Qui sont les Asiatiques de Russie?

La diversité ethnique de la Russie surprend souvent les touristes, qui s'attendent à visiter un pays plus homogène. Au sein de ses 147 millions d'habitants, on dénombre plus de 190 groupes ethniques différents, tels que les Russes, qui constituent 78% de la population et les Kètes, peuple de Sibérie dépassant à peine le millier d'individus. La plupart des Russes ethniques sont d'apparence européenne, néanmoins, nombreux sont les citoyens de la fédération à pouvoir être qualifiés d'asiatiques.

Crédit : Getty ImagesCrédit : Getty ImagesAvant tout, qu'est-ce qu'un Asiatique ?

Selon Egor Kitov, chercheur au Centre d'anthropologie physique de l'Académie des sciences de Moscou, la notion d'« asiatique » dans le contexte russe diffère grandement en fonction des facteurs pris en considération. Ainsi, peuvent rentrer en jeu la situation géographique d'une population, la majeure partie de la fédération se trouvant en Asie, mais également le sentiment d'auto-identification basé sur des aspects culturels et linguistiques. Ce terme pourrait aussi désigner simplement toute personne de type mongoloïde, ce qui engloberait des populations telles que les Kalmoukes, les Evenks, Youkaguirs, Bouriates, Touvains, etc., mais là aussi, être catégorique semble impossible.

« Le territoire de la Russie contemporaine comprend au moins deux types de population: les Caucasiens et les Mongoloïdes », or, après plusieurs siècles de cohabitation, ils se sont mélangés dans des proportions diverses, explique en effet Kitov.

Ilya Perevoztchikov, professeur et auteur du principal manuel d'anthropologie utilisé par les étudiants russes, rejoint cet avis. Lors d'un entretien avec RBTH, il a, pour illustrer la confusion que suscite le terme « asiatique », pris en exemple les Tatars et les Kazakhs. Il s'avère que ces deux peuples sont d'apparence asiatique mais possèdent des origines diverses, à la fois caucasiennes et mongoloïdes. Le type et l'ethnie ne sont aucunement connectés, le type étant un concept biologique et l'ethnie uniquement une notion sociale, précise-t-il. Aussi, si les recensements gouvernementaux effectués en Russie classent la population en fonction de l'ethnie, il est difficile de décider objectivement lesquelles peuvent être qualifiées d'asiatiques.

Combien d'Asiatiques vivent en Russie ?

Selon le recensement russe de 2010, le pays compte 193 ethnies. Le graphique ci-dessous comprend les dix plus importantes numériquement, traditionnellement acceptées comme asiatiques.

 
 

La Russie compterait ainsi 9,5 millions d'habitants que l'on pourrait qualifier d'asiatiques, soit 6,5% de la population fédérale. À titre de comparaison, selon le Pew Research Center, les Asiatiques représenteraient 5,8% de la population des États-Unis. La majeure partie des Asiatiques de Russie vivent en zone rurale, les seules communautés asiatiques à être largement urbanisées étant les Coréens, les Tatars, les Ouzbeks et les Kirghizes. En outre, les statistiques montrent que les femmes sont majoritaires au sein des ethnies asiatiques, ce qui est en adéquation avec la tendance générale du pays. Néanmoins, de nombreux peuples autochtones du Grand Nord et de l'Extrême-Orient russes, tels que les Tchouktches et les Aléoutes, ne sont, bien que de type mongoloïde, pas comptabilisés en raison de leur population très réduite ou en déclin.

Le gouvernement russe a cependant entrepris des mesures visant à préserver la culture et les traditions de ces populations, apportant son soutien aux associations locales et leur accordant plus d'autonomie dans divers domaines.

Aussi, la Constitution russe garantie le droit des républiques de la Fédération à choisir leurs propres langues officielles, en plus du russe, et de créer les conditions nécessaires à leur enseignement et à leur développement. Le gouvernement russe a par ailleurs créé une Agence fédérale aux Affaires ethniques.

Néanmoins, nombreux sont les représentants des peuples asiatiques des républiques de Russie à migrer vers Moscou ou d'autres centres économiques de l'Ouest du pays. En 2013, plus d'un demi-million de migrants internes se sont ainsi installés dans la partie européenne du pays.

Des origines diverses

Chamil, 20 ans, originaire du Tatarstan. Crédit : Aïjan KazakChamil, 20 ans, originaire du Tatarstan. Crédit : Aïjan Kazak

De nombreuses ethnies asiatiques ont une histoire assez floue, ce qui rend l'étude de leurs origines difficile pour les chercheurs contemporains. Les Bouriates, par exemple, sont les descendants de tribus sibériennes et mongoles, qui se sont probablement installés ultérieurement sur les rives du lac Baïkal et dans l'actuelle république de Bouriatie. La première mention connue de ce peuple se trouve dans « L'histoire des Mongols », la plus ancienne œuvre littéraire en langue mongole ayant survécu, datant de la fin du XIIIème siècle.
L'histoire des Kalmouks est également étroitement liée à une tribu mongole, les Oïrats. Les premiers écrits touvains y font référence sous le nom de « Dingling ».

