Le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé à l’unanimité, la résolution 2 254 définissant l’ébauche d’un processus de transition politique en Syrie. Et bien que le texte de la résolution ne contienne aucune idée novatrice, ne faisant que codifier les éléments de règlement élaborés au cours des deux rencontres précédentes du Groupe de contact international sur la Syrie, le fait même de son adoption à l’unanimité reflète une nouvelle détermination des principaux acteurs à mettre fin au conflit syrien.
Cette volonté d’arriver à un règlement est autant un résultat de l’intervention militaire russe en Syrie en 2015 qu’un défi qu’il faudra relever en 2016.
Les objectifs politiques primaires du « gambit syrien » ont été atteints. L’allié régional, qui était au bord d’une défaite militaire, est sauvé, le danger d’un renversement armé du président syrien Bachar el-Assad est écarté, l’équilibre des forces militaires penche en sa faveur.
Le siège diplomatique que Washington voulait faire subir à la Russie depuis février 2014 a été levé. Le dialogue stratégique au plus haut niveau a été relancé, quoique non sans difficultés, et son ordre du jour ne se limite plus au dossier ukrainien. Moscou a su s’imposer en qualité de partenaire doté de moyens et prêt à des actions décisives dans la lutte contre un danger mondial.
Important facteur du succès : la détermination que la Russie et les États-Unis ont affichée à Moscou au cours de la récente visite de John Kerry pour parvenir à des décisions communes sur les questions internationales les plus épineuses. Le Kremlin a toutes les raisons de se féliciter des résultats des négociations avec le secrétaire d’État américain. Elles ont été menées selon le paradigme des relations russo-américaines que Moscou proposait depuis longtemps, mais sans succès, celui de la parité géopolitique : deux superpuissances, plus responsables que les autres de la sécurité mondiale, examinent dans un climat de confiance, en tête-à-tête, un problème aigu et trouvent une solution commune, avant de mobiliser en sa faveur les autres pays dans le cadre d’une décision du Conseil de sécurité de l’Onu.
Il est clair que pour Washington, c’est pour l’instant une vision purement instrumentale limitée à la Syrie et à la lutte contre le groupe terroriste Daech [interdit en Russie]. Mais il faut bien commencer quelque part. Aucun nouveau « redémarrage » n’est en vue, mais Moscou n’en a plus besoin. Le format d’un « partenariat déterminé par la situation, mais sur un pied d’égalité » est préférable.
Selon John Kerry, les États-Unis et la Russie doivent rechercher ensemble des solutions aux problèmes internationaux. Et quand ils y parviennent, le climat politique mondial s’améliore. Il s’améliorera encore plus dans le cadre de la coopération sur la Syrie et d’une lutte commune contre Daech. Kerry a même déclaré que les États-Unis n’insistaient pas sur le changement de régime en Syrie. La Russie a apprécié cette inflexion dans la rhétorique américaine et donné son accord à la convocation de la conférence ministérielle du Groupe de contact international sur la Syrie, qui s’est tenue le 18 décembre à New York, même si deux jours plus tôt elle l’avait qualifiée de prématurée. C’est cela, le nouveau format et la « nouvelle norme » : une confrontation respectueuse.
Les succès militaires semblent plus modestes. À l’issue de trois mois de frappes, nous en sommes à peu près là où nous étions début octobre, tandis que les délais de l’achèvement de cette campagne sont repoussés à une période indéterminée. L’état et la capacité de combat de l’armée syrienne et de ses « alliés iraniens » ont été surestimés. La « libération des territoires » se compte en kilomètres. Les infrastructures militaires des rebelles ont été endommagées, sans véritable percée. Les Iraniens ont subi d’énormes pertes et réduisent leur contingent terrestre. L’armée syrienne connaît de graves problèmes d’effectifs. Les victimes parmi les civils augmentent et, avec elles, le danger terroriste pour la Russie.
Il s’agit maintenant de faire un choix. Ainsi, les forces russes pourraient continuer de « s’entraîner », selon l’expression de Vladimir Poutine, en maintenant le statu quo et en prolongeant la guerre, car les pertes et les dépenses ne sont pas très importantes pour le moment. Du point de vue tactique, cela pourrait présenter des avantages, aussi cynique que cela puisse paraître : la poursuite de la guerre rend la Russie « utile » à l’Occident en tant que partenaire.
Il est possible également de se donner les moyens d’une victoire militaire totale, en gonflant le contingent russe. Mais « le prix » peut monter en flèche dans le cas d’un seul attentat ou d’une percée des rebelles contre les bases russes en Syrie ou encore à la suite d’une intervention terrestre de la Turquie.
Il est possible enfin de se concentrer entièrement sur les efforts diplomatiques et de tenter, à partir des positions du plus fort, d’arrêter la guerre dans des conditions de dignité. C’est là que se situera le grand défi de 2016.
Pas question de compter sur un succès rapide. L’ordre des étapes à franchir et les délais à tenir tels que les prévoit la résolution du Conseil de sécurité sont trop ambitieux. Les négociations prendront vraisemblablement plus de temps que les six mois prévus. Pour le moment, les principaux acteurs ont décidé de ne pas se focaliser sur leurs différends au sujet de certains aspects du règlement.
La grande question repoussée à plus tard est celle de savoir si le président Assad sera présent au sein du nouveau pouvoir en Syrie. Le fait qu’il reste au pouvoir pour la période de transition est admis par presque tous. La résolution du Conseil de sécurité ne dit rien à ce sujet : Moscou ne pouvait pas accepter qu’un tel document renvoie à une décision extérieure pour écarter du pouvoir le président d’un État souverain. Mais ce flou est une forme de compromis qui permet d’avancer.
Vladimir Frolov est politologue, expert en relations internationales
Version intégrale disponible sur le site d’informations Gazeta.ru
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