Transsexualité en URSS : les confessions du pionnier du changement de sexe

Le chirurgien Viktor Kalnberz a subi des persécutions pour son travail. Crédit : RIA Novosti, 1978.

Le chirurgien Viktor Kalnberz a subi des persécutions pour son travail. Crédit : RIA Novosti, 1978.

Le chirurgien soviétique, auteur de la première opération de réattribution de sexe réussie au monde, s'exprime sur son intervention la plus célèbre. Entreprise en 1968, elle a été gardée en secret durant plus de 20 ans.

En 1972, un chirurgien soviétique a réalisé un exploit inédit, menant à bien pour la première fois dans l’histoire la réattribution sexuelle de type femme vers homme. Toutefois, et l’idéologie soviétique en est la cause, son succès a été tenu au secret pendant de longues années.

En hiver de 1968, une femme élégante à cheveux bruns est entrée dans le bureau du chirurgien Viktor Kalnberz, directeur de l’Institut de la traumatologie et de l’orthopédie de la république soviétique de Lettonie. « Je sais que vous essayerez de me faire changer d’avis, mais c’est peine perdue. Je suis persuadée que la nature a fait une erreur en me faisant femme. Et je vous demande de corriger cette erreur », a-t-elle dit.

En novembre 1972, la patiente a quitté l’hôpital dans son nouveau corps masculin et avec de nouveaux documents. C’était le premier cas réussi de réattribution sexuelle, et pas uniquement en URSS, mais au monde entier : les quatre opérations précédentes ont eu pour conséquence la création d'hermaphrodites. Cependant, au lieu de la gloire, c’était l’indignation qu’a connue M.Kalnberz. Le médecin a failli perdre son poste et a à peine évité la prison. La réattribution de sexe n’était pas le seul domaine dont il fut le pionnier.

Le médecin a notamment inventé un implant pénien qui a aidé des centaines d’hommes soviétiques souffrant d’impuissance sexuelle. Mais la plupart des médecins voyaient d’un mauvais œil la sexologie, considérée comme une science « indigne ». Quant au changement de sexe, il ne se conformait absolument pas à l’idéologie soviétique.

D’après M.Kalnberz, il ne sait presque rien sur la vie de son patient après l’opération, pas même son nouveau nom. Avant la procédure, il s’appelait Inna. « Il avait peur d’un scandale. C’est pourquoi, lorsqu’on lui a présenté de nouveaux papiers, je lui ai demandé de ne pas me dire son nouveau nom, ni son adresse. J’ignore même son numéro de téléphone. La seule chose que je lui ai demandée, c’était de me téléphoner de temps en temps pour m’informer sur son état de santé. La dernière fois que j’ai entendu sa voix, c'était il y a plus de cinq ans. Il avait alors près de 70 ans », raconte le médecin.

Inna avait un peu moins de trente ans quand elle s’est rendue pour la première fois chez ce médecin. Ingénieur de talent très prometteuse et fille unique de ses parents, c’était une femme belle et bien-aimée.

Opération ou suicide

Inna a d’abord contacté M.Kalnberz par courrier. Elle écrivait : « Depuis l’enfance, j’étais complètement sûre d'être un garçon. J’avais des affections et des désirs purement masculins qui m’ont peu à peu isolée de la société et m’ont privée de la possibilité d’avoir des enfants et de créer une famille… Âgée de 12 ans, j’ai éprouvé pour la première fois l’amour, et c’était l’amour pour une personne du sexe féminin. Ce sentiment m’a montré avec une clarté brutale que ma situation était désespérée (…) Je n’ai pas et ne peux pas avoir le moindre espoir qu’un jour quelqu’un me débarrasse de la nécessité de vivre éternellement dans un masque, de porter les vêtements qui me dégoutent, de me sentir embarrassée même parmi mes proches. J’ai trente ans actuellement. (…) Et même si un jour un miracle me fait sentir l’attirance pour les hommes, il est maintenant absolument impossible pour moi de reconstruire ma vie, d’apprendre des habitudes et des activités féminines que je ne connais presque pas. Plutôt que faire quelque chose de ce genre, il vaut mieux se suicider ».