De leur côté, les Tatars et les Kazakhs partagent des racines communes et parlent des langues turques. On pense que les Yakoutes, Bachkirs, Ouzbeks et Kirghizes descendent aussi des populations turques natives d'Asie centrale.
De nombreuses communautés coréennes de Russie ont pu établir leur arbre généalogique, remontant jusqu'aux Coréens ayant vécu dans l'Extrême-Orient russe à la fin du XIXe siècle. Beaucoup d'entre eux avaient en effet quitté leur pays d'origine en raison de la pauvreté, et s'étaient rapidement adaptés aux conditions de vie dans les confins de la Russie, s'y établissant pour cultiver ces vastes étendues inhabitées. Dans les années 1930, l'Union soviétique déporta la plupart d'entre eux vers les pays d'Asie centrale, où ils résident encore aujourd'hui. 

Témoignages 

Aïjan Kazak

Irina Kravtchenko, 22 ans, est d'origine kalmouke, seule peuple bouddhiste et de type asiatique d’Europe.

« Russe » est tout de même un indicateur ethnique, alors me qualifier de Russe, je ne le peux pas. Dans ma famille, tous sont Kalmoukes, sauf mon grand-père, qui est Ukrainien. Je porte son nom, mais ceci-dit je me considère comme Kalmouke. C'est ma nationalité, j'ai grandi en Kalmoukie et on m'a éduquée en essayant de suivre les traditions et coutumes kalmoukes. Dès notre enfance nous avons étudié la langue kalmouke, l'histoire de notre peuple, sa littérature. Préserver notre culture et nos traditions a été difficile pour nous, surtout durant la déportation (En 1943 et 1944 les Kalmoukes furent déportés vers la Sibérie, l'Altaï et l'Asie centrale, ndlr). Alors depuis notre plus jeune âge, ma sœur et moi avons appris à ne pas oublier nos racines et à respecter notre culture maternelle. Mais à côté de cela, je suis de citoyenneté russe, la Russie est ma patrie.

Notre peuple vit sur le territoire russe depuis plus de 400 ans, ce qui a eu une influence considérable sur notre culture et notre quotidien. Nous parlons aussi russe, mangeons de la nourriture russe, célébrons le Nouvel an, Maslenitsa et Pâques. Notre mode de vie et notre mentalité sont à présent très semblables. Mais en tant que représentants d'une autre nationalité, les Kalmoukes se distinguent des Russes tant par leur apparence que par leur culture : nous avons nos propres fêtes nationales, notre cuisine, nos croyances. La religion aussi est différente : nous sommes de confession bouddhiste.

Les Kalmouks se distinguent également sûrement par leur authenticité. Nous sommes un peuple nomade, du coup notre cuisine, notre architecture, notre art, nos costumes nationaux etc., sont très caractéristiques. Aussi, nous vivons dans la partie européenne de la Russie, notre mode de vie diffère donc à un certain degré de celui que l'on trouve en Asie. Néanmoins, malgré le fait que les Kalmoukes soient un peuple d'Europe, nous sommes bien des Asiatiques, et nous sommes d'ailleurs par là même le seul peuple asiatique d'Europe.

Beaucoup de Kalmouks, surtout chez les jeunes, partent s'installer dans les grandes villes pour étudier ou travailler, et certains y restent. Ceci dit, presque tous s'efforcent de revenir dans leur « petite patrie » pendant les fêtes ou les vacances. Je pense donc que parmi les Kalmouks peu nombreux sont ceux qui oublient leurs racines. Mais je suppose que si l'on passe toute sa vie loin de sa terre natale, c'est tout-à-fait possible.

Aïjan Kazak

Emile Zalilov a 21 ans et est originaire de Bachkirie, une république de 4 millions d'habitants située non loin de la frontière avec le Kazakhstan.

Je me considère comme Bachkir. C'est étrange de se dire Russe lorsque l'on a une autre ethnie. Néanmoins ma langue maternelle est le russe, je ne connais pratiquement pas le bachkir. Mon père le maîtrise mieux, mais ne le parle pas particulièrement bien non plus. Je ne me suis par contre jamais considéré comme musulman, à l'image de mon père et de ma mère, cette dernière étant d'ailleurs orthodoxe. Je n'avais pas de motif particulier de me sentir Bachkir, on m'a simplement expliqué depuis mon enfance qu'il y a différentes nationalités et que celle-ci est la mienne.

