La cueillette des champignons dans une forêt.
Vladimir Smirnov / TASSLa saison des champignons bat son plein. Après quelques heures dans la forêt, mes trois amies et moi rentrons en ville avec des seaux pleins à ras bord. Cèpes, bolets jaunes, bais et raboteux — le résultat est plus que satisfaisant et une soupe aux champignons s’impose pour le dîner.
Nous embarquons dans une marchroutka (taxi collectif, ndlr) blindée, il n’y a plus de places assises, alors nous voyageons debout en serrant nos seaux entre les jambes. « Oh, mais c’est un cèpe que vous avez là ? », me demande une dame à côté. « Il y en a déjà ? ».
Elle admire mon seau comme les adultes regardent généralement les bébés dans les poussettes, puis caresse le chapeau du champignon. « Il est robuste ! Vous avez encore du boulot avec ces champignons », plaisante-t-elle et sort à son arrêt nous libérant une place.
Quand on rentre de la forêt avec un seau de champignons, la vie est soudain plus belle. Rentrer en autostop ? Aucun problème – en cinq minutes, vous trouverez un chauffeur qui vous ramènera gratuitement et presque sous votre porte. Passer au magasin ? Le vendeur veillera sur votre butin. Cependant, il vaut mieux cacher les cèpes des regards indiscrets. On ne sait jamais.
L’année dernière, un cas a fait beaucoup de bruit : dans la région d’Arkhangelsk, dans le nord de la Russie, un homme a tué une femme simplement parce qu’elle cueillait des champignons dans son lieu préféré.
Cet été, le public a été frappé par une nouvelle histoire : en août, des touristes russes ont salé des champignons dans la baignoire de leur chambre d’hôtel de luxe en Suisse. Le couple de « plus de 50 ans » était parti se promener dans la forêt voisine et y a trouvé des champignons.
Il y en avait tant qu’ils n’ont pas eu le temps de tout manger et ont décidé de les conserver. Mais comment faire ? En utilisant la baignoire de l’hôtel de luxe, car ils n’avaient rien d’autre sous la main.
Plus tard, à leur retour en Russie, le couple a promis de retourner dans le même hôtel. Sans doute, pour la prochaine saison des champignons.
En observant la « fièvre des champignons » annuelle s’emparer de mes amis, j’ai beaucoup appris sur les champignons d’un point de vue scientifique en tant qu’étrangère. Par exemple, je ne connais de nombreux noms de champignons qu’en russe.
Dès le début de l’été, on m’a enseigné toute la théorie en détail : les champignons qu’on peut cueillir, ceux qu’il faut éviter, où en chercher et comment les nettoyer. Tout cela, pour que je puisse accompagner mes amis en forêt en automne.
Tout peut arriver quand on cueille des champignons ! L’un de mes amis, un homme très étranger à la pratique sportive, est capable de fouiller la forêt pendant cinq ou six heures de suite dans l’espoir de trouver une clairière aux bolets.
Le père d’une de mes amies, un homme habituellement bourru et peu sociable, ancien directeur d’usine, fond littéralement à la première vue d’un beau cèpe. Quand on parle de champignons, il prononce toute sorte de diminutifs pour le précieux trésor et caresse tendrement, embrasse et adule les spécimens cueillis. Les Russes plaisantent même en disant que les champignons entendent plus de mots doux que les femmes de certains cueilleurs.
Pendant la saison des champignons, les familles russes instaurent une répartition précise des responsabilités, une sorte de travail d’équipe. Pendant que le père et les enfants partent dès l’aube dans la forêt, la mère peut rester à la maison et faire la grasse matinée.
Quand ils rentent de la « chasse tranquille », toute la famille déjeune, se repose et se lance dans le nettoyage des champignons. Le soir, qui laisse doucement la place à la nuit, c’est le tour de la mère. En compagnie de ses jeunes assistants ou toute seule, elle cuit, rissole, sale ou marine les champignons.
Les familles russes peuvent consacrer des semaines et des week-ends entiers à ce loisir, tant qu’on peut cueillir ce que la nature vous donne : les champignons, mais aussi baies, pommes, etc.
D’où vient la fièvre des champignons des Russes ? Est-ce que tout cela commence dès l’enfance, ou cet amour pour les champignons est-il inscrit chez les Russes au niveau génétique ? Dans les abécédaires qu’étudient les enfants russes, les mentions des champignons sont nombreuses.
Si les enfants allemands auront sans doute du mal à reconnaître les différentes sortes de champignons, outre peut-être les amanites et les cèpes, les écoliers russes connaissent si bien les mots « bolet » ou « girolle » qu’on les utilise pour apprendre à lire. Dans un abécédaire de 1987, un poème entier sur les champignons (griby en russe) illustre la lettre G.
L’histoire est simple : une mère montre à son enfant, qui a ramassé des champignons vénéneux dans la forêt, un vrai champignon, le cèpe. Dans les abécédaires actuels, on peut trouver des tas de noms de champignons différents, mais aussi la soupe aux champignons que tous les enfants adorent.
Un petit conseil d’expatrié à expatrié : dans toute situation incertaine – avec les collègues, les inconnus, les compagnons de voyage en train ou en avion, et même avec votre chef – parlez de champignons. En un rien de temps, la compréhension mutuelle s’installera comme par miracle.
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.