la chambre d’ambre du palais de Catherine à Tsarskoïe Selo, près de Saint-Pétersbourg. La fille de Pierre Ier, l'impératrice Élisabeth, fit d'abord installer le cabinet au palais d'Hiver, puis au grand palais de Tsarskoïe Selo (aujourd’hui Palais de Catherine). C’est l'architecte italien Bartolomeo Rastrelli qui a agrandi la pièce et lui a donné sa taille définitive (96 mètres carrés) par l'adjonction de pilastres à miroir, de sculptures dorées et d’autres éléments décoratifs.

Mystérieuse disparition

Considérée comme intransportable, la chambre fut conservée sur place pendant la Seconde Guerre mondiale, contrairement à d'autres œuvres d'art qui furent évacuées du palais. Lorsque l'armée allemande prit la ville, la chambre d'ambre fut démontée par les soldats allemands, emballée dans 27 caisses et emportée à Königsberg le 14 octobre 1941.

Des panneaux d'ambre et des portes dorées sculptées ont été exposés dans l'une des salles du château de Königsberg, où se trouvait le musée d’ambre. En 1944, quand les Allemands se sont retirés, les panneaux ont été démontés, emballés dans des caisses en bois et envoyés vers un lieu inconnu. La trace de la chambre d’ambre est depuis perdue, et tous les efforts entrepris pour sa recherche sont restés vains jusqu’aujourd’hui.

La renaissance

En 1979, le Conseil des ministres de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) a décidé de recréer cette pièce historique d’après le projet du célèbre architecte restaurateur Alexandre Kedrinsky.

Un atelier de traitement artistique de l'ambre et de restauration a été fondé à Tsarskoïe Selo. Les travaux ont débuté en 1983 et ont duré 24 ans. La nouvelle chambre d’ambre a accueilli ses premiers visiteurs à l'occasion du 300e anniversaire de Saint-Pétersbourg en 2003.

La pièce, exposée à Paris les 16 et 17 septembre représente une réplique du cabinet, offert à Pierre le Grand, avant les modifications, apportés par l'impératrice Élisabeth. Le projet de sa reproduction a été également élaboré par Alexandre Kedrinsky, après l'analyse des documents d'archives, et réalisé par les artistes et les artisans de l’Atelier de restauration d’ambre de Tsarskoïe Selo grâce aux investisseurs privés.