Un ancien député russe réfugié en Ukraine abattu

L'affaire a provoqué un regain de tension entre les deux pays.

L'affaire a provoqué un regain de tension entre les deux pays.

RIA Novosti
Denis Voronenkov, ancien député du parlement russe qui a quitté la Russie à l’automne dernier et qui était recherché par le Comité d’enquête russe, a été tué le 23 mars dans le centre-ville de Kiev. Les autorités ukrainiennes affirment qu’il a été éliminé pour ses critiques contre Moscou. La Russie nie son implication dans le crime.

Denis Voronenkov, ex-député à la Douma (chambre basse du parlement russe), a été tué par balles, jeudi 23 mars, dans le centre de Kiev, à l’entrée de l’hôtel Premier Palace. L’attaquant, qui était seul selon des témoins, a tiré au moins huit balles. Denis Voronenkov a été tué sur le coup. Son garde du corps a ouvert le feu sur l’agresseur et les deux hommes ont été grièvement blessés. Le journal ukrainien Observateur affirme que l’assassin, qui a succombé à ses blessures un peu plus tard, était un homme de 28 ans qui faisait l’objet d’un avis de recherche.

Réfugié politique ou escroc ?

Denis Voronenkov a été député au parlement russe de 2011 à 2016, mais le Comité d’enquête de Russie s’est adressé dès 2014 à la Douma pour demander de le priver de son immunité suite à des accusations d’escroquerie à grande échelle. L’ancien député a quitté la Russie à l’automne dernier. Au mois de décembre, il est parti pour l’Ukraine avec sa femme, Maria Maksakova, également ex-députée. La Russie a lancé un avis de recherche et a prononcé contre lui une mise en examen par contumace.

Ayant reçu à Kiev la citoyenneté ukrainienne, l’ancien député s’est mis à critiquer les autorités russes. Il affirmait que les griefs de Moscou contre lui revêtaient un caractère politique et que la Russie lui reprochait d’aider le Parquet général ukrainien à instruire le dossier en haute trahison visant l’ancien président Viktor Ianoukovitch. En outre, Denis Voronenkov critiquait la Russie pour avoir intégré la Crimée, bien qu’en 2014 (date du rattachement de la péninsule), il ait voté en faveur de cette décision en qualité de député. Il disait également recevoir des propositions de collaboration des services secrets ukrainiens.

Crédit : ZUMA Press / Global Look PressCrédit : ZUMA Press / Global Look Press

Réactions

Les autorités ukrainiennes ont formulé des accusations contre la Russie tout de suite après l’assassinat. Le président Petro Porochenko a qualifié le meurtre d’ « acte de terrorisme » et y a distingué « la trace évidente des services secrets russes ». Le procureur général d’Ukraine, Iouri Loutsenko, a souligné que Denis Voronenkov avait fait des dépositions importantes sur l’affaire de Viktor Ianoukovitch et qu’il était « un témoin fusillé pour l’exemple » par la Russie.

Les fonctionnaires et politiques russes rejettent toutes les accusations. Le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, a qualifié d’absurdes les affirmations sur la trace russe. Il a fait remarquer que c’est l’Ukraine qui n’a pas su garantir la sécurité de Denis Voronenkov. « Le meurtre d’un humain est toujours un drame », a-t-il noté.

Dmitri Peskov a exprimé l’espoir que l’Ukraine mènerait une enquête intégrale et objective sur les circonstances du meurtre. Toutefois, pour la porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe, Maria Zakharova, les accusations hâtives formulées contre Moscou par le président ukrainien prouvent que « l’enquête ne peut  être ni impartiale ni objective ». Dans le même temps, elle a exprimé ses condoléances à la famille de Denis Voronenkov.

Denis Voronenkov et sa femme Maria Maksakova.Denis Voronenkov et sa femme Maria Maksakova.

La situation a été commentée sur un ton ferme par la mère de l’épouse de Denis Voronenkov, la comédienne russe Lioudmila Maksakova. « Dieu merci, que pouvait-on faire d’autre avec lui ? Heureusement qu’un homme si ignoble ait été en fin de compte tué », a-t-elle dit citée par Life.

À qui la faute ?

Les autorités ukrainiennes affirment que le meurtre de Denis Voronenkov fait le jeu de la Russie. Ilia Ponomariov, réfugié politique et lui aussi ancien député russe – il habite à Kiev et c’est pour avoir rendez-vous avec lui que Denis Voronenkov avait quitté son hôtel –, partage cette opinion. « Voronenkov était mortellement dangereux pour les forces de l’ordre russes », a-t-il affirmé sur Facebook.

Le directeur du Centre d’informations politiques, Alexeï Moukhine, juge ce point de vue douteux : Denis Voronenkov n’intéressait pas les services secrets russes. « C’était un rebut, il a déjà critiqué la Russie, il a fourni tous ses témoignages et a donné toutes les interviews nécessaires », a-t-il indiqué à RBTH. Selon lui, le meurtre d’un fugitif politique en plein centre-ville d’une capitale comptant trois millions d’habitants, un événement risquant d'attirer les suspicions sur Moscou, est la dernière chose que souhaitent les services secrets.

Pour Alexeï Moukhine, le meurtre a pu être organisé par les services secrets ukrainiens pour accuser le Kremlin. C’est également l’avis de certains politiques russes. Ainsi, Ievgueni Revenko, député de Russie unie (parti au pouvoir), a affirmé : « Nous avons affaire à une provocation cynique et cruelle des services secrets ukrainiens ».

La trace mafieuse

Selon une autre version, le meurtre pourrait avoir trait aux activités de la victime dans le monde des affaires. Frantz Klintsevitch, vice-président de la commission de défense et de sécurité du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe), rappelle les relations de Denis Voronenkov avec le monde des affaires illégales. « Il brassait de l’argent sale, ce qui est toujours dangereux », a-t-il constaté, cité par l’agence RIA Novosti.

Rouslan Miltchenko, directeur du centre d’information fédéral Analyse et sécurité, abonde dans ce sens. « Voronenkov était lié aux milieux criminels, il blanchissait de l’argent et réalisait des prises de contrôle hostiles. La Russie comptait plusieurs personnalités sérieuses (des bandits) qui pouvaient avoir une dent contre lui ».

Crédit : ReutersCrédit : Reuters

Les conséquences

Quel que soit l’assassin de Denis Voronenkov, les politologues sont unanimes à estimer que son meurtre débouchera – et a d’ores et déjà débouché – sur l’aggravation des tensions entre la Russie et l’Ukraine. «  Il faut s’attendre à un nouveau regain de tension informationnelle, intense quoique de courte durée. L’Ukraine accusera la Russie, la Russie se justifiera et accusera à son tour », a affirmé Alexeï Moukhine.

« Ni la Russie, ni l’Ukraine ne manifestent aucune aspiration à la désescalade des tensions », a indiqué à RBTH le politologue Mikhaïl Vinogradov, président de la fondation Politique de Saint-Pétersbourg. Selon lui, le meurtre de Denis Voronenkov deviendra un nouveau terrain où les deux pays s’entraccuseront, ce qui repoussera à nouveau le rétablissement de relations normales.

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