À Oufa (Capitale de la république de Bachkirie, ndlr), en plus des Bachkirs, il y a énormément de Russes et de Tatars. C'est pourquoi depuis tout jeunes nous sommes habitués aux particularités des nationalités qui nous entourent. On m'a élevé de manière neutre et on m'a fourni une éducation plus laïque qu'autre chose. Dans la famille, nous célébrions les fêtes musulmanes et orthodoxes, mais de manière formelle, en ne leur accordant pas de signification religieuse. Il y a en Russie beaucoup d’ethnies. Mais depuis l'époque soviétique toutes vivent de manière plus ou moins similaire. Il y a des exceptions bien entendu, mais elles sont peu nombreuses. Je ne considère d'ailleurs pas la nationalité comme étant un trait important d’identification chez une personne.

Pour ce qui est de savoir si mon peuple est plus asiatique ou européen, c'est pour moi difficile à dire, je dirais que c'est du 50/50. Cela dépend de quelle partie de Bachkirie sont originaires nos ancêtres. Néanmoins, il est en effet à mon avis difficile de préserver ses traditions en vivant dans les grandes villes. À Oufa, certaines familles s'efforcent d'éduquer leurs enfants dans le respect des traditions bachkires, mais je ne pense pas que cela ait une grande influence sur eux au final.

Je me considère comme Kazakhe, et mes parents aussi. On m'a éduqué comme ça, c'est pourquoi j'ai plus en commun avec les enfants kazakhs qu'avec les russes. Certains Kazakhs se distinguent à peine de la vision que les étrangers ont des Russes. Moi, par exemple, j'ai le teint très clair pour une Kazakhe. C'est pourquoi l'apparence ne permet pas toujours de nous différencier. Au-delà de la religion, nous nous démarquons aussi par des liens familiaux très forts, nous connaissons à fond l'histoire de notre famille sur plusieurs générations, alors que beaucoup de mes amis russes ne connaissent que leurs grands-parents.
 
Pour moi, les Kazakhs ont plus à voir avec l'Asie qu'avec l'Europe. Nous sommes un peuple oriental, avec des qualités typiquement asiatiques : nous honorons nos traditions, respectons nos aînés. Néanmoins je pense que plus la ville dans laquelle nous vivons est grande, plus il est difficile de préserver le cadre des nationalités. Peu à peu, l'histoire et les racines tombent dans l'oubli. Mais ceci étant, mon père par exemple se souvient de ses origines : il se rappelle la manière dont son grand-père a quitté le Sud du Kazakhstan pour rejoindre l'Iran afin de fuir le pouvoir soviétique. Pour moi et mon frère c'est intéressant, alors il nous le raconte. Mais ça n'intéresse pas mes cousins et cousines en Iran, ils se considèrent déjà presque comme des Iraniens.
 
Les étrangers réagissent de manière normale lorsque je leur dis que je suis Russe, mais parfois ils sont tout de même surpris par mon prénom, il est atypique pour une Russe. Ici, on retrouve de tels prénoms uniquement chez les enfants juifs, or je ne suis pas juive. Ma mère est kazakhe et un peu tatare, et mon père est quant à lui kazakh, mais a grandi en Iran.Aïjan Kazak

Sara Kazak, 14 ans, est originaire du Kazakhstan, un pays un pays dont de nombreux citoyens se sont installés en Russie.

Je me considère comme Kazakhe, et mes parents aussi. On m'a éduqué comme ça, c'est pourquoi j'ai plus en commun avec les enfants kazakhs qu'avec les russes. Certains Kazakhs se distinguent à peine de la vision que les étrangers ont des Russes. Moi, par exemple, j'ai le teint très clair pour une Kazakhe. C'est pourquoi l'apparence ne permet pas toujours de nous différencier. Au-delà de la religion, nous nous démarquons aussi par des liens familiaux très forts, nous connaissons à fond l'histoire de notre famille sur plusieurs générations, alors que beaucoup de mes amis russes ne connaissent que leurs grands-parents.

Pour moi, les Kazakhs ont plus à voir avec l'Asie qu'avec l'Europe. Nous sommes un peuple oriental, avec des qualités typiquement asiatiques : nous honorons nos traditions, respectons nos aînés. Néanmoins je pense que plus la ville dans laquelle nous vivons est grande, plus il est difficile de préserver le cadre des nationalités. Peu à peu, l'histoire et les racines tombent dans l'oubli. Mais ceci étant, mon père par exemple se souvient de ses origines : il se rappelle la manière dont son grand-père a quitté le Sud du Kazakhstan pour rejoindre l'Iran afin de fuir le pouvoir soviétique. Pour moi et mon frère c'est intéressant, alors il nous le raconte. Mais ça n'intéresse pas mes cousins et cousines en Iran, ils se considèrent déjà presque comme des Iraniens.

Les étrangers réagissent de manière normale lorsque je leur dis que je suis Russe, mais parfois ils sont tout de même surpris par mon prénom, il est atypique pour une Russe. Ici, on retrouve de tels prénoms uniquement chez les enfants juifs, or je ne suis pas juive. Ma mère est kazakhe et un peu tatare, et mon père est quant à lui kazakh, mais a grandi en Iran.

Texte adapté par Erwann Pensec

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