Prison avec sursis pour avoir chassé des Pokémons dans une église

Pavel Lisitsyne / RIA Novostii
Le blogueur russe Rouslan Sokolovski a été condamné à 3,5 ans de prison avec sursis pour avoir chassé des Pokémons dans une église. L’opinion s’attendait à un verdict plus sévère et estime qu’une peine avec sursis est «presque un acquittement».

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Le blogueur russe Rouslan Sokolovski, qui a chassé des Pokémons dans une église et qui en a tiré une vidéo diffusée sur Internet, a été condamné à 3,5 ans de prison avec sursis. En août 2016, le jeune homme de 23 ans a décidé de voir si la chasse aux Pokémons (jeu en réalité augmentée qui fait fureur dans le monde entier) dans une église pouvait être interprétée comme une insulte aux sentiments des croyants. Ce délit est puni en Russie par le Code pénal où un article spécial a fait son apparition après une « prière punk » chantée dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou en 2012 par le groupe Pussy Riot.

Rouslan Sokolovski s’est rendu dans l’église-sur-le-sang-versé d’Ekaterinbourg avant de l’arpenter à la découverte de personnages de Pokémon Go pendant l’office. Il a posté sa vidéo sur Internet sur fond de chants religieux, faisant part de ses idées sur la religion et racontant une blague obscène sur l’orthodoxie et le patriarche Cyrille. « Je n’ai malheureusement pas trouvé le Pokémon le plus rare qui aurait dû y être, Jésus », a-t-il indiqué.

Sa vidéo publiée sur YouTube a cumulé 200 000 vues en une semaine et a attiré l’attention non seulement de la police locale, mais également de la télévision centrale. « C’est une insulte aux sentiments des croyants », a affirmé le présentateur de la chaîne Rossia 24. Le 2 septembre, Rouslan Sokolovski a été mis en examen. Son dossier comporte trois chefs d’accusation : insulte aux sentiments des fidèles (jusqu’à cinq ans de prison), extrémisme et trafic de matériel spécial (un stylo caméra espion a été découvert chez lui lors d’une perquisition).

Dans sa dernière déclaration avant la délibération du juge, le jeune homme a affirmé : « Je suis peut-être un idiot, mais en aucun cas un extrémiste ». Le jour où le verdict a été prononcé, le 11 mai, la petite salle du tribunal local était bondée et une file d’attente s’était formée à l’entrée. Rouslan Sokolovski risquait 3,5 ans de prison ferme : cette peine était demandée par l’accusation.

Un blogueur de province

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La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres, les religions sont inutiles et l’appartenance ethnique est sans importance : tels étaient les principes de Rouslan Sokolovski devenu du jour au lendemain un célèbre chasseur de Pokémons. Selon lui, il a eu « une enfance pauvre en province ». Né dans la région de Kourgan (à environ 2 000 kilomètres à l’est de Moscou), il est resté seul avec sa mère après la mort de son père et de son frère.

Passionné par les ordinateurs, il commence dans l’optimisation pour les moteurs de recherche (SEO) et enchaîne avec le blogage pour lancer son propre canal où, selon sa vidéo-salutation, il blague, double des vidéos étrangères et s’occupe de streaming.

Ainsi, il a publié des posts où il raconte comment copier à un examen, comment il a failli se retrouver au FSB (Service de sécurité de Russie) et pourquoi il n’aime pas les féministes. Pourtant, un sujet sur lequel il revient régulièrement sur un ton sarcastique est celui de la religion : il critique le rapprochement entre l’Église et l’État et condamne « le mariage orthodoxe idéal » saluant les familles nombreuses, alors qu’en Russie personne ne pense, selon lui, à « assurer l’avenir » de l’enfant, ce qui ne fait « qu’engendrer la pauvreté ».

Depuis le début de sa mise en examen, Rouslan Sokolovski a fait part de nombreux projets. Ainsi, un an avant son arrestation, il avait mûri dans sa tête l’idée d’un livre anti-extrémiste et préparait un stand-up social à l’image de Richard Pryor ou Bill Burr. Pendant son séjour dans le centre de détention provisoire où il a passé trois mois et demi, il a commencé à écrire une série d’articles intitulés Impressions de prison, mais ne pouvait pas trouver de livres « normaux », se heurtant toujours à de la littérature orthodoxe.

Condamné mais pas pour les Pokémons

« Les déclarations selon lesquelles Rouslan Sokolovski a été jugé pour avoir joué dans une église sont erronées », indique le verdict. L’accusation a dû organiser une expertise linguistique des déclarations du jeune homme. Les griefs formulés dans la conclusion sont les suivants : il comparait Jésus à un zombi et à un Pokémon, « il formait l’opinion selon laquelle la Russie est en proie à l’obscurantisme et à l’arbitraire », tandis que les croyants « sont représentés métaphoriquement comme des malades, des idiots qui yoyotent de la touffe ».

Or, d’après les médias, le rôle des orthodoxes offensés a été endossé au procès par des fidèles qui n’avaient rien entendu au sujet de Rouslan Sokolovski jusqu’à ce que les religieux organisent le visionnement de ses vidéos directement dans l’église avec un projecteur.

Une peine avec sursis est presque un acquittement

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Rouslan Sokolovski est devenu pour un temps le héros de la presse libérale, l’ONG des droits de l’homme Amnesty International l’a qualifié de prisonnier de conscience et la série télévisée Les Simpson a diffusé un épisode de chasse aux Pokémons dans une église.

Le fait que le jeune homme ait été condamné à du sursis au lieu d’une peine de prison ferme a été qualifié de « victoire dans la réalité actuelle en Russie » par ses avocats et de « quasi-acquittement » par l’accusé lui-même. Les sympathisants de Rouslan Sokolovski étaient du même avis et ont applaudi le verdict, alors que les utilisateurs des réseaux sociaux l’ont perçu comme sa libération presque complète. « C’est inquiétant si nous poussons un soupir de soulagement en cas de peine avec sursis », a affirmé sur Twitter l’opposant russe Andreï Pivovarov.

Dans une interview à la radio Kommersant–FM, l’archidiacre de l’Église orthodoxe russe, le père Andreï Kouraïev, en conflit avec les fonctionnaires de l’Église, a déclaré que la joie en cas de peine avec sursis dans des affaires semblables était « un diagnostic posé à nous tous » et que le verdict était loin de la charité chrétienne.

Entretemps, le maire d’Ekaterinbourg, Evgueni Roïzman, qui a assisté au procès en qualité de témoin à décharge, a proposé à Rouslan Sokolovski de travailler comme volontaire dans un centre de soins palliatifs local.

Le Kremlin a déclaré qu’il n’était pas en droit de commenter les décisions de la justice. L’Église orthodoxe russe a qualifié le jugement de « signe de charité ». Le Parquet général de Russie a estimé que c’était « une justice réelle » et « une histoire pondérée ».

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