La Russie au lendemain des protestations

Qu’est-ce qui changé une semaine après la plus importante manifestation depuis cinq ans ?

Qu’est-ce qui changé une semaine après la plus importante manifestation depuis cinq ans ?

Global Look Press
Les enseignants des écoles supérieures critiquent vivement l’opposant Alexeï Navalny, les sénateurs exigent une enquête, tandis que certains lycées donnent, selon les dernières informations, des leçons de lutte contre la corruption. Qu’est-ce qui changé une semaine après la plus importante manifestation depuis cinq ans ?

Qu’est-ce qui changé une semaine après la plus importante manifestation depuis cinq ans ? Crédit : Global Look PressQu’est-ce qui changé une semaine après la plus importante manifestation depuis cinq ans ? Crédit : Global Look Press

Depuis la tenue des marches de protestation contre la corruption, organisées le 26 mars dernier, la balle est dans le camp des autorités : la population indignée attend des réponses à la grogne exprimée, tandis que les élites tentent de les formuler.

À l’issue d’une pause de cinq jours, le président Vladimir Poutine a déclaré : « Le problème (de la corruption) a diminué ces derniers temps… J’estime que les forces politiques ont tort d’avoir recours à cet instrument pour se faire valoir et non pour améliorer la situation dans le pays ».

Un ou deux jours plus tôt, le porte-parole du président, Dmitri Peskov, a indiqué que le Kremlin restait « lucide » en évaluant les protestations qu’il a qualifiées de « provocation » de l’opposition.

Le Kremlin ne cite dans aucun commentaire le nom du premier ministre, Dmitri Medvedev, qui est à la source de ces manifestations. C’est en effet suite à une enquête de la Fondation de lutte contre la corruption de l’opposant Alexeï Navalny au sujet de son « empire secret » présumé d’une valeur de plus d’un milliard d’euros, que des Russes sont descendus dans la rue.

Dmitri Medvedev reste lui aussi muet, affirmant, par le biais des réseaux sociaux, avoir fait du ski le jour des protestations. Les autres représentants du pouvoir ont préféré prendre les devants en s’appuyant sur leurs propres convictions et objectifs.

Les protestations vues par les élites

Les communistes ont été les premiers à exiger une enquête sur l’implication du premier ministre dans l’affaire des « datchas secrètes en montagne » et du « château de Toscane ». Ils ont adressé une demande appropriée aux forces de l’ordre, mais ces dernières n’y ont toujours pas donné de réponse.

Leur exemple a été suivi, quoique plus timidement, par Sergueï Mironov, le chef d’un autre parti parlementaire, Russie juste, qui a lui aussi demandé des explications. Le 29 mars, ce fut le tour du sénateur Viatcheslav Markhaïev de proposer au Parquet général d’entamer sur-le-champ une enquête sur les revenus du premier ministre.

« Garderons-nous toujours le silence ou prendrons-nous tout de même certaines mesures, ne serait-ce qu’au niveau des législateurs ? », a-t-il martelé devant ses collègues. Toutefois, Valentina Matvienko, la présidente du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe), numéro trois de l’État, n’a donné aucune consigne pour le moment. Selon elle, parce que Viatcheslav Markhaïev a « mal formulé » la question.

La sénatrice Elena Mizoulina – connue pour être parmi les auteurs des lois sur l’interdiction pour les Américains d’adopter des orphelins russes ou l’interdiction de la propagande homosexuelle – s’est tournée vers les programmes d’enseignement dans les écoles (ce que les médias ont d’ores et déjà qualifié de « révolution des cartables » en raison du grand nombre d’élèves concernés).

Dans certaines écoles, les leçons de patriotisme ont cédé leur place à des cours de lutte contre la corruption : les lycéens sont informés des classements internationaux en la matière « où la Russie est évidemment tout au bas de la liste, à côté de l’Ouzbékistan (ce qui est le cas, RBTH) » et de telles leçons « présentent une tendance très dangereuse », a-t-elle affirmé.

Entre-temps, les enseignants des écoles supérieures appellent les étudiants à ne pas suivre Alexeï Navalny et leur expliquent que « les meetings ne changent absolument rien » ; le réalisateur Alexandre Sokourov a dénoncé à la cérémonie de remise du prix national de cinéma Nika, sous une vague d’applaudissements et d’encouragements, la censure et la violence fait aux écoliers (alors que de son côté, le Kremlin affirme qu’il « respecte profondément le grand maître ») ; et le ministère de la Défense commence à faire la propagande du mouvement patriotique Iounarmia (contraction de Jeune armée), oublié mais toujours vivant, qui propose une certaine alternative à la rue et qui apprend aux jeunes comment jouer à des jeux militaires-sportifs et comment aimer son pays.

Ce qui a changé

La réaction des autorités aux meetings prouve clairement qu’elles n’y étaient pas prêtes, ce qui explique l’absence de position consolidée. « Cette large gamme d’opinions – quand une partie des élites garde le silence, une autre hausse le ton et une troisième préconise l’apaisement des tensions – en témoigne avec éclat », a expliqué à RBTH Rostislav Tourovski, du Centre des politiques publiques. Toutefois, il souligne que la politique de l’autruche est dans cette situation la meilleure : en n’accordant pas de grande importance à ces manifestations, on évite de trop attirer l’attention sur ces dernières.

« Notre système est tel que si quelqu’un est entièrement innocent, mais qu’il commence à se justifier, l’opinion estime tout de suite qu’il +y est pour quelque chose+ », a déclaré dans une interview à la radio Kommersant FM le directeur de l’Institut de sociologie politique, Viatcheslav Smirnov. Pour le politologue Alexeï Moukhine (proche du Kremlin), le premier ministre peut faire ce que bon lui semble tant que la justice n’a pas donné son avis sur le problème.

Le président russe Vladimir Poutine. Crédit : ZUMA Press / Global Look PressLe président russe Vladimir Poutine. Crédit : ZUMA Press / Global Look Press

« S’il veut en parler, il peut le faire, s’il ne veut pas, libre à lui de négliger le sujet », a-t-il affirmé. « En ce qui concerne les députés, ils se trouvent actuellement à une étape où ils se doivent de rappeler leur existence aux électeurs. Ils réfléchissent… et placent le premier ministre dans une situation très embarrassante », a fait remarquer Alexeï Moukhine.

Les spécialistes des politiques publiques en sont convaincus : personne ne sera démis de ses fonctions, car l’homme fort du Kremlin ne prend pas de décisions sous la pression de la rue, de l’étranger ou de qui que ce soit. Toutefois, ces protestations, les plus importantes depuis 2012, ont déjà des conséquences politiques, même si celles-ci ne se manifestent pas encore.

Primo, l’avenir politique de Dmitri Medvedev est en jeu. Les meetings « influencent les perspectives de Dmitri Medvedev en tant que chef du gouvernement après 2018 et réduisent la possibilité pour lui de rester à ce poste », a indiqué à RBTH Mikhaïl Remizov, président de l’Institut de stratégie nationale (indépendant). Deuxio, organiser la prochaine présidentielle d’après le principe d’inertie, comme prévu, devient impossible, car il faut réagir à la protestation avec un du jour ordre propre.

Pour Rostislav Tourovski, la réaction aux attentes en matière de lutte contre la corruption se traduira par une vague d’arrestations. Il se peut que ces dernières soient instrumentalisées dans le cadre de la lutte entre les élites, mais elles prendront la forme d’un nettoyage, tant attendu par l’opinion. « Ce n’est que l’un des scénarios, loin d’être le meilleur », a noté Mikhaïl Remizov.

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