Paquet antiterroriste : les mesures les plus radicales adoptées depuis cinq ans

Moscou, Russie, le 24 juin 2016. La présidente de la commission de la Douma pour la sécurité et la lutte contre la corruption Irina Iarovaïa (à dr.), le vice-premier ministre de la Fédération de Russie Alexandre Joukov et  le premier vice-président de la Douma Ivan Melnikov (de g. à dr.) lors d'une session plénière de la Douma russe.

Moscou, Russie, le 24 juin 2016. La présidente de la commission de la Douma pour la sécurité et la lutte contre la corruption Irina Iarovaïa (à dr.), le vice-premier ministre de la Fédération de Russie Alexandre Joukov et le premier vice-président de la Douma Ivan Melnikov (de g. à dr.) lors d'une session plénière de la Douma russe.

Anna Isakova/TASS
Une série de mesures antiterroristes, la fameuse « loi Iarovaïa », adoptée le dernier jour des travaux de la Douma [chambre basse du Parlement russe] pourrait influencer la vie des Russes dans de nombreux domaines. Que contient cette loi et que lui reproche-t-on ?

Le paquet de mesures antiterroristes présenté conjointement par la députée Irina Iarovaïa et Viktor Ozerov, membre du Conseil de la Fédération [chambre haute du parlement russe] est le cadeau d’adieu offert à la Douma dans sa configuration actuelle. En effet, après l’adoption des ces mesures, les députés sont partis en vacances et les élections législatives destinées à renouveler le Parlement auront lieu cet automne.

Le système automatique de surveillance et d’analyse des médias Medialoguia a placé la fameuse « loi Iarovaïa » à la première place du top 10 des initiatives les plus retentissantes prises par la Douma au cours des cinq dernières années.

L’opinion publique a déjà qualifié ce paquet, qui comporte plusieurs dizaines de mesures durcissant la législation russe, d’« extrêmement sévère », de « répressif » et même d’« ogresque ». Plusieurs amendements particulièrement restrictifs n’ont pas passé la rampe, mais ceux qui restent peuvent tout de même avoir d’importantes répercussions sur la vie des Russes.

Quelssontlesobjectifs ?

Le texte veut permettre aux autorités de faire face à l’extrémisme et au terrorisme. Ainsi, l’un des articles qui modifient le Code pénal porte sur « la non-révélation de faits délictueux ». Il prévoit une peine de prison allant jusqu’à un an pour non dénonciation d’informations faisant état de préparatifs en vue de perpétrer un attentat, une rébellion armée et 13 autres délits.

Conformément à ce nouvel article sur le terrorisme international, de lourdes peines allant jusqu’à la prison à vie, sont prévues pour les attentats ou menaces d’attentat commis en-dehors de la Russie et dans lesquels des citoyens russes seraient tués ou blessés.

Cette réforme abaisse également l’âge de la responsabilité pénale à 14 ans, tandis que la justification du terrorisme sur internet, comme dans les médias, sera passible d’une peine allant jusqu’à 7 ans de prison.

En outre, les opérateurs de télécommunications doivent conserver pendant six mois les enregistrements de tous les appels et messages de leurs abonnés. La durée de conservation des métadonnées (le fait même des appels) est, elle, de trois ans. Quant aux sites qui offrent une fonctionnalité de cryptage des données, ils doivent, sur demande du Service de sécurité (FSB) russe, lui fournir la clé de chiffrement.

Quel est le contexte de l’adoption ?

Pendant plus d’un mois, d’âpres débats concernant la « loi Iarovaïa » ont fait rage : en première lecture, le document allait jusqu’à proposer la déchéance de la citoyenneté pour les attentats ou agissements extrémistes, tels que des appels postés sur internet. Toutefois, le Conseil présidentiel pour la défense des droits de l’homme a déclaré que les législateurs « manquaient de logique » et leur a rappelé que la Constitution interdisait de déchoir de la citoyenneté.

Le gouvernement ne s’est opposé qu’à un seul point : l’obligation faite aux opérateurs de conserver des quantités de données aussi importantes car, de son propre aveu, ils ne disposent pas des capacités techniques nécessaires pour cela. Reste qu’au final, cette disposition a quand même été adoptée.

Quelle est la réaction des autorités et de la société ?

Pour son président, Sergueï Narychkine, la Douma a pu trouver le « juste milieu » entre la préservation des droits de l’homme et la garantie de sécurité offerte aux citoyens. « Certes, il y a eu des débats, mais, à mon avis, nous avons trouvé un compromis », a-t-il souligné.

Le président du Conseil des droits de l’homme, Mikhaïl Fedotov indique pour sa part que le paquet « n’est pas étudié à fond, n’est pas assez réfléchi et manque de précision » et que, par conséquent, il est indispensable de le peaufiner. Un avis entièrement partagé par le ministre des Télécommunications, Nikolaï Nikiforov, qui fait remarquer que les députés étaient tellement pressés qu’ils n’ont même pas pris le temps d’écouter le point de vue du ministère concerné.

Selon toute probabilité, « le paquet » devait être obligatoirement adopté par la Douma lors de cette législature car c’était important pour ses promoteurs. De l’avis de l’avocat Sergueï Badamchine, « c’est de la pure propagande à la veille des législatives, une tentative de sonder l’opinion publique ». Entretemps, les cyber-militants diffusent sur les réseaux sociaux des liens sur des pétitions contre l’adoption de ces amendements.

Quelle va être la situation des télécommunications ?

Les prix vont monter en flèche, avertissent les principaux opérateurs du pays. « Ils vont doubler, voire tripler », ont fait savoir les opérateurs de téléphonie MegaFon, Tele2 et MTS, car, pour se conformer à la législation, il leur sera indispensable d’installer des équipements supplémentaires onéreux. Mail.Ru Group a d’ores et déjà calculé qu’il lui faudra dépenser près de 2 milliards de dollars et que les coûts d’entretien annuels de ces équipements atteindront de 80 à 100 millions de dollars.

Les programmes et applications de messagerie étrangers sont également concernés : ils risquent le blocage s’ils ne fournissent pas leur clé de chiffrement aux autorités russes. Le fondateur de l’application Telegram, Pavel Dourov, a déjà signifié son refus de se plier aux exigences de la nouvelle loi. « Telegram ne donne jamais de données ou de clés de chiffrement à des tiers, gouvernements compris », a-t-il souligné.

Quellespossibilitésdemodification ?

Ce paquet de mesures ayant été approuvé par la chambre haute du Parlement russe, il n’attend plus que la signature du président. Le chef de l’Etat pourrait théoriquement y opposer son veto, mais dans la pratique, cela n’arrive que très rarement. Selon toute vraisemblance, les lois seront signées, mais au lendemain des législatives de septembre prochain, elles seront retravaillées et amendées. D’ailleurs, le Conseil de la Fédération a estimé certaines modifications possibles, si les opérateurs de télécommunications prouvent qu’une hausse des prix de leurs services est inévitable.

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