Il y a très longtemps que le Russe a commencé à régler ses comptes à coups de poings. Le pugilat est mentionné pour la première fois dans La Chronique des temps passés, la plus ancienne chronique slave orientale datant de 1048.
Il est vrai que son auteur, l’annaliste Nestor, n’approuvait pas cette tradition, loin de là. Ce qui est compréhensible : il était moine et l’Eglise considérait le pugilat comme une lutte païenne désapprouvée par Dieu. Deux siècles plus tard, le métropolite Kirill passa de la réprobation à de sévères sanctions, il frappa d’anathème les bagarreurset priva d’office des morts ceux qui avaient été tués dans ces combats, les mettant pratiquement sur le même plan que les suicidaires.
Ce qui n’arrêta pas pour autant les lutteurs. Les combats se tenaient en Russie régulièrement et de manière organisée, surtout les jours de fête sur de larges aires. Le peuple appréciait surtout ce divertissement pendant la Semaine Grasse, à la veille du carême. Les combats rassemblaient une foule de spectateurs et les marchands vendaient très bien l’hydromel et la bière. Parfois, on organisait des feux d’artifice.
Le pugilat russe pouvait se dérouler en « tête-à-tête » ou par équipes. Le premier ressemblait beaucoup à la boxe moderne. Les lutteurs devaient obligatoirement se tenir sur leurs jambes et n’avaient pas le droit de rouler par terre. Celui qui tombait ou qui se rendait était déclaré perdant. Il restait presque toujours en vie.
Extrait du film Le Barbier de Siberie. Source : YouTube
Les combats par équipes étaient également appréciés. Ils se déroulaient entre les voisins de maisons, de rues, de villages, voire entre les personnes habitant les deux rives d’une rivière ou les représentants de différentes professions. Il existait deux types de lutte par équipes : le premier rappelait le catch par équipes où tout le monde lutte contre tout le monde et où, après avoir vaincu un adversaire, le lutteur passe au suivant. Le second prévoyait la formation de deux groupes où les adversaires s’étiraient en une chaîne de plusieurs rangs les uns en face des autres. Les lutteurs qui étaient fatigués pouvaient se retirer à l’arrière et se regrouper.
Les combats collectifs étaient évidemment les plus spectaculaires. Mais également les plus dangereux parce que dans la bousculade il était impossible de suivreles règles, et descas létaux étaient recensés régulièrement malgré toutes les mesures prises pour les éviter.
Ces mesures étaient nombreuses. Par exemple, il était interdit de frapper celui qui reculait, qui tombait ou qui s’accroupissait, tout comme celui qui ne pouvait pas arrêter un saignement. Les coups ne pouvaient être portés que par les poings, mais il était permis aussi de pousser avec l’épaule ou les deux bras. Le plus souvent, les coups étaient portés sous les côtes, à la tête ou au plexus.
Les lutteurs devaient également porter de gros bonnets et des gants pour rendre les coups moins forts. Malheureusement, cette dernière règle ne faisait qu’augmenter les blessures, car certains ont vite compris qu’il était possible de glisser des pierres ou des morceaux de métal dans le gant.
Mais même si le combat était violent, il se terminait toujours, comme le veut la tradition, par une orgie commune de ceux qui venaient de s’affronter.
Crédit : Alyona Repkina
Le pugilat était le plus souvent considéré comme un divertissement et sa composante sportive n’était pas prise au sérieux. A la différence de la lapta, ce baseball russe, que le tsar Pierre le Grand avait inscrit au programme de formation des soldats dans l’armée. Le pugilat, qui semblait pourtant contribuer à la formation militaire, n’a pas eu cet honneur.
Par contre, le pugilat servait souvent à régler des problèmes juridiques. Cette sorte de duel permettait au demandeur et au défendeur de régler leurs comptes directement. Ou bien de payer les services de lutteurs « professionnels » pour les représenter au combat.
La Russie a adopté au XVIIe siècle un décret prévoyant de punir les pugilistes en les frappant à coups de bâtons. Les « repris de justice » étaient condamnés à l’exil. Toutefois, malgré la rigueur de la législation, les autorités fermaient les yeux sur les combats. Ainsi, Pierre le Grand appréciait le pugilat, y voyant la manifestation de la bravoure russe. Quant au favori de l’impératrice Catherine II, le comte Orlov, il était lui-même un grand pugiliste.
En 1917, le pouvoir soviétique a interdit le pugilat qui n’a pu jamais renaître sous sa forme initiale. Les anciens combats slaves sont pratiqués dans les clubs d’arts martiaux traditionnels, mais la plupart sont marginaux et aucun tournoi organisé n’est tenu.
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