La crise oblige à comprimer les dépenses. Les Russes ont réduit la consommation plus que ne l’avaient prévu les analystes. Toutefois, mêmes les prévisions les plus audacieuses ne promettent une montée des mouvements sociaux que lorsque le bien-être de la population sera divisé par deux, voire trois, par rapport à 2013, année d’avant-crise. La marge de patience reste importante. Tout comme la disposition à s’adapter et à se serrer la ceinture.
L’État lance une cure d’austérité et, comme tout État confronté à une situation difficile, effectue des coupes dans les dépenses sociales.
Il sacrifie le « capital humain » dont dépend le développement du monde moderne. Ce qui est particulièrement dangereux dans cette situation, ce n’est même pas « le rétrécissement de l’État providence », qui prive les habitants de nouveaux moyens de subsister et de gagner leur vie grâce à l’esprit d’entreprise, mais « le festin pendant la peste » de l’entourage des dirigeants. Jamais une telle situation n’est restée sans conséquences. Il est toutefois difficile de dire combien de temps durera cette période.
Le trait particulier de la Russie dans de telles situations, c’est l’augmentation de toute sorte de taxes qu’on peut qualifier d’impôts indirects. C’est un modèle traditionnel de comportement de l’État russe : réagir à toute crise en renforçant le joug fiscal.
L’autre réaction « naturelle » de notre pays à une crise est la « nymphose » ou l’auto-isolement.
Le rétrécissement des relations avec le monde extérieur est vu, d’une part, comme un moyen « d’économiser sur les devises ». Depuis le remplacement des importations occidentales, à la place desquelles les pays asiatiques avaient proposé leurs exportations, jusqu’à la réduction du tourisme émetteur.
D’autre part, la « fermeture » progressive du pays a pour objectif de réduire « l’influence délétère » de l’Occident. Bien entendu, en apportant des modifications sur l’usage des moyens modernes de communication. Ce qui diffère des temps soviétiques, c’est que les « murs » deviennent naturels et plus solides, et qu’ils passent avant tout par les cerveaux.
Une attitude méfiante, voire hostile, à l’égard de l’Occident, Amérique en tête, bénéficie d’un large soutien « naturel » qui vient de l’intérieur. Et, à la différence de l’époque soviétique, l’Occident ne compte aucune « force de paix progressiste », ce n’est qu’une grande « décharge », cruelle, nuisible et dépravée, aux menées perfides et agressives.
Nous sommes pratiquement seuls au monde, fiers et en voulant à presque toute la planète.
L’actuel « néo-isolationnisme » conservateur a pris racine dans la conscience des masses. Si au début des années 1990, il était intéressant de savoir comment vit et fonctionne l’Occident, aujourd’hui le verdit est tombé, définitif et irrévocable : tout ce qui les concerne ne nous convient pas, nous n’en voulons pas, nous suivons notre propre voie.
Mais personne ne connaîtra la vérité, il n’y aura personne pour évaluer « l’expérience mondiale » en pratique. Chacun restera chez soi.
Et quand chacun se renferme sur soi-même sur fond de slogans idéologiques archaïques criés sur les toits de type « la vérité est dans les vieilles chansons »,cela freine encore plus le développement socioéconomique du pays. Ce que nombre d’habitants oublient, en estimant que ce n’est qu’un conservatisme innocent.
Nous ne sommes plus en compétition avec l’Occident pour essayer de le rattraper et de le devancer. Ce climat social, associé au déclin de l’enseignement et au renversement du culte des connaissances et de la science, immobilise les milieux des scientifiques, des ingénieurs et des inventeurs. Nous ne cherchons plus à être « les premiers dans l’espace ».
Nous voulons simplement remplacer un machin importé et cher (en raison de l’effondrement du rouble) par le nôtre fabriqué dans le cadre d’un programme spécial et aux frais de l’État. Nous ne proposons pas non plus un modèle de société plus juste. Nous nous retirons dans une tour d’ivoire.
Tôt ou tard, il faudra sortir de cet isolationnisme. Toutefois, le nouveau retour dans le monde sera beaucoup plus difficile qu’il ne l’a été après la chute du régime soviétique. Ce sera une très bonne chose si cette sortie n’est pas précédée d’un conflit militaire avec un ennemi extérieur et si l’accentuation des phénomènes de crise dans l’économie ne tourne pas à la catastrophe.
Avec cela, le retour dans le monde d’une société profondément imprégnée d’idées archaïques et méfiante envers les innovations arrivant de l’extérieur se déroulera dans un contexte de régime autoritaire. D’ici là, il n’y aura plus dans le pays de base sociale progressiste. À sa manière, ce régime aura recours aux méthodes des réformes du début du XVIIIe siècle, au temps de Pierre le Grand.
Reste à savoir si nous aurons ou non déjà franchi le point de non-retour après lequel aucune modernisation ne permettra de revenir dans la cour des grands.
Gueorgui Bovt est politologue, membre du Conseil de la politique étrangère et de défense
Version intégrale disponible sur le site d’informations Gazeta.ru
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