Sur les traces d'Anton Tchekhov : son Sakhaline, 123 ans plus tard

Source : Wikipedia

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L'île riche en pétrole et en gaz n'est plus la colonie pénitentiaire tsariste, mais elle garde des traces de cette brève période où le grand écrivain résidait sur Sakhaline. La Russie d'Aujourd'hui vous propose de revivre ce voyage et de comprendre les motivations du grand écrivain pour réaliser ce périple.

En 1890, Anton Tchekhov n'avait pas le luxe de pouvoir rejoindre l'île lointaine de Sakhaline depuis Moscou en 8h40 à bord d'un avion.

Lors de son périple de deux mois et demie à travers la Sibérie, le grand écrivain utilisa divers moyens de transport - trains, ferrys et voitures à cheval - avant de rejoindre l'île, puis la colonie pénitentiaire.

7 kilomètres seulement séparent le point le plus à l'ouest de Sakhaline du continent russe, mais du temps de Tchekhov aucun pont ne reliait l'île au continent.

Aujourd'hui, une liaison de ferrys régulière relie Vanino, dans la région de Khabarovsk, et la ville de Kholmsk dans le sud de Sakhaline. Les habitants de l'île se plaignent souvent que le ferry offre un chemin aux criminels venant d'autres régions russes et des anciennes républiques soviétiques sur cette île, désormais riche en pétrole.

Lorsque Tchekhov emprunta le ferry pour traverser la « mer froide, incolore et rugissante » et rejoindre le port du nord de l'île, le ferry était utilisé pour transporter ceux qui étaient considérés comme les pires des criminels.

Le traitement réservé aux prisonniers attrista le grand écrivain.

« Le bateau qui m’amenait à Sakhaline par l'Amour, transportait un détenu qui avait assassiné sa femme et portait des fers », écrit Tchekhov dans son livre L'île de Sakhaline, carnets de voyage.

« Sa fille, une fillette de six ans, l'accompagnait. J'ai remarqué qu'à chacun de ses mouvements, la fillette le suivait, se tenant à ses fers. La nuit, la fillette dormait avec les détenus, les soldats dormaient entassés tous ensemble ».

Lorsque Tchekhov arrive à Sakhaline, il est témoin de la brutalité de son climat inhospitalier et de l'absence totale d'installations pour les prisonniers. Il appelle l'île un « enfer » gelé.

La ville de Ioujno-Sakhalinsk n'existait pas dans sa forme actuelle lorsque l'écrivain la visita, car les Japonais occupèrent le territoire après la guerre russo-japonaise de 1905 et le transformèrent presque complètement.

Mais Tchekhov parla du village de Vladimirovka, aujourd'hui à la périphérie de la plus grande ville et centre administratif de l'île. Le village comptait 46 maisons et 91 habitants en 1890 et était une colonie de forme linéaire.

Parmi ses habitants, il y avait des déportés polonais. Les noms comme Kovalsky, Kriminetsky et Krakowsky sont encore courants sur l'île.


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En 2013, Vladimirovka compte plusieurs petites datchas et quelques maisons indépendantes plus larges en bois. Les immigrés, venant des régions aussi éloignées que l'Arménie ou le Kirghizistan, vivent dans des petites maisons, louer un appartement pour ces ouvriers qui survivent grâces aux petits boulots est quasi-impossible.

Les résidents russes se plaignent également de l'infrastructure défaillante dans cette ville, située à quelques kilomètres seulement des immeubles modernes en verre et acier à Ioujno-Sakhalinsk qui abritent les sociétés pétrolières internationales.

Les sujets de plaintes courants dans les rues de Vladimirovka sont l'approvisionnement irrégulier en eau et l'insécurité qui s'installe à la tombée de la nuit.

Ce territoire est également surnommé Shanghai, car de nombreux coréens pauvres, abandonnés sur l'île après l'expulsion des japonais en 1945, restèrent à Vladimirovka.

Selon les historiens locaux, ce nom a pour origine le fait que ce territoire était perçu comme un territoire asiatique. Les habitants du vrai Shanghai seraient sans doute choqués d'apprendre que ce coin porte le nom de leur grande ville, même si celui-ci n'est pas officiel.

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Crédit photo : Alamy / Legion media

Aleksandrovsk-Sakhalinski

Tchekhov passa la plupart de son séjour sur Sakhaline dans la petite ville d'Aleksandrovsk-Sakhalinski, un port calme au nord-ouest de l'île. C'est ici que les conditions de vie horrifièrent l'écrivain.

En effet, la dernière partie de sa courte nouvelle l'Assassin se déroule dans une prison locale, probablement à Aleksandrovsk, car il abritait la plus grande prison de l'île.

Aleksandrovsk était le centre administratif de l'île du temps de Tchekhov ; aujourd'hui, c'est une ville endormie de 12 000 habitants avec des falaises verdoyantes qui dominent le détroit Tatar ainsi que la superbe formation naturelle de trois rochets dans la mer, appelée les Trois Frères.

La ville garde quelques traces de l'année 1890, bien que la colonie pénitentiaire fût fermée depuis longtemps, heureusement. Tchekhov aurait pu voir l'ancien bâtiment du Trésor, une cabane en bois construite dix ans avant son arrivée sur l'île. C'est probablement la plus ancienne structure en bois de l'île.

La maison où vivait l'écrivain est toujours en place et abrite aujourd'hui un musée exposant des objets datant de la période où Tchekhov arriva ici en mission.

De la déportation pénale à la migration volontaire

Bien que Tchekhov aurait pu désigner l'île comme le pire lieu qu'il n'ait jamais vu, à cause de la souffrance humaine indicible dont il témoigna ici, les 20e et 21e siècles apportèrent des changements notables à Sakhaline.

Les occupants japonais développèrent rapidement la partie sud de l'île et, après 1945, de nombreux spécialistes qualifiés furent encouragés par des salaires élevés et des logements proposés par les pouvoirs soviétiques à ceux qui s'installaient sur l'île.

La décision d' explorer activement les importantes réserves de gaz et de pétrole du plateau de l'île au début des années 2000 attira des spécialistes étrangers hautement qualifiés venant des multinationales pétrolières, ce qui transforma l'île à jamais (dans l'imaginaire russe) de l'enfer de Tchekhov en El Dorado pour les jeunes de toute la partie extrême-orientale de la Russie.

En 1890, Anton Tchekhov entreprit ce voyage pénible vers Sakhaline, même s'il savait qu'il était atteint de tuberculose. « Enfer » est le terme qu'il employa pour décrire l'île où le régime tsariste installa une colonie pénitentiaire.

Durant son séjour de 3 mois, il assista aux flagellations, aux confiscations des maigres provisions et à la prostitution forcée des femmes.

L'île de Sakhaline, le plus important travail de Tchekhov, est plutôt une œuvre journalistique que littéraire, elle attire l'attention des lecteurs aux horreurs de la vie quotidienne de la gigantesque colonie pénitentiaire du 19e siècle.

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