Moscou accusé de double jeu dans le dossier chimique syrien

Une action de protestation contre l'utilisation des armes chimiques en Syrie devant le siège de l'Onu à New York, le 21 août 2013.

Une action de protestation contre l'utilisation des armes chimiques en Syrie devant le siège de l'Onu à New York, le 21 août 2013.

Reuters
Moscou propose d’étendre le mandat de la mission de l’ONU chargée de la recherche d'armes chimiques en Syrie à l’Irak voisin, car des combattants de l’État islamique pourraient être impliqués dans leur fabrication. Certains médias accusent la Russie de détourner l’attention des actions du président syrien Bachar el-Assad et de freiner l’examen de la résolution sur les armes chimiques syriennes.

Certains médias occidentaux accusent la Russie de freiner la création d’un nouvel organe de l’ONU chargé d'enquêter sur les cas d’utilisation des armes chimiques en Syrie et de concentrer l’attention de l’enquête sur ce qui se passe en Irak, laissant entendre que Moscou chercherait à « tirer le président al-Assad du feu ». Les pays occidentaux accusent toujours le pouvoir syrien d’utiliser des armes chimiques.

Auparavant, mercredi 2 septembre, le représentant permanent de la Russie auprès de l’ONU Vitali Tchourkine avait déclaré que le Conseil de sécurité devrait éventuellement adopter une nouvelle résolution qui étendrait l’enquête sur l’utilisation des armes chimiques en Syrie à l’Irak également, dans ce cas particulier – aux combattants de l’EI. Tchourkine avait également annoncé que la Russie aimerait éclaircir certains aspects du travail du futur organe international créé par l’ONU chargé de déterminer les coupables d'attaques chimiques en Syrie.

Début août, la Conseil de sécurité avait adopté à l’unanimité une résolution portant sur la nécessité d'enquêter sur l’utilisation des armes chimiques en Syrie. Peu après, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon avait envoyé aux membres du Conseil de sécurité une lettre dans laquelle il proposait de créer, conjointement avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, un organisme chargé d’enquêter sur ce type de crimes en Syrie. La décision sur la création de l’organisme d’enquête conjoint devait être adoptée sous cinq jours.

Inquiétudes russes

Le 2 septembre, Vitali Tchourkine a déclaré que la Russie avait des questions sur le fonctionnement de ce nouvel organisme. Moscou les a adressées au secrétaire général et ce dernier y a répondu. Selon le diplomate, la Russie demandait désormais que les explications de Ban Ki-moon soient exprimées par écrit et diffusées aux membres du Conseil de sécurité afin qu’ils parvennent « à une entente commune » sur le fonctionnement de l’organisme.

Sergueï Demidenko, collaborateur du centre non-gouvernemental d’experts l’Institut des évaluations et analyses stratégiques, indique que les accusations contre Tchourkine et la Russie sont injustes. L’analyste rappelle que c’est la Russie qui, il y a deux ans, a proposé le programme de démantèlement de l’arsenal chimique syrien, soutenu par les Etats-Unis. À l’époque, toutes les organisations qui supervisaient le processus, y compris l’ONU, ont déclaré que l'ensemble des armes chimiques avaient quitté la Syrie et que les soupçons de l’utilisation des armes chimiques par Assad n'étaient pas confirmés. « Toutes ces accusations [contre la Russie] doivent être considérées dans le contexte de la situation internationale qui s’est formée autour de la Russie », estime l’expert.

Équilibre fragile

L’analyste souligne que l’équilibre à l’intérieur de la Syrie et autour de ce pays est très fragile. Selon Demidenko, Tchourkine défend le principe selon lequel « il ne faut pas trop affaiblir le régime de Bachar el-Assad, car il serait simplement mangé vivant ». « Si les actions de cet organe [de l’ONU] ne visent qu’à réprimer les activités de Bachar el-Assad, cet équilibre pourrait être compromis », nous a déclaré l’expert, qui souligne qu’Assad est perçu par la Russie comme l’incarnation de la « lutte (…) entre la Syrie progressiste et les forces obscures qui avancent depuis l’Irak ».

Lors de la conférence de presse consacrée à l’ouverture de la présidence russe au Conseil de sécurité, Tchourkine a rappelé la principale raison qui a poussé la Russie à solliciter les explications du secrétaire général de l’ONU et à reporter pour un temps l’examen de la question. Le nouvel organe devait être financé par des dons volontaires. Tchourkine s’est demandé si cela n’allait pas affecter son impartialité et le rendre dépendant de ceux qui le financeraient. Par ailleurs, Tchourkine a souligné qu’il ne fallait que quelques jours pour éclaircir les principes de fonctionnement de l’organisme d’enquête conjoint.

Commentant les griefs exprimés à l’égard des démarches de Moscou décrites par Tchourkine concernant l’organisme d’enquête, Evgueni Satanovski, directeur de l’Institut indépendant du Proche-Orient, les a qualifiés d’« élément de la bataille médiatique ». L’expert a attiré l’attention sur la question de « l’origine des armes chimiques utilisées aussi bien sur le sol irakien contre les Kurdes qu’en Syrie ». Il estime qu’il s’agit « clairement d’un seule et même source – les laboratoires situés en Irak. Ils fabriquent des armes chimiques primitives, mais efficaces, comme le gaz moutarde ». Il est évident qu’Assad n'est absolument pas en mesure de contrôler ces laboratoires.

Les experts russes soulignent que dans le cas des armes chimiques, comme pour toutes les autres questions concernant la Syrie, soutenir Assad n’est pas une fin en soi pour Moscou. L’objectif est d’éviter l’effondrement de l’État syrien et un chaos ingérable. Par ailleurs, certains analystes précisent que la position des Etats-Unis, qui affirment que le départ d’Assad permettrait de régler tous les problèmes en Syrie, n’est pas complètement infondée. « Supposons que Bachar el-Assad remporte la victoire en Syrie, il n’y aura personne pour reconstruire le pays. Personne n’accordera de financements à Assad, et la Syrie ne pourra pas s’en sortir toute seule. Assad devra partir quoi qu’il arrive. Mais pas tout de suite », estime Sergueï Demidenko.

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