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Plus gros volumes, plus de contrats
Le 7 juillet, Vladimir Poutine a dévoilé les résultats des exportations militaires russes pour le premier semestre 2014. Ils montrent que cette année encore, les livraisons d’armes se maintiennent à un niveau élevé. En six mois, ces exportations ont atteint 4,2 milliards d’euros.
Un autre chiffre révélé par le président revêt encore plus d’importance : le portefeuille de commandes des exportateurs russes a atteint un niveau sans précédent de 37,1 milliards d’euros. En conservant les mêmes rythmes de livraisons à l’étranger qu’en 2013, c’est-à-dire 11,1 milliards d’euros, les entreprises seront ainsi assurées d’avoir du travail pour les trois prochaines années même sans signer de nouveaux contrats.
Les livraisons ne sont pas les seules à avoir enregistré un niveau record l’année dernière. C’est aussi le cas des contrats de collaboration. Les accords nouvellement signés devraient rapporter environ 13,6 milliards d’euros, ce qui constitue également un record historique.
Les exportations d’armes sont effectivement, et sans aucune promotion, le secteur où la Russie connaît le plus de réussite, dépassant de loin leur potentiel industriel et technologique réel.
Pas si neuf et un peu cher
Expliquer ce phénomène n’est pas si simple. Les principaux vecteurs ayant favorisé la hausse des exportations militaires dans les années 90, alors que le pays partait de zéro, sont épuisés ou presque. Les conditions de travail se sont avant tout compliquées sur les marchés chinois et indien cruciaux, qui dans les meilleurs années représentaient jusqu’à 80% des livraisons russes.
En Chine, le PIB ne cesse de grimper, alors que l’Inde mène une politique de diversification des sources d’armements étrangères.
Le potentiel de modernisation des systèmes d’armement créés à partir de l’héritage technologique soviétique est en baisse. Il devient ainsi de plus en plus difficile de vendre ne serait-ce que des avions de chasse, des sous-marins et des chars modernisés conçus à partir d’avancées datant des années 70-80 du siècle passé.
Quant à la conception de véritables systèmes de nouvelle génération, ils ne sont dans leur majorité pas encore terminés et ne sont donc pas prêts d’être proposés à l’étranger dans l’immédiat.
Les prix relativement bon marché des armes russes, qui garantissaient la compétitivité du pays, sont également de l’histoire ancienne. L’importante inflation industrielle et la forte croissance des dépenses ont aussi considérablement conditionné la hausse des prix dans ce secteur.
Même constat pour les outils de promotion, qui étaient impressionnants d’efficacité, sur le marché mondial des armes et technologies militaires russes, tout comme pour les livraisons liées aux accords sur la dette soviétique.
Pendant des années, ces livraisons spécifiques représentaient 22% de l’ensemble des revenus des exportations militaires, et l’utilisation de ce mécanisme a permis à la Russie de pénétrer des marchés politiquement difficiles pour Moscou, comme la Corée du Sud ou les États d’Europe centrale membres de l’OTAN, en particulier la Hongrie.
Mais aujourd’hui, les dettes soviétiques ont été remboursées et ce mécanisme d’amortissement ne peut donc plus être utilisé.
La question des crédits
La Russie fait crédit à ses clients contre son gré. Contrairement aux idées reçues un peu faciles, Moscou n’accorde cette faveur pour l’acquisition de ses technologies militaires qu’avec une très grande parcimonie.
Aujourd’hui, l’octroi de chacun de ces crédits est précédé d’une analyse en profondeur de la solvabilité de l’acheteur potentiel. Résultat : seuls de 5 à 7% des 37,1 milliards d’euros de contrats sont probablement financés grâce aux crédits russes.
Les achats massifs d’armes produites ces quatre ou cinq dernières années et destinées au ministère russe de la Défense n’ont pas les effets escomptés sur les exportations. On considère généralement qu’une commande intérieure pour tel ou tel modèle d’arme facilite son passage vers l’exportation. La réalité russe ne confirme toutefois pas cette règle qui paraît pourtant évidente et logique.
Près de 300 chasseurs Soukhoï Su-30 MKI ont été acquis depuis 1996 par l’Inde, la Malaisie et l’Algérie, avant que les forces aériennes russes n’achètent ces engins en 2012. Au contraire, 48 unités du tout nouvel avion de chasse Soukhoï Su-35 ont été commandées par l’armée de l’air russe, alors qu’aucun n’a été vendu hors des frontières.
L’image du vendeur primordiale
Les principaux facteurs ne semblent finalement pas jouer en faveur du renforcement des positions de la Russie sur le marché de l’armement. Pourtant, ses exportations augmentent en unités, alors que les volumes réels restent au même niveau dans le pire des cas.
Qu’est ce qui booste ces ventes ? Il semble y avoir une seule explication cohérente : les exportations militaires russes restent à un niveau élevé grâce à une politique étrangère indépendante et stricte, pour ne pas dire agressive. L’armement est une marchandise très spécifique.
L’image du vendeur sur la scène internationale, ainsi que la perception par les acheteurs de sa puissance dans son ensemble paraissent plus importants que les caractéristiques « de consommation » ou le prix de ce bien.
Dans ce cas précis, il s’avère que l’attribution de l’asile à Edward Snowden, le soutien à Bachar el-Assad et l’annexion de la Crimée compensent, aux yeux des importateurs d’armes, le retard de la Russie sur une Europe plus avancée technologiquement ou sur une Chine sans aucun doute plus puissante d’un point de vue industriel et financier.
La souveraineté de la Russie est réelle (et pas théorique comme les satellites européens des États-Unis) : voilà ce qui stimule en premier lieu les achats d’armes nationales par d’autres pays.
Konstantin Makienko, directeur général-adjoint au Centre d’analyse des stratégies et technologies
Version résumée. Article original disponible sur ww.vpk.ru
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