À ce moment-là, Inna avait déjà commis trois tentatives de suicide, notamment à cause de l’amour non partagé pour une femme. Viktor Kalnberz était pour elle le seul espoir : un médecin de renom à l’époque, il a effectué plusieurs opérations de réassignation, corrigeant le sexe d’hermaphrodites, et a lancé un programme d’aide pour les hommes qui ont perdu leurs organes sexuels suite à des blessures.

Le mystère d’un « homme nouveau-né »

Néanmoins, Inna n’a pas réussi tout de suite à se faire opérer. « Je sympathisais à elle, mais son sort ne dépendait pas uniquement de moi. Nous avons appelé en consultation un endocrinologue, un sexologue, un gynécologue, un psychiatre. Ils sont tous arrivé à la conclusion que le traitement habituel ne pouvait pas résoudre le problème. Finalement, c’était au ministre de la Santé de la république de Lettonie d'autoriser l’opération. Il a donné son accord, tout en refusant de signer toute sorte de document », raconte M.Kalnberz.

En attendant la permission, le chirurgien essayait de recueillir des informations sur les opérations de réattribution sexuelle réalisées en dehors de l’URSS. Il a appris que les spécialistes étrangers ont effectué quatre procédures de ce genre (dont la dernière avait eu lieu en république de Tchécoslovaquie), mais celles-ci n’étaient pas vraiment finalisées d’un point de vue médical : les patients sont effectivement devenu intersexués.

Le 17 septembre 1970, Inna a subi la première opération. La chirurgie moderne permet de finaliser le changement en une opération, mais à l’époque ce n’était pas possible, et la transformation de la jeune femme a été réalisée en plusieurs étapes. D’après M.Kalnberz, il était très stressé durant le traitement, notamment car il avait peur de changer quelque chose donnée par la nature, mais aussi parce qu’il était très difficile d’éviter l’attention indésirable.

Dès les premières procédures, l’« homme nouveau-né » voulait souligner son apparence masculine. « Il portait toujours le pantalon et a pris l’habitude d’aller au garage, il a même fait des amis parmi les chauffeurs de l’hôpital. Il aimait jurer, fumer et boire avec les autres hommes », dit M.Kalnberz.

Toutes les procédures terminées en 1972, Inna a quitté la clinique de Riga en tant qu’un homme. Il a travaillé toute sa vie comme ingénieur et s'est marié deux fois. Cependant, il a continué à garder son secret même avec ses épouses : expliquant ses cicatrices, il leur disait qu’il avait eu un accident.

Quant à M.Kalnberz, il a subi des persécutions pour son travail. Une commission spéciale a été envoyée à Riga pour évaluer le médecin. M.Kalnberz aurait pu perdre sa carrière et même sa liberté, mais il a réussi à convaincre les fonctionnaires que l’opération était effectivement nécessaire. Puis, il a dû se rendre à Moscou pour une audience avec le ministre de la Santé de l’URSS. Après la rencontre il a été réprimé pour avoir « mutilé » son patient. L’opération n’a été dévoilée au public que 20 ans plus tard.

M.Kalnberz a poursuit sa carrière jusqu’à l’âge de 80 ans. Outre la chirurgie andrologique et de réattribution sexuelle, le médecin s’est occupé d’autres domaines, réalisant des dizaines d’interventions sans précédent, mais le cas d’Inna reste son exploit le plus célèbre.

M.Kalnberz estime cependant que les gens ont aujourd’hui une attitude trop imprudente quant à la réassignation sexuelle. « La situation actuelle, cette absence de contrôle, me fait vraiment peur : à peine s’être sentis attirés au même sexe, les gens vont chez le chirurgien qui est prêt à les transformer pour l’argent. Mais il y a quand même des gens qui ont besoin de cette procédure. J’ai réalisé cinq opérations de changement de sexe au cours de ma carrière, et je suis persuadé que c’était indispensable pour mes patients », résume-t-il.

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